Elections allemandes : que restera-t-il des cinq programmes d'armement emblématiques de 2017 ?

Le résultat des élections fédérales en Allemagne aura un impact sur la France et, logiquement, sur les relations entre Paris et Berlin. Le groupe de réflexions Mars analyse les probables conséquences de ces élections sur le couple franco-allemand dans le domaine de la défense et de l'armement. Un couple qui pourrait s'éloigner ? Par le groupe de réflexions Mars.
Qui va remplacer Angela Merkel ? Quelles que soient les hypothèses de coalition, rien n'est vraiment bon pour nous Français, en particulier dans les secteurs de la défense et de l'énergie (groupe de réflexions Mars)
Qui va remplacer Angela Merkel ? "Quelles que soient les hypothèses de coalition, rien n'est vraiment bon pour nous Français, en particulier dans les secteurs de la défense et de l'énergie" (groupe de réflexions Mars) (Crédits : CHRISTIAN MANG)

L'Allemagne vote le 26 septembre prochain pour renouveler ses députés fédéraux, élus au Bundestag. Il en découlera un changement de gouvernement, mais qui ne sera pas immédiat. Le système électoral allemand panache scrutin de liste au niveau régional (Länder) pour 400 sièges environ (en fait 300 + un nombre indéterminé de mandats supplémentaires) et élection majoritaire dans près de 300 circonscriptions.

Cela a pour résultat d'imposer à chaque fois, faute d'une majorité absolue issue directement des urnes, la négociation d'une coalition, ce qui peut prendre un certain temps (de quelques semaines à plusieurs mois). Dans l'attente, le gouvernement sortant reste en place et expédie les affaires courantes. C'est pourquoi la chancelière, encore très populaire mais qui ne souhaite pas exercer un nouveau mandat après 16 années d'exercice ininterrompu du pouvoir, ne quittera pas immédiatement ses fonctions.

La CDU en plein doute mais...

Les sondages montrent qu'en l'absence de chancelier sortant, le jeu politique est ouvert comme jamais. La CDU, parti de centre-droit héritier du Zentrum de Weimar, a exercé le pouvoir pendant plus de 50 années cumulées depuis la création de la RFA en 1949 sur le territoire des zones d'occupation des puissances occidentales, soit 70% du temps. C'est le parti dominant, qui a donné à l'Allemagne contemporaine son visage actuel, son système politique et son idéologie dominante (l'ordo-libéralisme). La CDU est cependant aujourd'hui en plein doute, faute d'avoir été capable d'organiser la succession de la chancelière. L'Allemagne ayant été vaccinée durablement contre le culte de la personnalité, il est tout à fait improbable qu'Angela Merkel revienne sur sa décision pour sauver son parti. Ce serait vécu comme une incongruité que l'électeur lui ferait sans doute payer.

Ce n'est pas une consolation, mais force est de constater qu'il n'y a pas qu'en France que le citoyen estime que la qualité du personnel politique est de moins en moins adaptée aux enjeux, ce qui explique en partie l'abstention. Malgré tout, si le scrutin était à 100% uninominal majoritaire comme en France, la CDU (avec son alliée bavaroise CSU, ancrée à droite) obtiendrait encore la majorité absolue, ce qui tend à montrer que l'électeur allemand, s'il se défie du candidat à la chancellerie, continue à faire confiance aux notables CDU-CSU. On peut les comprendre en regardant avec pragmatisme les succès de la stratégie allemande de conquêtes économiques en Europe et ailleurs.

Le SPD, le grand gagnant ?

Plus de 50% des sièges au Bundestag étant attribués au scrutin de liste, cela permet aux petits partis d'émerger et de se faire une place sur l'échiquier politique. C'est ainsi que les Verts, qui n'ont qu'un seul député élu en circonscription, semblent profiter du rejet de la CDU au niveau fédéral et se voient comme le pilier de la future coalition. De même, les autres partis représentés au Bundestag ont très peu d'élus en circonscription. C'est ainsi que les populistes de droite (AfD) disposent actuellement de 13% des sièges avec moins de 13% des voix, et ceux de gauche (Die Linke) 10% des sièges avec 9% des voix. Quant au parti libéral FPD, tous ses députés sont élus au scrutin de liste. Quoi qu'on en pense en France, force est d'admettre que le système politique allemand garantit mieux la pérennité de la démocratie représentative que le système français. Cela permet de contenir le populisme, alors même que le travailleur allemand connaît depuis 20 ans une stagnation de son pouvoir d'achat.

