Gamers de tous les pays

HOMO NUMERICUS. Plus de deux milliards de « gamers » jouent tous les jours à des jeux vidéo. Ce phénomène mondial marque l'avènement d'une nouvelle culture populaire unique en son genre: les jeux vidéo font désormais partie de nos vies numériques et réelles. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
(Crédits : Reuters)

Il fallait oser, mais le résultat fut à la hauteur du pari. Au mois d'août dernier, les Chorégies d'Orange se sont achevées par une symphonie un peu particulière, interprétée par l'orchestre philharmonique de Marseille accompagné du Chœur de l'Opéra de Montpellier Occitanie. Au programme, la Symphonie des jeux vidéo[1]. Grâce à cette orchestration, « gamers » et mélomanes, se sont côtoyés autour d'une sélection de morceaux les plus emblématiques de jeux vidéo de ces trente dernières années : Tetris (jeu de 1984), The Elder Scrolls V : Skyrim, Detroit, Rayman Legends, Assassin's Creed II, Journey, Halo, Candy Crush, Ori and The Blind Forest, Shadow of the Colossus, Last of Us, sans oublier quelques autres succès mondiaux : Uncharted, Street Fighter, Dishonored ou encore God of War. Une formidable initiative permettant de rassembler des publics éclectiques et, au passage, donner à l'industrie du jeu vidéo ses lettres de noblesse sous le regard de l'imposante statue d'Auguste.

Travis Scott, Ariana Grande, Aya Nakamura : héros de jeux vidéo

Cette mise en scène grand public des jeux vidéo, au-delà des grandes compétitions de « gaming », tend à se multiplier. Au mois d'avril 2020, 12 millions de spectateurs assistèrent au concert en ligne du rappeur Travis Scott. Il y a quelques mois, ce fut au tour d'Ariana Grande[2] d'apparaître dans l'univers de Fortnite[3] en «offrant» à ses fans un spectacle graphique inédit. Jeu vidéo aux 350 millions d'utilisateurs dans le monde (le jeu a généré à lui seul plus de 10 milliards de dollars de chiffres d'affaires de 2018 à 2019), ce jeu de combat permet aux joueurs de créer leurs univers grâce à des contenus virtuels personnalisables et... payants. Travis Scott, Ariana Grande, prochainement Aya Nakamura, n'hésitent plus à se mettre au service de l'industrie du jeu vidéo, ne serait-ce que pour retrouver leurs fans qui s'intéressent à d'autres univers.

Nouvelle pop culture mondialisée

Selon diverses estimations, le nombre de joueurs dans le monde devrait atteindre 3 milliards d'ici peu (2023[4]), contre près de 2,7 milliards actuellement et ce grâce au succès des jeux vidéo disponibles sur appareils mobiles. À partir de 2010, ces derniers ont été à l'origine de l'explosion du jeu vidéo avec l'apparition des « casuals games », ces jeux de type « Candy Crush » qui permettent de jouer depuis n'importe où. Avec un chiffre d'affaires supérieur à celui de l'industrie du cinéma, le gaming est devenu une industrie à part entière, très capitalistique[5] du fait des investissements nécessaires à la conception et à la diffusion des jeux, souvent à l'échelle planétaire, à l'exception notable de la Chine[6].

Qu'on le veuille ou non, le gaming s'apparente à une nouvelle pop culture mondialisée. Outre ses milliards de fans, celle-ci possède ses évènements phares (Paris Week Game[7]), ses propres univers (manga, guerre, science-fiction, sports...), ses codes et son jargon (battleground, buff, chase, glitch...), ses professionnels du jeux vidéo (comme Tyler Blevins, 29 ans, alias Ninja, qui a empoché 17 millions de dollars en 2019), ses fédérations (en France, citons l'association France Esports[8], le Syndicat national du jeu vidéo[9] (SNJV) ou encore l'IEF[10], International Esport Association, basé en Corée du Sud), ses écoles[11] (plus d'une centaine de formations en France)... bref, tout un univers de consommation de masse qui s'est développé « sous les radars » de l'industrie des loisirs dits « classiques ». Le jeu, activité immémoriale couplée à l'interaction entre joueurs rendue possible par la technologie a ainsi permis de créer un divertissement planétaire au point de devenir une puissante industrie culturelle, toujours en tête des ventes de produits électroniques.

