Pourquoi il ne faut pas enterrer l'Arabie saoudite ? (François-Aïssa Touazi)

L'effondrement des cours du pétrole et l'instabilité de son environnement régional sont les deux grands défis du moment auxquels l'Arabie saoudite est confrontée. Mais le royaume a les moyens de surmonter ces difficultés, voire la volonté d'en saisir l'opportunité pour procéder à d'importantes réformes. Par François-Aissa Touazi, cofondateur du cercle de réflexion Capmena et auteur de l'ouvrage « Le ciel est leur limite - Les dirigeants du Golfe, leur influence, leurs stratégies » (Éditions du moment, 2015).
Une vue de la Tour royale dominant la ville de Riyad, capitale de l'Arabie saoudite.

Dans la mesure où 90 % des revenus publics saoudiens dépendent du pétrole, l'effondrement des cours - en baisse de 60 % depuis la mi-2014 - a des conséquences univoques sur le Royaume, premier exportateur mondial. Pour la seconde année consécutive, l'Arabie Saoudite enregistre un nouveau déficit budgétaire, estimé à près de 100 milliards de dollars en 2015 (21% du PIB), la contraignant à recourir au marché obligataire et à puiser dans ses réserves (en baisse de 732 à 644 milliards de dollars entre 2014 et 2015). Le ralentissement de la Chine, premier partenaire de l'Arabie Saoudite (15 % du marché), noircit le tableau. De nombreux projets sont gelés et les retards de paiement affectent les entreprises du pays.

À ces défis économiques s'ajoutent la détérioration de son environnement régional avec l'enlisement du conflit au Yémen, la menace de Daesh en Iraq et en Syrie, et le retour de l'Iran - son grand rival. Ces crises coûtent cher au Royaume : la défense et la sécurité restent le premier budget de l'État, engloutissant chaque année plus de 60 milliards de dollars (1/3 du budget).

Devant une conjoncture difficile et un environnement régional incertain, le royaume est à la croisée des chemins. D'ailleurs, chez nombre d'observateurs, le pessimisme est de mise, doutant de la capacité du pays à se réformer et à s'ancrer dans la modernité. Certains augures prédisent même la fin du règne des Saoud. C'est oublier un peu vite les nombreux atouts du Royaume et sa capacité de résilience.

Une stratégie qui commence à porter ses fruits

D'abord, il faut tout même rappeler que la baisse du prix du baril est un choix délibéré du pouvoir saoudien qui l'a imposé au sein de l'OPEP pour briser la concurrence du schiste américain et préserver ses parts de marché. Malgré les pressions, Riyad semble déterminé à aller jusqu'au bout de sa politique et à consentir les sacrifices nécessaires. Si les nouvelles techniques du fracking sont devenues plus performantes et moins onéreuses, cette stratégie commencerait tout de même à porter ses fruits : recul de la production américaine (de 9,6 à 9,2 millions de baril par jour), faillites et licenciements en cascade dans le secteur. Et l'on prévoit un rebond du prix du pétrole d'ici à 2018, conséquence du gel des investissements.

En attendant, le gouvernement conserve d'importantes marges de manœuvre, grâce notamment aux ressources financières considérables de la SAMA, sa banque centrale et de ses fonds souverains lui conférant un gage de solvabilité en cas de recours à l'emprunt. Il faut également souligner que la SAMA procède à la liquidation de certains actifs non stratégiques ou peu rentables qu'elle détient (essentiellement actions cotées et obligations d'État) pour répondre aux besoins en liquidités. Plus de 100 milliards de dollars auraient déjà été cédés.

Le pari de l'austérité et de la réforme de l'Etat-providence

Par ailleurs, le roi Salman veut profiter de la situation pour rationaliser un État-providence devenu trop coûteux, alimenté depuis des années par les rentes pétrolières. C'est vrai que la conjoncture oblige à la baisse des dépenses publiques, à un désengagement de l'État et à une amélioration du rendement des placements publics. Riyad fait le pari qu'une politique d'austérité sera plus facilement acceptée par l'opinion dans le contexte actuel. Ainsi, faisant écho aux préconisations du FMI, un programme d'austérité sans précédent a été annoncé fin 2015.

