Emmanuel Macron et son entourage auront beau tenter de minimiser la portée nationale du scrutin et de camoufler cet échec, en ce lendemain de second tour des départementales et régionales, jamais un parti au pouvoir n'a réalisé un score aussi faible à des élections intermédiaires. Jamais. Même François Hollande a fait mieux, c'est dire. François Bayrou, l'allié de 2017, a montré son agacement face au déni de réalité de l'Elysée, qui parle de « scrutin purement local » en appelant le président à entendre ce « coup de semonce » des électeurs. Car c'est bien un véritable camouflet qui a été infligé ce dimanche au « parti » du président et à son allié le Modem. En Marche, ça ne marche plus : avec à peine 7% des suffrages exprimés et une abstention record, il faudrait être inconscient pour ne pas porter un regard lucide sur ce qui s'est passé ces deux derniers dimanches. Les jeunes, ouvertement dragués à coups de Mcfly et Carlito ou de présence de ministres sur les plateaux de Cyril Hanouna, ont massivement déserté les bureaux de vote.
En 2022, on refait le match ?
Les principales victimes sont Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Les deux opposants du second tour de 2017, ceux-là même dont on ne cesse depuis d'annoncer le match retour en 2022, ne sont pas parvenus à mobiliser leurs électeurs. Pourtant, en 2015, la participation avait monté de presque dix points entre les deux tours. Cette fois, il n'y a pas eu de sursaut démocratique, ou si peu (deux points de plus), ce qui dénote certes d'une grande indifférence des Français à l'égard de ces grandes régions trop éloignées d'eux, souvent considérées comme des constructions abstraites et artificielles. Mais aussi d'une volonté de sanctionner le pouvoir en allant ostensiblement à la pêche. Même en Île-de-France, où se concentre une bonne partie de l'électorat de Macron, le candidat LREM, Laurent Saint-Martin, ne passe pas la barre des 10%.
C'est un désaveu sévère aussi pour la présidente du RN, qui n'a cessé de vanter la capacité de son parti à remporter plusieurs régions, porté par des sondages favorables dans plusieurs d'entre-elles (Sud, Hauts-de-France, Occitanie notamment). Résultat : tous les pronostics ont été déjoués, en particulier la victoire annoncée de Thierry Mariani en PACA. Au contraire, Renaud Muselier a été le mieux élu des ténors de la droite, avec un score historique supérieur à celui de Christian Estrosi en 2015, grâce il est vrai au « front républicain ». Du coup, nombreux sont ceux qui, autour du Rassemblement national, commencent à douter de la pertinence de la candidature de Marine le Pen pour porter leurs couleurs l'an prochain à la présidentielle. Elle se serait trop recentrée et souffre toujours d'un déficit de crédibilité sur l'économie.
Des leçons pour la droite et pour la gauche
Au final, avec une victoire incontestable de la droite républicaine, qui place trois de ses champions en capacité de concourir à la présidentielle, avec Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France, Valérie Pécresse en Île-de-France et Laurent Wauquiez, le seul étiqueté LR, en AURA (Auvergne-Rhône-Alpes), la carte politique des régions qui sort des urnes est exactement la même que celle de 2015. Tous les sortants, de droite et de gauche, ont été réélus, parfois avec des scores encore meilleurs.
Il faut noter à gauche la réélection dans un fauteuil de Carole Delga, qui l'emporte largement en Occitanie sans aucun jeu d'alliance avec la gauche radicale. Elle est même la présidente de région la mieux réélue de France avec Renaud Muselier. Une leçon à méditer pour la gauche alors qu'Anne Hidalgo, possible candidate du PS, a poussé en Île-de-France au rapprochement avec Europe Ecologie Les Verts et La France Insoumise. Or, cette stratégie a échoué partout. Conclusion : une alliance de circonstances, sans projet ni programme commun négocié en amont entre des gauches plurielles, ne fonctionne pas. Cet échec conduira sûrement les partis concernés à des révisions stratégiques déchirantes. Quant aux Verts, si certains de leurs ténors comme Julien Bayou et Matthieu Orphelin marquent des points dans leur primaire interne, ils n'ont pas réussi à transformer l'essai des Municipales. Il n'y a pas eu de « vague verte » aux Régionales, sauf chez les jeunes qui votent, pas très nombreux, mais dont plus du tiers vote écolo désormais.
Sauver les apparences...
Comment rebondir ? Ce lundi, Emmanuel Macron consacre sa journée à sauver les apparences. Il croisera, ironie du calendrier, deux de ses principaux rivaux de droite : Xavier Bertrand à Douai pour l'inauguration d'une usine de batterie électrique à capitaux chinois (dont le président des Hauts-de-France lui a volé la politesse de l'annonce) ; puis Valérie Pécresse à Versailles pour le désormais annuel sommet Choose France sur l'attractivité où le président de la République recevra 150 patrons étrangers avant d'inaugurer le siège de la banque américaine JP Morgan au marché Saint Honoré à Paris. Pas vraiment une plongée dans la France qui souffre et ne vote plus. Mais ce choix du "business as usual" est une façon pour l'Elysée de banaliser le résultat désastreux du scrutin de ce dimanche.
