En Europe et en Ukraine comme partout, il y a l’idéal et il y a des réalités (1/2)

"Un jour viendra où les Américains signifieront aux Ukrainiens qu'il est temps d'en finir". Pour le groupe de réflexions Mars, la Russie ne peut pas perdre, la dissuasion nucléaire la protège d'un effondrement final. Par conséquent, l'Europe doit aider le Kremlin à comprendre en quoi il s'est trompé plutôt que de l'acculer dans une impasse stratégique dont il ne pourra sortir qu'en agitant la menace nucléaire. Par le groupe de réflexions Mars.
La priorité n'est donc pas d'écraser la Russie (encore une fois, c'est impossible à cause de la dissuasion nucléaire), mais de lui faire admettre que l'Ukraine a le droit de choisir son destin. En contrepartie, les Occidentaux doivent admettre que la Russie aussi a le droit de choisir son destin (Le groupe de réflexions Mars)
"La priorité n'est donc pas d'écraser la Russie (encore une fois, c'est impossible à cause de la dissuasion nucléaire), mais de lui faire admettre que l'Ukraine a le droit de choisir son destin. En contrepartie, les Occidentaux doivent admettre que la Russie aussi a le droit de choisir son destin" (Le groupe de réflexions Mars) (Crédits : DADO RUVIC)

L'idéal, ce serait que le Kremlin renonce à sa guerre en Ukraine, admette ses erreurs dans l'analyse des rapports de force et retire ses forces armées de l'autre côté des frontières internationalement reconnues. L'idéal, ç'eût été qu'il existât depuis 30 ans une architecture européenne de sécurité associant l'OTAN, les pays neutres, la Russie et tous les États issus de la disparition de l'Union soviétique en 1991. L'idéal, c'est une Europe stratégiquement autonome ayant maintenu depuis 30 ans son investissement de défense à 3% du PIB en dépit de la dissolution du Pacte de Varsovie.

La réalité, c'est que l'Europe a désarmé depuis 30 ans au point d'avoir complètement abandonné sa sécurité à l'allié américain, qui n'a aucun intérêt à encourager l'autonomie stratégique européenne ni une architecture européenne de sécurité comprenant la Russie. La réalité, c'est que la Russie a formellement annexé la Crimée, le Donbass et la région de Kherson à la suite d'une conquête militaire qu'elle n'a aucunement l'intention d'abandonner. La réalité, c'est une Ukraine économiquement dévastée et démographiquement ravagée, dont la population qui n'a pas fui s'apprête à vivre un hiver dans des conditions épouvantables. La réalité, c'est avant tout 45 millions de victimes d'erreurs politiques et d'échecs diplomatiques depuis 30 ans.

Macron, le courage de le dire

Faut-il persévérer dans l'erreur ? Faut-il continuer à encourager les dirigeants ukrainiens dans l'illusion d'une victoire militaire définitive ? Faut-il continuer à promettre la corde à Poutine et l'acculer au fond du ring ? Dans toutes les guerres arrive un moment où les belligérants sont trop usés pour accorder le moindre crédit aux nationalistes qui continuent à prêcher la guerre. Le président Macron sait que ce moment viendra, même s'il est encore trop tôt. Mais il a le courage de le dire, quitte à essuyer les quolibets de 27 nains. C'est ce qui s'appelle le courage moral en politique : partir du réel au lieu de flatter les illusions nationalistes et de fuir dans l'idéal.

Un jour viendra où les Américains signifieront aux Ukrainiens qu'il est temps d'en finir. La confusion de la semaine dernière entre les déclarations du président Biden et les dénégations de son administration montre que tout le monde n'est pas encore prêt à cela à Washington, mais le signal est donné. Pour paraphraser Thorez, il faut savoir arrêter une guerre. Surtout quand on sait qu'il n'y aura jamais de vainqueur, mais toujours plus de victimes.

La guerre n'est pas une fin en soi

Dans un lapsus révélateur du manque de sérieux et de crédibilité des dirigeants de l'UE, Ursula Von der Leyen a révélé le 30 novembre le chiffre de 100.000 pertes militaires ukrainiennes. Ce qui est inquiétant, ce n'est pas qu'elle confonde morts et blessés, soldats et officiers, même si cela montre qu'elle n'a rien retenu de son passage à la tête de la Bundeswehr, il est vrai marqué par les scandales.

Mais ce faisant, elle compromet une information confidentielle que les Ukrainiens ne souhaitent pas révéler (ils ont immédiatement allumé un contre-feu en poussant le chiffre de 13.000 morts) dans la mesure où il place les pertes ukrainiennes au même niveau que les pertes russes, ce qui n'est pas normal en position défensive. Mais on sait que les combats du printemps dans le Donbass ont été extrêmement meurtriers avant le lancement de la contre-offensive d'été.

La réalité, c'est qu'avec un tel niveau de pertes, les forces armées ukrainiennes ne parviendront jamais à repousser l'envahisseur de l'autre côté de la frontière. Les forces d'occupation russes ont beau être corrompues, mal commandées, mal équipées, mal entraînées et démoralisées, elles ne se sont pas effondrées. Elles perdent batailles sur batailles, mais elles n'ont pas perdu la guerre et ne peuvent pas la perdre, parce que la dissuasion nucléaire les protège d'un effondrement final.

