Les enfants de Mandela à la peine

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — Les élections parlementaires qui se déroulent mercredi en Afrique du Sud risquent pour la première fois de voir l’ANC perdre la majorité absolue. Trente ans après le triomphe du parti du héros anti-apartheid lors du premier scrutin multiracial dans le pays, les Sud-africains sont désenchantés.
(Crédits : © LTD / DR)

Dire que la nation arc-en-ciel est à la croisée des chemins est une litote. En une génération, le Congrès national africain (ANC), qui dirigeait seul le pays depuis 1996 grâce à une majorité absolue renouvelée tous les cinq ans au Parlement, pourrait mercredi soir envisager d'entrer en coalition, s'il recueille moins de la moitié des suffrages aux élections législatives. L'usure du pouvoir ? Bien sûr, mais pas seulement. Comme le montre la dernière enquête d'opinion de l'institut Gallup sur place, l'approbation de l'activité du gouvernement a chuté de moitié depuis 2007 au sein de la population, très majoritairement noire. Il faut dire que les fondamentaux économiques sont des plus décevants. Si le chômage des 30-49 ans se situe à 25 %, celui des 15-29 ans est à 37 %, un record du monde selon la Banque mondiale et que l'ONU qualifie même de « bombe à retardement ».

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Certes, le niveau de vie moyen par habitant a doublé par rapport aux années 1990, mais 55 % de la population vit avec moins de 10 dollars par jour, ce qui fait de l'Afrique du Sud l'un des pays les plus inégalitaires du monde. La criminalité reste aussi un fléau. D'après les statistiques officielles de la police, bien que le taux de meurtres pour 100 000 habitants ait chuté de moitié depuis la fin de l'apartheid, il reste l'un des plus élevés de la planète, avec un meurtre toutes les vingt minutes, tandis que 130 viols par jour en moyenne sont répertoriés. Selon l'institut Gallup, un Sud-Africain sur trois envisagerait de quitter définitivement le pays s'il en avait la possibilité.

C'est dans ce contexte que la population noire du pays a fini par éparpiller ses voix. L'ANC reste certes le parti dominant. Mais il est passé de 70 % des suffrages en 2004 à 43 % aujourd'hui, selon le suivi des sondages locaux agrégé par l'hebdomadaire britannique The Economist. Une partie de son électorat s'est reportée vers les Combattants pour la liberté économique (EFF) de Julius Malema. À 43 ans, ce leader charismatique, qui n'était qu'un enfant lors de la libération de Nelson Mandela, estime que l'ANC a trahi la cause. Pour lui, le marxisme originel du combat pour la liberté et l'égalité mérite d'exproprier les propriétaires blancs pour redonner leurs terres aux Noirs.

Exclu du parti, il a donc fondé le sien, crédité de 11 % des voix. Autre ancien dirigeant de l'ANC, Jacob Zuma est un Zoulou autodidacte qui fut emprisonné au bagne de Robben Island de 1963 à 1973, avant de succéder bien plus tard, en 2009, au président Thabo Mbeki. Il est parvenu à se maintenir dix ans au pouvoir alors que les accusations de corruption pleuvaient contre lui. Chassé également du parti, âgé de 82 ans, l'homme dirige un mouvement dissident qui porte le nom de l'ancienne aile armée du parti de Mandela. Selon les sondages, il pourrait recueillir 12 % des suffrages. On le devine, ces gauches sud-africaines irréconciliables pourraient avoir bien du mal à se regrouper pour former un gouvernement. Ce qui divise aujourd'hui ces trois groupes semble être devenu plus fort que ce qui les réunissait au départ.

La population noire a fini par éparpiller ses voix. L'ANC reste le parti dominant, mais il est passé de 70 % des suffrages en 2004 à 43 % aujourd'hui

De là où il est, peut-être que Nelson Mandela se réjouit donc de voir qu'une autre formation politique pourrait contribuer à résoudre les graves difficultés que connaît la nation arc-en-ciel qu'il chérissait tant. L'Alliance démocratique est composée majoritairement de Blancs mais, scrutin après scrutin, de plus en plus de Noirs, de Métis et de Sud-Africains d'origine indienne l'ont rejointe. Au point qu'elle a même été dirigée entre 2014 et 2019 par un homme d'affaires noir élevé à Soweto. Dans cette Afrique du Sud qu'a connue Ghandi pendant presque un quart de siècle, et où vit toujours sa petite-fille Ela - députée de l'ANC de 1994 à 2004 -, il serait bon qu'un deuxième choc de réconciliation voit le jour.

Et pourquoi pas sous la forme d'une coalition entre l'ANC et l'Alliance démocratique ? Certes, les programmes de gouvernement de ces deux mouvements oscillent entre socialisme et libéralisme, tandis que leurs visions en politique étrangère divergent, notamment sur la relation avec la Russie et la Chine, mais l'Alliance s'est construite historiquement depuis les années 1960 sur un rejet de l'apartheid et un objectif de coexistence ethnique sans méfiance ni vengeance.

L'un des principaux journaux du pays, le Mail & Guardian, proposait il y a quelques jours à ses lecteurs, dans un éditorial, de ne plus voter seulement cette année pour l'ANC avec leur cœur mais aussi et d'abord « avec leur tête». Comme s'il était temps de penser la gouvernance avec davantage d'esprit de responsabilité.

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Commentaires 2
à écrit le 28/05/2024 à 19:00
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La question n'est pas tant de savoir pour qui votent les sud africains mais surtout qui vote encore en Afrique du sud au regard de la progression inexorable de l'abstention dans l'ensemble des démocratures où une minorité illégitime abuse du pouvo...

à écrit le 26/05/2024 à 9:31
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Afrique du sud, population en croissance constante depuis 1960 (Regardez la page Wikipedia qui en parle), pas étonnant donc que le pays aille de mal en pis

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