Connaître le cerveau des gamers

S'il en existe des milliers accessibles d'un simple clic, souvent gratuitement, la conception de bons jeux vidéo appelés à rencontrer un succès planétaire est un art difficile. Outre les investissements conséquents indispensables à un futur best-seller, la conception de ces jeux vidéo nécessite, entre autres choses, que soit compris ce qui se passe dans la tête d'un gamer. En clair, la connaissance des mécanismes cognitifs est essentielle pour qu'un jeu s'apparente à une sorte de « tour de magie » :

« Lorsqu'ils sont bien conçus, les joueurs sont disposés à croire au monde que le jeu propose[12]. Ils suspendent leur incrédulité et entrent dans un état de « flow », cette zone optimale de concentration dans laquelle on se laisse porter par une activité. »

Bien plus qu'un jeu vidéo

À côté de cette indispensable connaissance des dimensions neuro-psychologiques permettant, entre autres choses, d'identifier les circuits neuronaux spécifiques de la prise de décision, de la récompense, voire de l'addiction, les concepteurs de jeux vidéo, ceux-là même qui avaient popularisé de nombreuses technologies à l'instar des casques de réalité virtuelle, guettent les nouvelles innovations technologiques pour, demain, les importer dans les futures générations de jeux.

La Blockchain ? Cette technologie qui introduit le caractère irréfutable et unique de la propriété d'un objet pourrait trouver sa place dans un jeu qui offrirait aux joueurs la capacité de le revendre à d'autres joueurs via, par exemple, l'usage de NFT (« Non Fungible Token », jetons non échangeables en français, en tant que certificats d'authenticité qui permettent de prouver la possession d'un fichier). Le Métaverse[13], récemment popularisé par Meta (Facebook...) en tant que monde numérique parallèle dans lequel on ira se réfugier pour travailler, se détendre, jouer... ? L'éditeur américain Epic Games, créateur du jeu Fortnite, voudrait faire de son jeu une plateforme de divertissement à part entière, où les « gamers » se connecteraient pour s'affronter, mais aussi discuter, échanger, assister à des concerts ou des projections de films. Autrement dit, un véritable monde parallèle numérique qui cohabiterait avec le nôtre, ce dernier bien réel.

Déjà en son temps, Pascal évoquait déjà la soif de divertissement des Hommes en constatant que "tout le malheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre". Revenu à notre époque, le philosophe constaterait peut-être à sa grande satisfaction que nous avons entendu sa parole et que nous savons à présent « demeurer au repos dans nos chambres » ainsi que dans mille autres lieux pour... jouer à Fortnite, Roblox ou à Minecraft. Et demain, pour jouer à d'autres jeux qui nous projetterons dans d'autres univers... Tout ça, sans avoir besoin de bouger de sa chambre. Game over !

 ___

NOTES

1https://youtu.be/37Vkj2XE6nw

2https://youtu.be/PKVei6PRMj0

3https://www.epicgames.com/fortnite/fr/home

4https://www.statista.com/statistics/748044/number-video-gamers-world/

5 https://www.investopedia.com/articles/investing/053115/how-video-game-industry-changing.asp

6https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/epic-games-a-tire-le-rideau-de-fortnite-en-chine-896389.html

7https://parisgamesweek.com/de/article/dates-et-horaires

8 https://www.france-esports.org/presentation/

9 https://snjv.org/

10 https://iesf.org/contact

11 https://reseauformations-jeuvideo.fr/les-membres

12 Dans le cerveau du gamer - Neurosciences et UX dans la conception de jeux vidéo, par Célia Hodent, Éd. Dunod (juin 2020)

13 https://www.latribune.fr/opinions/blogs/homo-numericus/le-web-est-mort-vive-le-metaverse-891558.html

Philippe Boyer

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 24/11/2021 à 8:16
Signaler
S'ennuyer c'est réfléchir et réfléchir c'est forcément commencer par se dire qu'on va mourir or vu que thème plus que rarement abordé, sauf imposé par la vie, ça effraie les humains que nous sommes dont la conscience comme le disait Nietzsche est ce ...

à écrit le 24/11/2021 à 7:07
Signaler
Le jeu vidéo est la continuation du cinema. Au lieu de regarder un film sans rien faire, on participe à son propre film. A noter qu'actuellement, les gamers sont excédés par le crypto-minage, qui les prive de carte graphique à prix normal pour jouer

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.