Le principal bénéficiaire de la chute de la CDU au niveau fédéral sera vraisemblablement le SPD, le vieux parti social-démocrate allemand qui fêtera ses 150 ans en 2025. La solidité de son implantation locale explique qu'il ait participé quasiment sans discontinuité au pouvoir depuis 1998, et ce, sans subir d'usure irrémédiable. Son socle en circonscription est actuellement de 60 sièges (contre 230 à la CDU-CSU), mais son candidat à la chancellerie rassure davantage que celui de la CDU ; le SPD devrait donc enregistrer de bons résultats au scrutin de liste.

Consensus pour sécuriser les excédents commerciaux

Tout cela explique pourquoi l'Allemagne ne peut pas connaître de mouvements de balancier très marqués comme cela peut être le cas en France. La réalité politique de l'Allemagne fédérale est celle d'un bipartisme de coalition, dans lequel les deux partis historiquement dominants ne peuvent ni complètement décrocher et disparaître, ni gouverner seuls. Il n'y a donc pas de grands changements à attendre des prochaines élections ; la seule incertitude est celle du nom du chancelier, dont la politique ne sera pas fondamentalement différente de celle d'Angela Merkel.

En termes de politique économique, il y a de toute façon un pacte entre les partis allemands pour conserver des choix politiques destinés à sécuriser les excédents commerciaux et verrouiller les cadres de l'UE en ce sens, fût-ce au détriment des partenaires européens.

Incapable de négocier à l'international

Un tel système institutionnel présente l'immense avantage de la stabilité et de la prévisibilité. Le revers de la médaille résulte de la nécessité permanente en politique intérieure allemande de négocier avec ses partenaires de coalition et de tenir compte des exigences du fédéralisme, ce qui laisse ensuite peu de place à la négociation avec les partenaires internationaux, les équilibres politiques étant toujours précaires.

En pratique, l'Allemagne fédérale se montre politiquement incapable de négocier avec l'étranger ; elle ne négocie donc pas. Soit elle est (seule ou en coalition) en position de force et elle impose sa décision d'une manière ou d'une autre (UE), soit elle se range au consensus (OTAN).

Le financement de la défense en danger en France

En France, la situation est inverse : le pouvoir exécutif dispose d'une légitimité totale pour négocier et décider rapidement, avec l'inconvénient majeur d'un système politique et institutionnel de moins en moins représentatif, donc fiable et crédible à long terme. C'est pourquoi, quelles que soient les hypothèses de coalition, rien n'est vraiment bon pour nous Français, en particulier dans les secteurs de la défense et de l'énergie. Considérant que personne en France n'a de prise en Allemagne pour convaincre sur quoi que ce soit et que les Allemands ont bien conscience de leurs intérêts (on ne peut pas leur reprocher), tout repose sur la capacité de la France à s'imposer vite, de manière intelligente et ferme, dans les négociations à venir.

Concrètement, le pouvoir issu des élections générales du printemps 2022 en France devra d'abord faire face au retour à l'orthodoxie budgétaire après la crise sanitaire. Il lui faudra donc contenir la volonté allemande de réimposer le semestre européen et le contrôle des dépenses publiques, qui auraient un impact direct sur le financement de notre politique de défense. A cet égard, les Français regretteront le pragmatisme de la chancelière, tant les Verts et le FDP sont acquis à ces mécanismes européens inspirés par l'ordo-libéralisme allemand. C'est le grand non-dit de l'actualisation avortée de la LPM en 2021 : sa conformité au semestre européen !

