La Grèce s'en sortira-t-elle ?

Par Dani Rodrik, professeur d'économie politique internationale à l'université de Harvard.
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Grâce à une aide financière supplémentaire, la Grèce a gagné un peu de temps, mais le pays n'est pas pour autant tiré d'affaire. Il reste à voir si les mesures d'austérité draconiennes proposées par le gouvernement Papandréou seront acceptables et viables au plan politique. L'histoire permet d'en douter. Dans une démocratie, lorsque les exigences des marchés financiers et des créanciers étrangers s'opposent à celles des travailleurs, des retraités et de la classe moyenne d'un pays, ce sont en général ces derniers qui l'emportent.

L'abandon par la Grande-Bretagne de l'étalon or en 1931 reste un événement qui fait date. Après avoir commis l'erreur de rétablir la parité avec l'or, une décision qui sapera totalement la compétitivité de son économie, le pays dut faire face à des années de déflation et de chômage galopant. Ce n'était pas la première fois que la probité financière faisait souffrir l'économie réelle sous le despotisme de l'étalon or. La différence était cette fois-ci que la Grande-Bretagne était devenue une société plus démocratique : la classe ouvrière s'était syndiquée, le nombre de personnes ayant le droit de vote avait quadruplé depuis la Première Guerre mondiale, les médias rendaient compte des difficultés économiques des citoyens ordinaires et un mouvement socialiste était sur le point de voir le jour.

Malgré leurs inclinations, les banquiers centraux et leurs maîtres politiques comprirent qu'ils ne pouvaient plus se distancer des conséquences de la récession et du taux de chômage élevé. De manière plus importante, les investisseurs le comprirent aussi. Dès lors que les marchés financiers mettent en doute la crédibilité de l'engagement d'un gouvernement envers un taux de change fixe, ils deviennent source d'instabilité. Au moindre signe de détérioration de la situation, les investisseurs et les épargnants récupèrent leurs fonds et font sortir leurs capitaux du pays, précipitant la dévaluation de la monnaie.

Ce scénario s'est répété en Argentine à la fin des années 1990. Le pilier de la politique économique de ce pays après 1991 fut la loi de convertibilité, qui instaurait la parité du peso au dollar et levait les restrictions aux flux de capitaux. Dans un premier temps, cette stratégie a porté ses fruits en rétablissant une fort nécessaire stabilité des prix. Mais à la fin de la décennie, la situation était pire qu'avant.

En fin de compte, ce n'est pas le manque de volonté politique de ses dirigeants qui a scellé le destin de l'Argentine, mais plutôt leur incapacité à imposer des politiques toujours plus coûteuses à leurs concitoyens. En fait, le gouvernement argentin était prêt à revenir sur ses engagements envers pratiquement toutes les catégories sociales - les fonctionnaires, les retraités, les gouvernements provinciaux et les épargnants - pour faire face à ses obligations envers les créanciers étrangers.

Mais les investisseurs ont de plus en plus douté de la capacité du Parlement, des gouvernements provinciaux et de la population en général à tolérer la poursuite des politiques d'austérité nécessaires pour pouvoir honorer la dette extérieure. Et la multiplication des manifestations leur a donné raison. Lorsque les intérêts de la politique nationale entrent en conflit avec la mondialisation, les investisseurs malins parient pour l'équipe locale.

Il y a peut-être une autre voie. Celle de la Lettonie. Avec la contraction du crédit et l'effondrement des prix de l'immobilier, le taux de chômage y a atteint 20% et le PIB a décliné de 18% en 2009. Le pays a connu les pires émeutes depuis l'effondrement de l'Union soviétique. La Lettonie avait un taux de change fixe et une libre circulation des capitaux, tout comme l'Argentine. Sa monnaie était arrimée à l'euro depuis 2005. Mais contrairement à l'Argentine, ses politiciens sont parvenus à surmonter cette passe difficile sans dévaluer la monnaie ou instaurer un contrôle des capitaux.

Ce qui semble avoir modifié l'équilibre des coûts et bénéfices politiques était la perspective d'atteindre la Terre promise qu'est l'adhésion éventuelle à la zone euro, ce qui a incité les décideurs lettons à exclure toutes les options qui pourraient mettre cet objectif en péril. A son tour, cette position a favorisé la crédibilité de leur action - malgré son coût économique et politique très élevé. La Grèce suivra-t-elle le chemin de l'Argentine ou de la Lettonie ? A moins d'une reprise de l'économie, de nouveaux emprunts ne seront qu'un palliatif temporaire qui nécessitera de nouvelles mesures d'austérité. Et tant que la demande intérieure reste atone, il est peu probable que les réformes structurelles - la privatisation et la libéralisation du marché du travail - entraînent la croissance souhaitée. Comme le montrent ces expériences, ce sont finalement les choix politiques qui déterminent l'issue de la situation. Pour que le plan de sauvetage de la Grèce ait la moindre chance de réussite, le gouvernement Papandréou devra par tous les moyens convaincre les électeurs que l'austérité est le prix à payer pour un avenir meilleur - et pas seulement pour satisfaire les exigences des créanciers étrangers.

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Dernier ouvrage de l'auteur : "The Globalization Paradox : Democracy and the Future of the World Economy" ("Le Paradoxe de la mondialisation : la démocratie et l'avenir de l'économie mondiale")

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Commentaires 2
à écrit le 16/06/2011 à 21:01
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réponse: Périclès..Damoclès...donc si l on déduit bien...Alexandre le grand..la Turquie ...la Syrie...Israël ..L Égypte...et si l on continue a déduire...Iran ..L Afghanistan....surpris..? toujours pas...P.S Dans la statut de Périclès ..avec un casq...

à écrit le 16/06/2011 à 20:24
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travailler et non vivre sa vie sur la sueur des autre

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