Face au Congrès réuni à Versailles début juillet 2017, l'année de son élection, Emmanuel Macron avait appelé à conclure « de vrais pactes girondins » avec les territoires. Au menu, un tiers de parlementaires en moins, une dose de proportionnelle, réforme du Conseil économique, social et environnemental, un droit de pétition revu. Quinze mois plus tard, rien n'ayant avancé, le Pacte girondin est revenu en boomerang en direction de l'exécutif avec le déclenchement, le 17 novembre 2018, du mouvement des « gilets jaunes ». Sous-estimée au départ, cette crise sociale inédite aux revendications diverses, des taxes sur les carburants au Référendum d'initiative citoyenne, en passant par la dénonciation des privilèges des « élites » (les politiques, les métropolitains, les « riches »), a marqué profondément le quinquennat.
Si Emmanuel Macron a tenu bon en refusant de détricoter les réformes votées au début de son mandat, comme la suppression de l'ISF, marqueur de sa politique de l'offre probusiness, il a aussi mis sur la table un chèque de 17 milliards d'euros pour calmer les manifestations, de plus en plus violentes, et soutenir le pouvoir d'achat des plus modestes. Paradoxalement, la crise des « gilets jaunes » a ainsi contribué à relancer l'économie française qui a ainsi résisté (provisoirement ?) aux nuages de la récession qui freine la croissance chez nos voisins.
Un président entre deux rives
La crise des « gilets jaunes » a aussi, de façon contre-intuitive, consolidé le pouvoir d'Emmanuel Macron, qui a non seulement su conserver, au plus fort de la tempête sociale, un socle de partisans inconditionnels, mais aussi a conquis une partie de l'électorat du centre-droit, rassuré par la figure du Premier ministre, Édouard Philippe. Du coup, l'orientation de la politique d'Emmanuel Macron hésite entre deux centres de gravité : une jambe droite incarnant l'ordre et incitant le pouvoir à accélérer le tempo des réformes (assurance-chômage, retraites) ; et une jambe gauche écolo-sociale, plus à l'écoute des corps intermédiaires et des attentes de la société civile.
Obligé de faire de la godille pour tenir l'équilibre entre ces deux axes, Emmanuel Macron entame sa troisième rentrée sociale sur un risque de malentendu. D'un côté, il en fait des tonnes pour donner des gages aux écologistes, sans doute avec sincérité sur l'Amazonie, mais sans grande efficacité ; de l'autre, il louvoie sur les réformes en semblant céder du terrain aux syndicats sur l'âge de départ à la retraite. S'il est prudent sur ces deux sujets, c'est que le chef de l'État sait très bien, comme le disait le Cardinal de Retz, qu'on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment. Sur l'urgence climatique, Emmanuel Macron sait fort bien qu'il n'y a pas de solution sans rétablir une taxe carbone, mais que si elle est possible sur les billets d'avion, la crise des « gilets jaunes » ne permet pas de l'augmenter à nouveau sur les transports terrestres. Du moins tant qu'aucune solution ne sera apportée aux précaires de la mobilité que sont les habitants des zones périphériques et de la ruralité.
Plus que l'écologie, le grand rendez-vous de la rentrée est donc l'urgence de résoudre la fracture des territoires : pour se rétablir politiquement, Emmanuel Macron doit maintenant devenir le grand décentralisateur qu'il affirme vouloir être : redonner du pouvoir aux maires (le projet de loi « Engagement et proximité » sera débattu au Sénat en octobre), clarifier le millefeuille territorial en associant à chaque compétence un financement, ce qui signifie réformer la fiscalité locale dans le cadre du projet de loi de finances 2020 (la révision en cours des bases foncières en donne un avant-goût), et aller au bout des « 3D » : décentralisation, déconcentration, différenciation, ce qui sera le chantier du printemps 2020. Tout cela, Emmanuel Macron le sait bien, se passera sous le regard vigilant des « gilets jaunes », qui annoncent leur grand retour à partir de ce samedi.
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