« Vous avez déjà vu un soft landing, vous ? C'est en train de se produire sous nos yeux. » Haut cadre dirigeant d'XAnge, un fonds d'investissement dans la tech du groupe Siparex, Cyril Bertrand a bien résumé jeudi, lors d'un déjeuner de presse, l'espoir auquel se raccrochent tous les acteurs économiques. Après le boom de l'après-Covid, en 2022, puis le retour de l'inflation en 2023 et la hausse brutale des taux d'intérêt, 2024 serait l'année d'un « redémarrage en douceur ». Exit le scénario noir du « hard landing », de la récession, tel est le consensus des économistes, qui prennent le soin de préciser « sauf choc ou accident ».
Ralentissement de l'inflation
L'OCDE vient ainsi de réviser en hausse ses prévisions de croissance mondiales, de 2,7 % à 2,9 %, tout en s'inquiétant du violent décrochage de l'Europe face aux États-Unis. Le principal facteur d'optimisme est le ralentissement de l'inflation, qui nourrit les anticipations de baisse des taux au cours de l'année. Seul élément de vigilance, mais de taille, les tensions géopolitiques, qui pourraient provoquer de nouveaux chocs sur les prix de l'énergie et des matières premières. Le principal danger concerne la mer Rouge, qui concentre 12 % du trafic maritime mondial. Depuis le début des attaques des rebelles houthistes au Yémen, en soutien à la population palestinienne, le transport de marchandises a chuté de près de 30 %, indique le FMI. Plus long d'environ quatre jours et plus coûteux, le passage par l'Afrique et le cap de Bonne-Espérance déstabilise les chaînes de production et pourrait engendrer un sursaut de 0,4 % de l'inflation d'ici un an, craint l'OCDE. Ce qui retarderait d'autant le calendrier de la baisse des taux.
Le principal facteur d'optimisme est le ralentissement de l'inflation
Mais cela ne remet pas en question pour l'instant l'optimisme des acteurs, y compris pour notre pays. Plus qu'un atterrissage, la Banque de France évoque aussi un « redémarrage en douceur » de la croissance. L'Insee est sur la même longueur d'onde en prévoyant une croissance de 0,2 % au cours des deux premiers trimestres de 2024. Ce ne sera hélas pas suffisant, sauf accélération imprévue, pour tenir l'objectif fixé par Bruno Le Maire d'une croissance de 1,4 % cette année. Bercy devrait s'aligner sur la prévision de la Banque de France d'une croissance de 0,9 %, un peu plus généreuse que le consensus des économistes, qui est de 0,7 %. Seule ombre au tableau, la nécessité de tenir l'équation budgétaire pour ramener comme prévu les déficits publics à 4,4 %, ce qui va imposer une cure d'austérité avec 10 milliards d'euros d'économies dans le budget 2024. Une ponction qui pourrait freiner la reprise et perturber la mise en œuvre des réformes.
Ecrasement de l'échelle des rémunérations
Pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages et accompagner la reprise, Gabriel Attal compte beaucoup sur son plan pour désmicardiser la France. Il s'agit de sortir de la « trappe à bas salaires » qui piège autour du salaire minimum plus de 3 millions de salariés. Cet écrasement de l'échelle des rémunérations s'explique par la politique d'allégement des charges sur les bas salaires mise en œuvre en France depuis le milieu des années 1990. Pour éviter que l'indexation du smic ne fasse remonter le chômage, l'État subventionne le travail peu qualifié jusqu'à quasiment supprimer toutes les charges au niveau du smic, avec une sortie en sifflet jusqu'à 1,6 smic (allégements Fillon).
Ces aides aux entreprises ont soutenu l'emploi mais paupérisé une part croissante de la main-d'œuvre, ce qui a conduit l'État a y ajouter des mesures compensatoires : défiscalisation des heures supplémentaires (Sarkozy puis Macron), primes d'activité (Macron après les Gilets jaunes). Le résultat est délétère : si on augmente de 100 euros un salarié payé 1 390 euros net, il ne lui reste en poche que 40 euros, explique-t-on à Bercy. En effet, non seulement les exonérations de cotisations sociales diminuent voire disparaissent au-delà de 1,6 smic, mais le salarié perd des droits sociaux et entre dans le barème de l'impôt sur le revenu.
Les salaires de l'industrie sont plus élevés que dans les services
La réponse consiste à revoir complètement le calcul des allégements Fillon afin de lisser l'impact des exonérations de charges. Mais cette perspective suscite la méfiance des entreprises, qui craignent un impact sur le coût du travail qualifié, contradictoire avec l'objectif de réindustrialiser la France. Les salaires dans l'industrie sont en effet plus élevés que dans les services. Il faut aussi ajuster le barème de l'impôt pour éviter que l'État reprenne dans une poche ce qu'il tente de remettre dans l'autre. C'est le sens de l'annonce d'une baisse de 2 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu pour les classes moyennes. Bref, « désmicardiser » la France, c'est au moins aussi compliqué que la « déverrouiller » et la « débureaucratiser »...
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