Arkéa : le coup du menhir dans la banque !

Il n'y a pas d'un côté le "gentil petit" Arkéa face au "méchant grand" Crédit Mutuel. Mais le divorce entre la banque bretonne et la Confédération va au-delà d'une simple querelle de famille. C'est aussi le reflet d'une transformation du monde bancaire à l'heure du numérique. Où l'innovation prend le dessus sur la concentration.
Philippe Mabille
(Crédits : DR)

C'est un petit sujet à l'échelle du monde de la finance, si on ne le regarde que comme une réédition du combat entre David et Goliath dans l'univers de la banque. Mais c'est un grand sujet si on l'analyse à l'aulne des transformations que connaît le secteur avec la révolution numérique.

Entre la Confédération nationale du Crédit Mutuel, présidée par Nicolas Théry, un inspecteur des finances, ancien collaborateur de Dominique Strauss-Kahn à Bercy, et Crédit Mutuel Arkéa, présidé par Jean-Pierre Denis, autre inspecteur des finances, qui a travaillé aux côtés de Jacques Chirac à l'Élysée, le divorce est plus que consommé. L'acte n'est pas encore signé devant le juge, mais la séparation de corps est plus que probable, tant il apparaît, y compris aux pouvoirs publics, qui tentent la conciliation, que le point de non-retour est dépassé. Juridiquement et techniquement, l'opération est complexe, mais pas impossible. Même si Bercy refuse la voie législative, il y a d'autres moyens, inspirés du droit européen, pour donner à Arkéa, qui perdrait la marque Crédit Mutuel, un statut équivalent au mutualiste.

L'affaire a pris une dimension publique lorsque, le 17 mai, près de 6.000 manifestants sont venus à Paris clamer devant Bercy le désir d'indépendance du groupe brestois, l'un des premiers employeurs privés de la région Bretagne, financeur des deux tiers de ses entreprises. Depuis 2014, tel Astérix, le groupe breton résiste aux velléités de centralisation de la Confédération, prenant à témoin la communauté économique bretonne. Crédit Mutuel Arkéa, c'est aussi une histoire d'identité, une incarnation de la tendance au « glocal », de l'alliance du local et du global.

Chacun a ses arguments. Il n'y a pas d'un côté le gentil « petit Arkéa » face au méchant « gros Crédit Mutuel ». Mais Arkéa se dit et se veut une banque différente, entrepreneuriale et indépendante. A la fois physique et digitale, c'est un pionnier des fintech, qui soutient l'écosystème (lequel la défend avec passion) et qui a investi très tôt dans des solutions innovantes avec Fortuneo et Leetchi. Pour justifier son indépendance, le groupe breton argue de sa solidité financière, avec le meilleur ratio de fonds propres du secteur. Ce qui est vrai, mais pas forcément survivant dans une stratégie stand-alone, disent ses détracteurs. Le groupe est rentable, même si les bons résultats 2017 ont une part d'exceptionnel, et il a ses propres "usines" de production de produits de banque et d'assurance. Enfin, c'est un point clef, il détient la maîtrise de ses systèmes d'information. Pourquoi rester ?

La Confédération nationale du Crédit Mutuel, qui a perdu pour l'instant la bataille de la communication, dénonce l'« aventure personnelle » des deux patrons d'Arkéa, Jean-Pierre Denis et Ronan Le Moal (l'artisan des succès dans la banque digitale). Les coups bas volent : ce ne serait qu'une opération financière avec un projet caché de cotation en Bourse pour faire la fortune des dirigeants avec des risques mal maîtrisés pour les sociétaires et les clients, entend-on dans le Landerneau. Le Crédit Mutuel argue du fait qu'Arkéa a toute latitude pour s'épanouir au sein du groupe. Pourquoi divorcer alors ?

