Eviter le coup de pompe, objectif de l'été 2022

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Pas de taxe française sur les super-profits, mais un coup de pression pour faire baisser les prix du fret et des carburants. Même le gouvernement fait des concessions sur le prix à la pompe, c'est dire à quel point la culture du compromis fait des progrès...
Philippe Mabille
(Crédits : Reuters)

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A la guerre comme à la guerre, nous aurons donc des bateaux moins chers pour le fret et des hauts taux plus chers pour le crédit. Sous pression, Rodolphe Saadé, le patron de CMA CGM a fini par concéder une nouvelle baisse des taux de fret pour un an à compter du 1er août, pour éviter de se voir imposer une taxe sur les « super-profits » des entreprises. Reste à savoir si cela sera répercuté par Michel-Edouard Leclerc... La concession de CMA CGM est importante, alors que le groupe se défend au nom de la compétition qui fait rage dans le secteur maritime, le fret étant le premier témoin des fractures de la mondialisation, souligne Léo Barnier, notre spécialiste des transports.

Lors de son audition au Sénat cette semaine, Rodolphe Saadé, PDG du géant français du fret maritime, a livré aux sénateurs sa vision des phénomènes qui agitent aujourd'hui le transport de marchandises dans la lignée directe de la crise sanitaire, mais aussi son analyse de la transformation des flux commerciaux mondiaux

Sous pression lui-aussi, Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies a lui aussi accepté une ristourne plus importante sur les prix à la pompe jusqu'à la fin de l'année.

Il faut dire que l'alerte était aussi chaude que l'été suffoquant : alors que l'Espagne a voté une taxe sur les super-profits, la présidente du groupe Renaissance a écarté cette piste à condition que les groupes concernés (notamment les deux précités) redistribuent tout de suite « la valeur supplémentaire engrangée de façon exceptionnelle ». Une véritable épée de Damoclès qui plane sur les grandes entreprises alors que des députés Nupes ou même de la majorité relative présidentielle sont tentées de mettre les superprofits à contribution pour boucler le budget et financer les mesures pour le pouvoir d'achat, souligne Fanny Guinochet.

Face à ce chantage implicite, CMA CGM et TotalEnergies ont donc obtempéré. Mais si l'impact se verra à la pompe et, espérons-le, dans les caddies, cette action ne pourra que tempérer la hausse de l'inflation et la différer dans le temps. Même le gouvernement a pris la mesure de la nécessité d'une action rapide et visible : dans un souci de compromis, Bruno Le Maire a préféré relever la ristourne accordée par l'Etat sur le prix des carburants qui sera prolongée jusqu'à fin décembre, plutôt que de maintenir l'usine à gaz du dispositif ciblé sur les « gros rouleurs ». Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple. Mais là encore, il s'agit d'une mesure défensive destinée à limiter le coup de pompe et la colère des automobilistes, plus sensibles à un effet prix immédiat qu'à une mesure fiscale à effet différé.

Pendant que Macron et Bercy apprennent la culture du compromis à l'Assemblée nationale, avec le vote pas si difficile finalement de la loi sur le pouvoir d'achat, désormais en discussion au Sénat, Christine Lagarde à Francfort a décidé d'endosser le costume de chef de guerre en frappant fort sur l'inflation. La BCE a ainsi relevé jeudi de 0,50 point son taux directeur. C'en est bien fini des taux négatifs et un point de bascule dans la politique monétaire menée en Europe depuis 2011. D'autres hausses de taux sont à venir dans une stratégie offensive habilement combinée avec l'annonce d'un outil anti-fragmentation pour protéger les Etats les plus fragiles de la zone euro, à commencer par l'Italie impactée par une nouvelle crise politique avec la démission de Mario Draghi, le prédécesseur de Christine Lagarde, de la tête du gouvernement.

Si les marchés ont plutôt bien réagi à la décision de la BCE, conforme avec l'idée d'une action précoce pour tenter d'éviter une inflation hors de contrôle, comme nous l'a rappelé un autre prédécesseur de Lagarde, Jean-Claude Trichet, dans un entretien exclusif à La Tribunela hausse des taux fait néanmoins monter la température déjà caniculaire et accentue le risque d'une récession.