Pour moins dépenser, le gouvernement s'est résolu à faire des coupes drastiques dans les subventions allouées aux produits pétroliers (jusqu'à 80 %), mais aussi à la consommation de l'eau et de l'électricité, se traduisant par des hausses de prix. Objectif affiché : générer près de 50 milliards de dollars d'économies par an. Le royaume envisage également une introduction partielle de la TVA en coordination avec les autres monarchies du CCEAG (Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe).

Transparence, Cour des comptes et privatisations

La cure d'austérité concerne aussi l'administration : la rationalisation des dépenses passera par un meilleur contrôle des finances publiques. Le gouvernement a annoncé la création d'une Cour des comptes pour renforcer l'efficacité des politiques publiques. Il a également mis en place une nouvelle réglementation exigeant l'approbation préalable du Cabinet Royal pour tout contrat public excédant 25 millions d'euros afin de lutter contre la corruption qui demeure un enjeu majeur pour la population saoudienne. Les entreprises sont aussi incitées à plus de transparence et notamment à des introductions en bourse dynamisant la bourse de RIyad, l'une des plus dynamiques du Golfe.

Autre tournant décisif, les privatisations : après celles annoncées des aéroports, celles d'autres grands groupes tels Saudi Telecom Company (STC), premier opérateur télécom, ou encore National Water Company (NWC) pourraient suivre. Si l'annonce de l'introduction boursière d'Aramco, estimée à 3 000 milliards de dollars, a pu être considérée comme une opération de communication réaffirmant la puissance financière du Royaume, elle est aussi le révélateur d'un virage libéral assumé du nouveau pouvoir.

Le gouvernement travaille également à une meilleure valorisation de ses ressources. Après avoir maîtrisé l'amont et l'aval du secteur pétrolier en créant notamment SABIC , le géant mondial de la pétrochimie, le gouvernement s'intéresse maintenant aux autres ressources minières encore sous-exploitées en Arabie. En effet, les considérables réserves du pays en minéraux précieux (phosphate, bauxite et or) pourraient constituer de solides relais de croissance. Par ailleurs, Riyad ambitionne aussi de devenir l'un des leaders mondiaux des énergies renouvelables. D'ici à 2040, 110 milliards de dollars seront investis dans le solaire, l'éolien et la géothermie pour réduire la consommation intérieure de pétrole, l'une des plus importantes au monde.

Enfin, les autorités cherchent à renforcer l'attractivité de son territoire. Pour réussir sa transformation, Riyad a bien compris aussi la nécessité d'attirer davantage de capitaux étrangers. Dans cette perspective, les barrières à l'entrée s'allègent. La simplification des procédures d'obtention de visa, la fin du recours obligatoire aux sponsors pour pénétrer le marché ou encore l'annonce d'un droit de pleine propriété sur certains secteurs pour les entrepreneurs non-saoudiens, sont autant de signaux forts envoyés aux investisseurs internationaux. Le pays prévoit aussi de doubler d'ici à cinq ans le nombre de touristes - surtout religieux - accueillis en Arabie Saoudite (passant de 18 millions de visiteurs par an à 35, voire même 45).

Un désir d'ancrage dans la modernité

Le chemin vers la modernisation du pays est toutefois périlleux. Outre les menaces extérieures, les conservatismes de la société, la gestion du consensus au sein de la famille royale et la crainte de tensions sociales pourraient ralentir le rythme des réformes.

Dans ce contexte, Mohammed bin Salman, qui pilote la stratégie économique, s'est entouré de technocrates expérimentés pour réformer l'économie du pays. Les initiatives annoncées et engagées doivent surtout être le prélude à une modernisation plus profonde du système saoudien. Pour y parvenir, il devra compter sur le soutien et l'expérience de son père, le Roi Salman, et de son cousin le Prince héritier, Mohammed Bin Nayef, reconnu pour l'efficacité de ses mesures antiterroristes.

Compte tenu du recul de l'État-Providence et pour répondre aux fortes attentes d'une population majoritairement jeune en matière de formation et d'emploi (58 % des  ont moins de 25 ans, avec un taux de chômage de 30%), il devra aussi mobiliser les grandes entreprises privées devenues des acteurs incontournables en Arabie Saoudite. Si Mohammed bin Salman semble incarner aux yeux d'une grande partie de la classe moyenne et de la jeunesse l'ambition d'une Arabie Saoudite forte et ancrée dans la modernité, il devra tout faire pour ne pas les décevoir.

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