Internet et les guerres du copyright

Par Benoît Sillard, PDG de CCM Benchmark Group (*)
Copyright Reuters

Le forum eG8 voulu par Nicolas Sarkozy a pour but de faire en sorte qu'Internet soit un accélérateur de croissance. Une des premières questions à régler est celle de l'inadaptation du droit de propriété intellectuelle. Or, avec Internet, les situations de conflits entre le droit d'auteur et le droit à la création et à la connaissance vont se multiplier. Alors que le réseau est plébiscité par ses usagers, les éditeurs ne partagent guère cet enthousiasme et soutiennent des lois qui visent avant tout à contrôler les pratiques. En retour, ces manoeuvres s'attirent de vives critiques et sont qualifiées de liberticides par leurs détracteurs.

Les éditeurs et producteurs de contenus sont particulièrement concernés. Contrairement aux biens physiques, les biens immatériels (oeuvres de l'esprit) ne sont entrés que récemment dans l'orbite de la propriété : ils étaient auparavant considérés comme biens communs, en raison de leur importance pour toute la société et de la difficulté à maîtriser leur utilisation libre par les individus. La propriété de ces biens immatériels est moins importante que leur usage : lire un texte, écouter une musique, regarder un film, utiliser un logiciel ne signifient pas que nous avons besoin d'en être propriétaires.

Le droit de propriété détenu par l'auteur ou l'inventeur s'oppose au droit à l'accès (information, connaissance, savoir) distribué dans toute la société. De leur origine à la Renaissance, droits d'auteur (copyright) et brevets ont été sévèrement limités dans le temps (durée courte) et dans la pratique (nombreuses exceptions d'usage), afin de rechercher un équilibre et d'éviter les excès nuisibles au progrès comme à la créativité. Cet équilibre est aujourd'hui rompu. Face à cela, un nombre croissant de créateurs choisissent des solutions fondées sur le partage avec leur public : mouvement du logiciel libre, du "copyleft" ou des "Creative Commons". L'ère numérique exige de repenser la propriété intellectuelle et de trouver un nouvel équilibre.

Les éditeurs vont devoir repenser leur modèle économique à partir de l'abondance et du gratuit. L'émergence de nouveaux types de propriété intellectuelle (biens communs créatifs) indique des mutations à venir dans ce concept juridique, qui sera probablement assoupli. L'économie et la société du XXIe siècle ont un besoin vital de fluidité, d'universalité et d'équité dans l'accès aux contenus, aux informations, aux connaissances. Plus on bloque les échanges humains par des droits de propriété et des règles de confidentialité, plus on ralentit la marche de la création. Un débat viendra nécessairement : sommes-nous prêts à payer ce coût social, invisible mais énorme, que représentent toutes les opportunités perdues de progrès ?

L'auteur (propriété intellectuelle) et l'inventeur (propriété industrielle) doivent être reconnus et récompensés pour le travail accompli... sans que l'essentiel de cette contrepartie à leur contribution soit confisqué par des intermédiaires n'ayant pas réellement participé au travail créatif, ce qui est parfois le cas dans la nouvelle économie numérique ! Les modalités de reconnaissance et de rémunération sont nombreuses, et privilégier une seule piste (protection de la propriété intellectuelle devant les tribunaux) représente un appauvrissement. À chaque nouvelle invention (imprimerie, phonographe, radio, télévision), des solutions variées ont été testées : cette liberté d'imagination et d'expérimentation est indispensable à l'avenir.

Une vision trop conservatrice de la protection des contenus aggrave les phénomènes d'inégalité d'accès. Le risque est fort de voir se développer au niveau planétaire une existence à deux vitesses entre ceux qui ont un accès numérique et ceux qui en sont privés ; et, parmi ceux qui disposent d'un accès, de voir émerger un autre régime à deux vitesses entre ceux qui peuvent ou ne peuvent pas payer. L'histoire des premières révolutions industrielles montre que de telles situations débouchent souvent sur la violence et l'exclusion. Une nouvelle vision du bien commun - et donc, concrètement, du statut des biens communs culturels et informationnels - est appelée à prévaloir.

(*) Auteur de "Maîtres ou esclaves du numérique ?", éditions Eyrolles.

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