Désmicardiser la France, pas si simple !

CHRONIQUE L'ŒIL DE L'ÉCO — Retrouvez chaque semaine la chronique de Philippe Mabille, directeur de la rédaction de La Tribune.
Philippe Mabille, directeur de la rédaction de La Tribune.
Philippe Mabille, directeur de la rédaction de La Tribune. (Crédits : © DR)

« Vous avez déjà vu un soft landing, vous ? C'est en train de se produire sous nos yeux. » Haut cadre dirigeant d'XAnge, un fonds d'investissement dans la tech du groupe Siparex, Cyril Bertrand a bien résumé jeudi, lors d'un déjeuner de presse, l'espoir auquel se raccrochent tous les acteurs économiques. Après le boom de l'après-Covid, en 2022, puis le retour de l'inflation en 2023 et la hausse brutale des taux d'intérêt, 2024 serait l'année d'un « redémarrage en douceur ». Exit le scénario noir du « hard landing », de la récession, tel est le consensus des économistes, qui prennent le soin de préciser « sauf choc ou accident ».

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 Ralentissement de l'inflation

L'OCDE vient ainsi de réviser en hausse ses prévisions de croissance mondiales, de 2,7 % à 2,9 %, tout en s'inquiétant du violent décrochage de l'Europe face aux États-Unis. Le principal facteur d'optimisme est le ralentissement de l'inflation, qui nourrit les anticipations de baisse des taux au cours de l'année. Seul élément de vigilance, mais de taille, les tensions géopolitiques, qui pourraient provoquer de nouveaux chocs sur les prix de l'énergie et des matières premières. Le principal danger concerne la mer Rouge, qui concentre 12 % du trafic maritime mondial. Depuis le début des attaques des rebelles houthistes au Yémen, en soutien à la population palestinienne, le transport de marchandises a chuté de près de 30 %, indique le FMI. Plus long d'environ quatre jours et plus coûteux, le passage par l'Afrique et le cap de Bonne-Espérance déstabilise les chaînes de production et pourrait engendrer un sursaut de 0,4 % de l'inflation d'ici un an, craint l'OCDE. Ce qui retarderait d'autant le calendrier de la baisse des taux.

Le principal facteur d'optimisme est le ralentissement de l'inflation

Mais cela ne remet pas en question pour l'instant l'optimisme des acteurs, y compris pour notre pays. Plus qu'un atterrissage, la Banque de France évoque aussi un « redémarrage en douceur » de la croissance. L'Insee est sur la même longueur d'onde en prévoyant une croissance de 0,2 % au cours des deux premiers trimestres de 2024. Ce ne sera hélas pas suffisant, sauf accélération imprévue, pour tenir l'objectif fixé par Bruno Le Maire d'une croissance de 1,4 % cette année. Bercy devrait s'aligner sur la prévision de la Banque de France d'une croissance de 0,9 %, un peu plus généreuse que le consensus des économistes, qui est de 0,7 %. Seule ombre au tableau, la nécessité de tenir l'équation budgétaire pour ramener comme prévu les déficits publics à 4,4 %, ce qui va imposer une cure d'austérité avec 10 milliards d'euros d'économies dans le budget 2024. Une ponction qui pourrait freiner la reprise et perturber la mise en œuvre des réformes.

Ecrasement de l'échelle des rémunérations

Pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages et accompagner la reprise, Gabriel Attal compte beaucoup sur son plan pour désmicardiser la France. Il s'agit de sortir de la « trappe à bas salaires » qui piège autour du salaire minimum plus de 3 millions de salariés. Cet écrasement de l'échelle des rémunérations s'explique par la politique d'allégement des charges sur les bas salaires mise en œuvre en France depuis le milieu des années 1990. Pour éviter que l'indexation du smic ne fasse remonter le chômage, l'État subventionne le travail peu qualifié jusqu'à quasiment supprimer toutes les charges au niveau du smic, avec une sortie en sifflet jusqu'à 1,6 smic (allégements Fillon).

Ces aides aux entreprises ont soutenu l'emploi mais paupérisé une part croissante de la main-d'œuvre, ce qui a conduit l'État a y ajouter des mesures compensatoires : défiscalisation des heures supplémentaires (Sarkozy puis Macron), primes d'activité (Macron après les Gilets jaunes). Le résultat est délétère : si on augmente de 100 euros un salarié payé 1 390 euros net, il ne lui reste en poche que 40 euros, explique-t-on à Bercy. En effet, non seulement les exonérations de cotisations sociales diminuent voire disparaissent au-delà de 1,6 smic, mais le salarié perd des droits sociaux et entre dans le barème de l'impôt sur le revenu.