Si l'opération va à son terme, ce serait un coup de menhir (pour rester dans la métaphore Astérix, c'est l'épisode où le druide Panoramix devient fou après avoir pris accidentellement sur la tête un coup de menhir) dans le monde feutré de la finance, car cela irait à rebours de la course au gigantisme. Ce serait aussi une « disruption » dans l'univers du mutualisme gouverné depuis vingt ans par une logique de centralisation des moyens. Logique à laquelle Nicolas Théry, au cabinet de DSK, avait largement contribué en pilotant la réforme du statut de l'Écureuil, qui a transformé les Caisses d'Épargne en banques coopératives, sur le modèle du Crédit Agricole, avec un organe exécutif central fort. Cette étape préalable à la fusion entre les Banques Populaires et les Caisses d'Épargne a donné naissance au groupe BPCE. Si on regarde bien l'histoire de ces banques, on constate néanmoins que ce qui les a fragilisées, ce sont plus les dérives de leurs incursions dans la finance de marché, obligeant l'État à sauver Natixis à grands frais, que leurs activités bancaires traditionnelles.

L'argument sur la solidité financière peut donc facilement être retourné. Faut-il forcément être gros pour être sûr dans le monde de la finance ? Cela a été, après la crise de 2008, la conviction des régulateurs. Mais aujourd'hui on se demande si ce ne sont pas les banques « systémiques », dont le bilan équivaut aux deux-tiers du PIB de leur pays, qui sont les plus dangereuses.

Même s'ils s'en défendent, les dirigeants de BPCE et du Crédit Agricole, mais aussi les régulateurs bancaires, observent avec beaucoup d'attention ce qui se passe au Crédit Mutuel. Car, même si les situations sont différentes, la sortie d'Arkéa porte en germe un risque de contagion. Ces craintes sont sans doute surestimées car, pour envisager une séparation dans une coopérative de banques, il faut réunir un certain nombre de conditions. C'est le cas pour Arkéa, comme sans doute pour la Bred au sein des Banques Populaires, mais, dans ce dernier cas, la volonté de partir n'existe pas, officiellement en tout cas.

Avec l'affaire Arkéa, ce qui transparaît, c'est que l'univers de la banque de détail, de plus en plus perméable à la concurrence technologique, est à l'aube d'un changement de paradigme. C'est ce que la Confédération nationale du Crédit Mutuel, comme d'autres grands groupes bancaires, peine à voir, sinon dans une posture défensive : la révolution digitale rebat les cartes et peut donner l'avantage aux plus agiles et aux plus innovants. Arkéa, au carrefour du monde ancien et du monde moderne, veut en apporter la démonstration : pour la banque, activité assez traditionnelle qui n'a plus tellement de raison de réaliser des marges aussi confortables qu'autrefois, l'heure est à l'innovation, peut-être plus qu'à la concentration.

Philippe Mabille

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Commentaires 5
à écrit le 29/05/2018 à 18:01
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@ PHILIPPE MABILLE Depuis quelques mois je suis avec intérêt l'éclairage, le plus souvent pertinent, porté par LaTribune sur ce dossier. Un point de l'article de ce jour m'interroge quelque peu : l'appréciation du niveau de performance des systèmes ...

à écrit le 29/05/2018 à 13:23
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Enfin, quand je lis dans un autre papier de la Tribune que M. Denis émarge à 1,5 M€ annuels contre 0.750 M€ pour M. Théry, je m'interroge sur celui qui est le plus "mutualiste" ... M. Denis a semé le vent ; il risque peut-être de récolter la tempête...

le 30/05/2018 à 11:38
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afin d'affiner votre analyse, je vous invite juste à regarder et à pleinement intégrer l'émission Cash investigation de février 2015 se rapportant au système d'évasion organisé, qui aurait été mis en place par votre "protégée". Egalement, les condit...

à écrit le 29/05/2018 à 11:25
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Le mot "guerre civile" n'est pas trop fort. Il s'agit du nième combat entre girondins et jacobins. Pour une fois un haut fonctionnaire est du côté des girondins. Souhaitons lui longue vie.

à écrit le 29/05/2018 à 9:45
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Les banques mutualistes sont plus touchées par les questions de marges du fait de leur organisation de base, et du fait qu'elles se limitent en terme d'opérations. Il est évident que certains membres veulent faire cessesion por sortir du carcant impo...

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