Une approche moins naïve de la politique allemande

Ensuite, la France de 2022, dans le cadre ou la foulée de la présidence française de l'UE au 1er semestre, devra obtenir de l'UE une commande publique commune de matériel de défense, fondée sur le principe de préférence européenne. Les Allemands devront ainsi sortir de leurs contradictions dans leur volonté de continuer à profiter du marché unique tout en ménageant des contreparties aux Etats-Unis contre les intérêts de leurs partenaires (et clients) européens. A défaut, il conviendra de revoir nos accords de coopération en matière de R&D avec eux. Dans l'UE, on ne convainc pas, on troque !

Du point de vue géopolitique, la France devra avoir une approche moins naïve de la politique allemande, qui gagne des parts de marché en Afrique grâce à l'engagement des militaires français et continue à armer (cas des sous-marins) une Turquie pourtant de plus en plus hostile et de moins en moins encline à reconnaître son passé génocidaire. Encore une fois, entre amis, il faut savoir se dire les choses.

Armement : une coopération dynamitée ?

Il en va de même des programmes d'armement en coopération. Que restera-t-il demain des cinq programmes emblématiques de juillet 2017 ? L'Eurodrone MALE RPAS peut-être, lancé au demeurant en 2016, conçu selon le besoin allemand (contre le besoin militaire français) et actuellement à l'arrêt dans l'attente de l'approbation du plan de relance espagnol ? Mais les Allemands sont d'ores et déjà revenus sur leurs engagements concernant le programme MAWS d'avion de patrouille maritime en achetant chez Boeing ; ils vont prochainement officialiser l'abandon de la rénovation de l'hélicoptère Tigre pour se fournir encore chez Boeing (il faut bien aider à sortir de la crise le rival d'Airbus).

La prochaine étape (dès 2022 ?) sera sans doute une première commande de F-35 en lieu et place des F18 nucléaires commandés en 2020 à Boeing (encore au détriment d'Airbus), préalable à la sortie du SCAF l'année suivante lorsque le Bundestag refusera les crédits nécessaires au démonstrateur d'Airbus. Quant aux programmes terrestres MGCS (et CFIS), les besoins semblent si divergents qu'il est inutile à ce stade de les évoquer.

Un rapport de force à rééquilibrer

Il y a une croyance en France qui voudrait que « je ne négocie pas car je suis trop faible ». Telle n'est pas la situation avec l'Allemagne. La France décroche depuis vingt ans et une entrée dans l'euro qui s'est faite aux conditions et à l'avantage de l'Allemagne. Mais étant donné l'excédent commercial récurrent des Allemands chez nous depuis des années, les Français ont les moyens de leur faire comprendre que le droit du marché intérieur européen, qui protège leur expansion commerciale, doit avoir pour contrepartie de partager davantage, avec un fédéralisme budgétaire plus ambitieux et une mutualisation partielle des dettes publiques, sur le modèle du projet présenté en 2016 par un certain Thierry Breton et destiné à sanctuariser l'effort de défense.

Les élections fédérales en Allemagne constituent donc un enjeu pour nous Français, afin d'instaurer un rapport de force destiné à rééquilibrer les relations économiques entre nos pays. La France ne peut plus accepter les milliards d'excédents commerciaux allemands qui l'appauvrissent quand l'Allemagne fait le jeu de puissances non européenne en matière de défense (USA) et d'énergie (Russie). Il en va aussi de la protection du projet européen qui, à défaut, sera très exposé.

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(*) Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

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Commentaires 2
à écrit le 24/09/2021 à 9:59
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A mon avis les auteurs connaissent assez peu la RFA. Merkel s est retiree car elle est pas passee loin de la defaite la deniere fois (usure du pouvoir ?) Ecrire que le travailleur allemand connait la stagnation de son pouvoir d achat est de l humour...

à écrit le 23/09/2021 à 10:13
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effectivement il est temps de se dire les chose entre amis ..sinon faut sortir de tous ces programmes qui occupe le guignol -la france-pendant que l allemagne decroche des contrats sur son dos ...il est temps de se reveiller

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