C'est son rôle, le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, n'y croit pas : dans ses prévisions officielles associées à la loi de finances rectificatives, Bercy garde l'espoir d'une croissance positive l'an prochain et les années suivantes. Mais beaucoup d'économistes, dont ceux de l'OFCE, sont sceptiques en raison de la montée des risques notamment celle d'une coupure des livraisons de gaz russe, souligne Grégoire Normand.

Dans l'incertitude, la France écrasée de chaleur cet été se prépare à un rationnement de l'énergie plus important cet automne et cet hiver, comme le recommande fortement la commission européenne. Clémentine Maligorne a fait le tour de ce qui a déjà été annoncé pour chasser les gaspillages.

2022 marque donc un tournant majeur pour nos économies et sans doute nos modes de vie. Dans un long et passionnant entretien, Pascal Lamy, l'ancien directeur général de l'OMC, livre à Fabrice Gliszczynski et Fanny Guinochet sa vision de l'avenir de la mondialisation et analyse en profondeur les conséquences géoéconomiques et géopolitiques du choc provoqué par la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales qui l'ont accompagnée. Pour lui, le monde n'est pas entré dans une phase de démondialisation ou de mondialisation fragmentée. « Les facteurs de globalisation sont en effet supérieurs aux facteurs de fragmentation ». Et la Russie, du point de vue du commerce international et de la globalisation, reste selon lui un « épiphénomène ». Plus que la globalisation, la Russie ou la place de la Chine, les enjeux prioritaires de l'Europe sont doubles : accélérer l'intégration de l'Union européenne et faire en sorte que l'Afrique gagne absolument son combat contre la démographie dans les vingt ans qui viennent. A ce titre, « l'Afrique est le problème numéro 1 pour l'Europe », estime-t-il.  A lire absolument, en parallèle avec le dossier Mondialisation réalisé par la rédaction de La Tribune et qui vous accompagnera tout l'été. « Déglobalisation », « Slowbalization », « mondialisation fragmentée », « Friend Shoring » et « Friend Shopping » n'auront plus de secrets pour vous.

Dans ce nouveau contexte, les défis à relever demeurent : le chantier de la réindustrialisation est engagé et sonne pour l'Europe et la France l'heure de la reconquête de ses usines. Il faudra accepter pour cela bien des remises en cause. Nabil Bourassi analyse celles qui occupent les esprits de toute la filière automobile, contrainte de revoir en profondeur son modèle industriel pour basculer à marche forcée vers l'électrification. Pour rêver un peu dans ce monde en ébullition, lisez aussi le formidable portrait consacré par notre journaliste toulousaine Florine Galéron qui a mis à l'affiche Olivier Berne, astrophysicien au CNRS et « œil » du télescope James Webb qui vient de nous offrir des images inédites et spectaculaires des galaxies qui nous entourent. Une façon de prendre de la hauteur avant de profiter de vacances bien méritées.

Philippe Mabille

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Commentaires 3
à écrit le 25/07/2022 à 11:47
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Total et sa remise juste après la fin des vacances. De toute façon le prix des carburants n'est pas si élevé que ça sinon de nombreux automobilistes léveraient un peu le pied pour réduire leur consommation. Abaisser sa vitesse de 130 km/h à 120 km/h ...

à écrit le 24/07/2022 à 21:31
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Si on n'achète du carburant Total que chez Total, ça ne va pas révolutionner les choses d'avoir des remises (que) chez Total. Y a beaucoup plus de stations pas Total en France, celles là ne verront pas les prix baisser un peu, hors efforts de Bercy s...

à écrit le 24/07/2022 à 9:28
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On retiendra surtout l’incohérence totale de nos politiques, faire baisser le prix de l’essence pour diminuer la consommation, et tenir un discours sur la préservation de la planète, taper sur les entreprises quand on dépense déjà 60% de la la valeur...

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