Même si le canton de Prades, la ville du Premier ministre Jean Castex, bascule à gauche, le gouvernement ne devrait pas tomber : l'Elysée a laissé entendre qu'il y aura bien un remaniement, mais qu'il ne s'agira que « d'ajustements nécessaires et limités », pour des « ministres fatigués ou ayant des envies d'ailleurs » (sic). Le départ de Barbara Pompili, qui a salué la décision du Conseil d'Etat de retoquer la réforme de l'assurance-chômage et a été « recadrée » lors du dernier conseil des ministres, semble assuré. Le sort des ministres envoyés par Macron au front, notamment dans les Hauts-de-France, comme Gérald Darmanin et Eric Dupont-Moretti, est aussi en balance mais serait plus étonnant.
Plus qu'un remaniement, Emmanuel Macron compte pour se relancer sur la mise en scène de l'annonce des dernières réformes de son quinquennat. Elles devraient être dévoilées lors d'un discours solennel, entre le 7 et le 14 juillet, dit-on, dans un format encore incertain. L'hypothèse du Congrès à Versailles est un peu plombée : ce geste trop monarchique pourrait être mal interprété, surtout dans la ville de Valérie Pécresse !
Au programme, des réformes donc : un coup à droite avec celle des retraites, au risque de mettre les Français dans la rue à nouveau avec l'allongement de la durée de cotisation et la fin des régimes spéciaux... Un coup à gauche avec la Garantie jeunes, un revenu minimum pour les 18-25 ans, au risque de donner à la droite des arguments pour dénoncer l'assistanat... Plus la loi sur le Grand âge et la dépendance, cinquième risque de la protection sociale, mais le vote des « aînés » est déjà largement acquis... Le retour de Macron le Réformateur, après des mois de paralysie pour cause de Covid et de « quoi qu'il en coûte ». Mais ces initiatives tardives suffiront-elles pour changer la perception des Français et répondre à « l'alerte démocratique » adressé par huit jeunes électeurs de moins de 35 ans sur dix...
... Ou renverser la table ?
Pour Emmanuel Macron, le temps est venu de renverser à nouveau la table pour l'emporter en 2022. Mais le veut-il encore ? Certains proches du président en doutent et le rapprochement récent du chef de l'Etat avec son ancien Premier ministre Edouard Philippe, plus populaire que jamais, montre que toutes les options sont ouvertes. Y compris celle d'un destin à la Hollande ? Jusqu'ici, la réélection du chef de l'Etat semblait assurée par le fait qu'il apparaissait comme le seul rempart contre une victoire de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. C'est ce que nous disent les sondages. Mais les Français ne semblent pas vouloir de ce duel annoncé : c'est ce que montre le vote de dimanche. Xavier Bertrand l'a bien compris : dès 20h03, il a affirmé que désormais, c'est « un match à trois ». Un nouveau front républicain se dessine : rassembler à la fois ceux qui ne veulent pas de Macron ET pas de Le Pen : en gros, la gauche déçue depuis 2017 plus la droite classique. Une sorte d'inversion du scénario de 2017, qui avait rassemblé les centres de gauche et de droite autour d'Emmanuel Macron.
Puisqu'il a déjà fait barrage deux fois au Front National dans les Hauts-de-France, alors, pourquoi pas en France, se dit Xavier Bertrand. Le raisonnement est un peu simpliste : avec le front républicain, tout bon candidat de la droite et du centre qui affrontera Marine Le Pen serait élu, en théorie. Mais, comme le disait Pierre Desproges, si « en théorie, tout se passe bien », malheureusement on ne vit pas en théorie.
Après avoir profité du « dégagisme » des Français en 2017, Emmanuel Macron se retrouve donc dans l'étonnante situation d'en être à son tour la possible victime en 2022. Cette étrange défaite du macronisme n'est pas encore écrite : si la France a basculé à droite, encore faudrait-il que celle-ci se dote d'un programme un peu plus élaboré que le tout-sécuritaire brandi pendant les régionales.
C'est la chance d'Emmanuel Macron : la droite ne s'est pas encore relevée de ses divisions ; elle reste fracturée (de façon irréconciliable ?) entre les libéraux, les souverainistes, les étatistes, les protectionnistes. Elle offre donc beaucoup de prise. Une partie de la droite reste tentée par l'alliance avec le RN et la digue a failli sauter dans plusieurs régions du Sud. Face à ce risque, Emmanuel Macron reste un recours pour les républicains de droite comme de gauche. Alors que les trois présidents de région de droite les mieux placés pour 2022 semblent bien partis pour se livrer une guerre sans merci et montrer une nouvelle fois le visage de « la droite la plus bête du monde », il n'est pas sûr qu'Emmanuel Macron ait tant de souci à se faire, finalement. Dans les sondages sortie des urnes ce dimanche soir, les Français continuent de voir un second tour Macron-Le Pen l'an prochain...
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