Une pomme de discorde à 13 milliards d'euros

Après Dublin, Apple fait appel de la décision de Bruxelles de lui imposer le remboursement de 13 milliards d'euros au titre d'avantages fiscaux indus. Un cas qui expose à nouveau les tensions au sein de l'UE en matière de politique fiscale, en attendant une hypothétique harmonisation.
Robert Jules

Le 30 août dernier, Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la Concurrence, frappait un grand coup, en exigeant que le géant américain de l'informatique Apple rembourse 13 milliards d'euros d'impôts à l'Irlande considérés comme des avantages indus .

0,005% d'impôt en 2014

Bruxelles faisait valoir qu'en accordant à Apple plusieurs rescrits fiscaux (accords entre la société et le gouvernement) entre 1991 et 2007, Dublin avait de facto réduit à 1% à partir de 2003 - et même à 0,005% en 2014 ! - le taux d'imposition sur les bénéfices issus des ventes de ses produits à travers l'Europe, l'Afrique, le Moyen-Orient et l'Inde. Ce qui faisait une distorsion de concurrence par rapport aux autres sociétés installées en Irlande qui sont imposées elles à 12,5% au titre de l'impôt sur les sociétés.

La firme à la pomme disait vouloir faire appel de cette décision. C'est chose faite depuis ce lundi, rejoignant le gouvernement irlandais qui lui avait fait appel le 10 novembre.

En attendant de connaître le verdict de la cour européenne, ce qui risque de prendre un certain temps, cette affaire pose plusieurs problèmes.

Il y a des aspects juridiques complexes sur lesquels la cour devra se pencher, par exemple le bien-fondé de la rétroactivité de l'application de la décision. Il y a des aspects directement économiques, comme celui qui oblige Dublin à collecter les 13 milliards d'euros puis en redistribuer une partie à d'autres pays de l'Union européenne qui auraient été lésés par les pratiques d'Apple, ce qui va se transformer pour l'Irlande en manque à gagner.

Aspects plus politiques

Mais il y a aussi des aspects plus « politiques ». En s'attaquant à Apple, mais aussi à Google ou encore Gazprom, Margrethe Vestager remet de facto sur la table le débat sur la frontière entre optimisation fiscale et fraude fiscale. Si la première est légale, elle est souvent assimilée dans l'opinion publique à la deuxième au nom de la justice et de la morale civique. Les grands groupes ont les moyens de financer la recherche de montages complexes qui jouent sur les statuts des entreprises, leur internationalisation, et les différences de régimes fiscaux selon les pays. L'objectif étant selon eux de payer le moins d'impôts possibles pour être le plus compétitif possible.

Pression fiscale accrue

Par ailleurs, avec la crise de la dette européenne, qui a explosé dans le sillage de la crise financière de 2008, les pays membres de l'UE doivent réduire leurs déficits et la poids de leur dette souveraine. N'arrivant pas à renouer avec une croissance solide, ils sont confrontés à l'imposition de politiques d'austérité, qui passent par une réduction des dépenses publiques et surtout une pression fiscale accrue. C'est dans ce contexte que Bruxelles mène des enquêtes pour trouver quel grand groupe ne paie pas un niveau d'impôts corrélé  à  celui des profits réalisés. Les problèmes de concurrence sont avancés mais la nécessité de trouver de l'argent pour le verser au budget des Etats aussi.

Sauf que dans l'UE, certains Etats sont plus égaux que d'autres. Les plus petits par leur taille subissent une pression plus importante. On l'a vu dans le cas de la Grèce, dont la cure d'austérité n'a pas permis pour le moment une sortie de la grave crise qu'elle traverse, ou encore dans celui de l'Irlande qui a été l'un des premiers pays à devoir faire appel à l'Union européenne pour obtenir une plan d'aide accompagné de conditions drastiques après la faillite d'un système bancaire qui avait nourri une bulle immobilière, et qu'il fallait renflouer.

Question de souveraineté fiscale

C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la décision de Dublin de faire appel, considérant que Bruxelles ne respecte pas sa souveraineté en matière de politique fiscale, reconnue pourtant par les traités européens.

Le "Tigre celtique"

Car son impôt sur les sociétés à 12,5% (contre 33,3% en France) lui a permis non seulement de sortir de la pauvreté mais aussi d'atteindre une prospérité rapide qui lui ont valu le qualificatif de « Tigre celtique », durant la période faste de la fin du siècle dernier. Les grandes sociétés internationales ont pu y installer leur siège européen générant un cinquième des emplois du secteur privé et 14% des recettes fiscales, selon l'OCDE. L'enjeu est donc vital pour l'économie irlandaise. Et l'annonce d'un départ d'Apple et d'autres multinationale serait un coup dur.

Or Dublin sait par ailleurs que tant la France que l'Allemagne veulent que son taux d'imposition des sociétés soit relevé. Les deux pays leaders de l'UE ont bien tenté à la faveur du plan d'aide lors de la crise d'imposer cette exigence au nom de l'harmonisation fiscale européenne. Mais sans succès, pour le moment.

Robert Jules

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Commentaires 5
à écrit le 20/12/2016 à 10:21
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L'Irlande essaie de défendre l'indéfendable cet à dire le cadeaux fiscale offert à Apple au détriment des emplois dans tous les autres pays europeen. Une concurrence deloyale (taux d'imposition de 0.005% sur les ventes effectués en Europe (pas seulem...

à écrit le 20/12/2016 à 7:24
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Un très bon article pour une affaire exemplaire; on verra effectivement les limites du droit, ce que la commission peut imposer à l'encontre (éventuellement) des droits nationaux. Et posons aussi la question de la convergence fiscale au sein de l'UE,...

à écrit le 20/12/2016 à 1:09
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Les comportements d'Apple sont archi connus. Je me souviens d'une grève des employés sur les Champs Elysées à la veille de la sortie d'un nouvel produit, à qui le directeur disait "mes profits ne me permettent pas de vous payer plus". Et il avait r...

à écrit le 19/12/2016 à 22:05
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En essayant de rester poli et correct pour décrire la façon dont nous abuse APPLE sur, au moins, ces 10 dernières années: on s'aperçoit qu'il et impossible d'écrire en restant poli et correct, tellement c'et une honte, tellement c'est répugnant,... E...

le 20/12/2016 à 3:27
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"..Un monde à plusieurs vitesses dont les rouages ne peuvent que casser à un moment ou à un autre...." A mon avis, ça ne va pas tarder...du sang et des larmes qui vont devenir nécessaires et salvateurs pour nos enfants !

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