Les salaires de l'industrie sont plus élevés que dans les services

La réponse consiste à revoir complètement le calcul des allégements Fillon afin de lisser l'impact des exonérations de charges. Mais cette perspective suscite la méfiance des entreprises, qui craignent un impact sur le coût du travail qualifié, contradictoire avec l'objectif de réindustrialiser la France. Les salaires dans l'industrie sont en effet plus élevés que dans les services. Il faut aussi ajuster le barème de l'impôt pour éviter que l'État reprenne dans une poche ce qu'il tente de remettre dans l'autre. C'est le sens de l'annonce d'une baisse de 2 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu pour les classes moyennes. Bref, « désmicardiser » la France, c'est au moins aussi compliqué que la « déverrouiller » et la « débureaucratiser »...

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Commentaires 14
à écrit le 12/02/2024 à 10:44
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Pas de démiscardisation sans baisse de la dépense sociales et des charges sociales. Une vraie politique de l'offre pour favoriser le travail ne peut pas s'exonérer d'une politique sociale qui favorise les travailleurs et pénalise les non-travailleur...

le 12/02/2024 à 13:24
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"Pas de démiscardisation sans baisse de la dépense sociales et des charges sociales" Tu veux baisser quelle dépense et charge sociale exactement qui sera moins de protection pour les salariés ? Les cotisations sociales sont devenues dans les années...

à écrit le 12/02/2024 à 9:49
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la france sait depuis longtemps ce que ca donne l'indexation du smic, la smicardisation de la france, qui reduit les inegalites en mettant tout le monde au smic, existe depuis longtemps; ah, y a bien l'indexation generale des prix et des salaires, co...

à écrit le 12/02/2024 à 8:09
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desmicardiser la france signifirai baisser les charges sociales. Autrement dit depenser moins dans notre systeme social. Quelle sont les principaux poste de depenses : pension de retraite et ensuite soins medicaux. 2 postes qui beneficient aux vieux ...

le 12/02/2024 à 9:51
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"Il reste une autre solution : inciter les jeunes francais a quitter le pays" Ceux ayant l'envergure et l'envie de le faire l'ont généralement déjà fait... Les autres vont plutôt dire "on est chez nous!" et suggérer d'envoyer en Moldavie avec une pen...

à écrit le 11/02/2024 à 20:12
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Les entreprises pourront-elles résister à la hausse de la masse salariale, accompagnée de celle des charges sociales, elles qui sont déjà les victimes du Plan du Pays sans usines. Heureusement, il ne s'agit que d'une lubie née dans le cerveau enfiévr...

à écrit le 11/02/2024 à 20:11
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Pourtant simple à mettez en place. Vous imposez un max les patrons qui saugrenue autant ou plus qu'ils augmentent les employé (pas en pourcentage mais en euros bien evidement....)

à écrit le 11/02/2024 à 15:40
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Après avoir ruiné un tas de gens au covid, d'avoir amener certains a pole emploi, pour ensuite baisser leurs indemnités, pour le faire bosser au rsa par la suite, les mots et surtout les faits sont la ! ce niveau de cynisme sans pareil de gens qui n...

à écrit le 11/02/2024 à 12:19
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J'aimerais connaitre les émoluments de Philippe , je crois avoir déjà entendu ce genre de discours , curieusement toujours dans la bouche des nantis

le 11/02/2024 à 19:41
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On peut toujours fixer par la loi tous les salaires que vous voulez. Mais l'entreprise créera du travail que si c'est rentable pour elle. Autrement soit elle n'embauche pas soit elle licencie ou pire elle dépose le bilan. Il n'y a qu'en URSS où l'on ...

le 11/02/2024 à 23:26
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@tototiti : le Smic sert justement à éradiquer les entreprises les moins performantes et souvent dévoreuses de subventions... Mais ça, c'est un travers latin, chercher à se maintenir à son compte sans vraiment en avoir l'envergure... J'en ai appris u...

à écrit le 11/02/2024 à 9:34
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On peut comprendre ce que l'on désire dans le fait de "Désmicardiser la France" surtout, d'enlever la référence à un "smic" pour pouvoir les payer moins cher ! ;-)

le 11/02/2024 à 13:01
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Dans la mesure où c'est déjà l'Etat qui rémunère les smicards du privé, les droitards qui voudraient payer moins les smicards seront ensuite les premiers à pleurer quand l'Etat leur présentera l'addition, ce qui ne sera que le hors d'oeuvre avant le ...

à écrit le 11/02/2024 à 8:04
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Disons qu'avec un marché du travail, ils ont réussi à faire de cette valeur fondamentale un marché déjà tout est dit quand à leur ambition concernant cette notion qui leur est inconnue, de plus en en plus envahi de travailleurs détachés à 300 balles ...

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