Les Français refusent le droit à la paresse

La sortie de Laurent Wauquiez sur l'assistanat, "cancer de la société", est en phase avec un sentiment montant parmi les salariés les plus fragiles. Ce mouvement de fond conduit à revenir à une conception ancienne de l'aide aux pauvres. L'heure n'est pas venue du revenu citoyen de Dominique de Villepin, véritable droit à la paresse.
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Le jeu de rôles est parfaitement rodé. Dans le rôle du "méchant", Laurent Wauquiez, qui fustige les dérives de l'assistanat, propose de diminuer le montant du RSA et de contraindre ses bénéficiaires à se consacrer à des travaux d'intérêt général. Dans celui du gentil, ou de la gentille, en l'occurrence, Roselyne Bachelot, en charge des affaires sociales, dénonce les "propos de comptoir" et la "beaufitude" de son collègue ministre. De quoi alimenter les commentaires sur les dissensions au sein du gouvernement ? Peu importe. L'objectif est d'instiller l'idée que trop c'est trop, la coupe de l'assistanat est pleine, et qu'on en débat, enfin, à droite.

La cible électorale visée ne fait guère de doute, c'est celle de "la France qui se lève tôt". Comme en 2007, il s'agit de ramener vers l'UMP tous ces électeurs tentés par un vote Front national, qui ont le sentiment, eux, de travailler dur, et qu'il existe de si nombreux profiteurs à leurs côtés. Ces électeurs, si sensibles à la rhétorique de la défense du travail contre l'assistanat, rhétorique qui "sécurise les plus insécurisés, économiquement et socialement" selon l'expression du politologue Stéphane Rozès, on les trouve avant tout "parmi les fragiles". Mordront-ils à l'hameçon ? Est-il utile pour l'UMP de resservir la recette de 2007 à des électeurs échaudés ?

En tout cas, nombreux sont les Français, au-delà de ceux tentés par un vote Le Pen, qui sont prêts à approuver des politiques plus dures à l'égard des assistés, des pauvres. Ce n'est pas hasard si, au sein du bureau politique de l'UMP, Laurent Wauquiez a été largement applaudi, quand il a argumenté, fiches à l'appui, sur le trop faible écart entre revenus d'assistance et bas salaires. C'est comme si un mouvement de fond ramenait la société française vers une vision ancienne de l'assistance. Celle d'Adolphe Thiers, par exemple, qui, en 1850, résumait ainsi sa philosophie de l'aide aux pauvres : "nul ne doit faire peser sur la société le fardeau de sa paresse ou de son imprévoyance." Partant de ce principe, il défendait certes l'idée d'un soutien public aux sans-ressources, car "l'Etat doit être bienfaisant". Mais sous conditions. L'Etat doit être bienfaisant, "librement et prudemment", précisait-il. Autrement dit, il faut "poser des limites" à l'assistance afin de "maintenir l'obligation du travail pour tous et de prévenir les vices de l'oisiveté". Laurent Wauquiez est-il si loin de cette conception, quand il suggère d'imposer aux pauvres des heures travaux d'intérêt général ?

Cette évolution vers un durcissement des conditions de l'assistance ne date pas d'aujourd'hui. Elle peut se lire à travers le montant de l'aide sociale. Lors de sa création, en 1988, il avait été prévu que le RMI corresponde à un demi-Smic. Aujourd'hui, le RSA socle, attribué à ceux qui n'ont aucune ressource, est plus proche de 40% du Smic. Le changement est visible, aussi, dans la philosophie qui sous-tend les aides attribuées. Martin Hirsch, le "père" du RSA, s'est offusqué des propos de Laurent Wauquiez. Mais il n'a pas mentionné que "sa" prestation, qui ressemble certes au RMI s'agissant de l'aide concrètement accordée aux personnes sans aucune activité, est fondé sur des principes différents.

Le RMI était conçu comme un droit - le terme figure dans l'article 1 de la loi du 1er décembre 1988 -, accordé à toute personne "dans l'incapacité de travailler, en raison de son état ou de la situation de l'économie et de l'emploi". Avec le RSA, les choses évoluent. Pour bénéficier de l'allocation, il faut bien sûr être sans ressources, mais aussi s'astreindre à une série d'obligations (dont l'inscription à Pôle emploi). "Le RSA n'est pas un droit, mais une libéralité, comme telle, elle peut à chaque instant être reprise, alors même qu'elle avait été accordée", a pu affirmer l'ex-conseiller social de Lionel Jospin à Matignon, Jacques Rigaudiat (*).

La philosophie qui accompagne cet arsenal juridique est celle de l'existence d'un choix individuel, rationnel, fait par certains, de ne pas travailler, que l'affichage d'un gain plus élevé grâce au travail devrait faire évoluer. Or, comme l'a souligné la sociologue Dominique Méda, "il est faux d'imaginer qu'ils (les ex-RMistes) préfèrent ne pas travailler simplement parce que le travail ne leur rapporterait pas assez". Multiples sont les autres contraintes (santé, garde d'enfants..). Mais ces réalités semblent aujourd'hui dépassées par le thème du "cancer de l'assistanat", selon l'expression de Laurent Wauquiez.

Dans ce contexte, le revenu citoyen (850 euros pour tout le monde), proposé par Dominique de Villepin, risque de déplaire à une grande majorité, qui récuse l'idée qu'on puisse vivre presque décemment sans travailler. Pas question de créer un "droit à la paresse", disent les Français.

(*) Revue "Droit social", décembre 2008

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Commentaire 1
à écrit le 14/05/2011 à 18:07
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Si on traite les deux ou trois millions de chômeurs de paresseux alors que manifestement il n'y a pas d'emploi disponible pour eux, comment faut-il traiter les quinze millions de français à qui on verse une retraite qui coûte deux cent cinquante mill...

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