La réalité, c'est que la guerre russe en Ukraine dépend moins de succès tactiques que d'une confrontation multi-domaines. Il faut relire Clausewitz : la guerre n'est pas une fin en soi. Il existe toujours des buts de guerre qui tendent vers un état final recherché différent de la situation d'avant-guerre, que les belligérants finiront par appeler « paix ». Ce sera une certaine forme de paix, un nouvel ordre plus ou moins stable ou chaotique, et certainement une nouvelle ère dans les relations internationales.

La réalité, c'est que la Russie ayant déclenché la guerre, c'est le pouvoir russe qui détient la clé de l'avenir de l'Ukraine. Il n'y aura jamais de paix sans prise en compte de cette réalité. Il faut donc aider le Kremlin à comprendre en quoi il s'est trompé plutôt que de l'acculer dans une impasse stratégique dont il ne pourra sortir qu'en agitant la menace nucléaire.

Invasion russe : une erreur passéiste

Les Russes sont tombés dans le piège de leur propre propagande qui refuse d'admettre que les Ukrainiens (après les Baltes, mais aussi les Géorgiens ou les Moldaves) puissent préférer la démocratie libérale occidentale aux régimes de démocratie formelle qui sont nés du démembrement de l'Union soviétique. Il est vrai que de nombreux intellectuels occidentaux les ont encouragés dans cette illusion. Dans son ouvrage controversé rédigé en réponse à la théorie de « la fin de l'Histoire », Le choc des civilisations et la refonte de l'ordre mondial (édité en 1996, 2011), Samuel P. Huntington estimait que « la violence entre Ukrainiens et Russes est peu probable. Il s'agit de deux peuples slaves, principalement orthodoxes, qui entretiennent des relations depuis des siècles, et parmi lesquels les mariages mixtes sont communs ».

Cette croyance ne prenait pas en compte la tentation des nouvelles générations de l'Ukraine de tourner leur regard exclusivement vers l'ouest, ce que la Constitution ukrainienne de 2019 a officialisé dans son Préambule et aux articles 85, 102, 116. L'agression russe de février dernier procède d'une erreur passéiste d'analyse anthropologique (les Ukrainiens sont des « Petits Russes » qui n'ont rien à voir avec l'Occident décadent) qui entraîne une succession d'erreurs tactiques commises face à une armée ukrainienne « otanisée » depuis 2014 (états-majors, formation des cadres, intégration dans des structures occidentales comme le commandement suprême de la transformation/SACT).

La priorité n'est pas d'écraser la Russie

Il n'y aura pas de paix tant que les Russes n'admettront pas cette erreur d'analyse culturelle. La priorité n'est donc pas d'écraser la Russie (encore une fois, c'est impossible à cause de la dissuasion nucléaire), mais de lui faire admettre que l'Ukraine a le droit de choisir son destin. En contrepartie, les Occidentaux doivent admettre que la Russie aussi a le droit de choisir son destin. Cela passe par la construction d'une architecture européenne de sécurité qui apporte de vraies garanties de sécurité à la fois à l'Ukraine et à la Russie.

On voit mal aujourd'hui quelles garanties l'Ukraine pourrait accepter en-dehors du parapluie nucléaire de l'OTAN. Ce qui était un casus belli pour la Russie pourrait redevenir négociable à condition de renoncer aux préalables irréalistes que les Ukrainiens imposent à l'ouverture de négociations. Autrement dit, l'Ukraine ne peut espérer obtenir de garantie de sécurité sans renoncer en tout ou partie aux pertes territoriales subies depuis 2014.

Une paix durable pourrait résulter de l'abandon par la Russie de ses prétentions à contrôler l'Ukraine et de son refus de l'entrée de Kiev dans l'OTAN, en échange de la constitution d'une zone tampon démilitarisée dans le Donbass et sur la rive gauche du Dniepr rendant impossible le rétablissement de la souveraineté ukrainienne sur ces territoires, qui pourraient être administrés par l'ONU en attendant un référendum d'autodétermination et un destin proche de celui du Kosovo. Ce dont l'Ukraine a besoin, c'est de la garantie liée à l'appartenance à l'OTAN, et ce dont la Russie a besoin, c'est d'un éloignement de l'OTAN de ses frontières. D'une manière ou d'une autre, la solution s'appelle une zone tampon démilitarisée.

Nous entrerons alors dans une nouvelle ère, avec peut-être un nouveau rideau de fer le long du Donetsk et du Dniepr inférieur. Mais le pire n'est jamais sûr, à condition de chercher des solutions viables

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(*) Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

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Commentaires 18
à écrit le 25/12/2022 à 19:32
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Bonjour Actuellement ils y a des groupes de pression qui appelle a une résolution rapide du conflit en Ukraine ( a l'avantage de la russie bien sur ) ... je souhaient revenir sur la dernière tentative de ramènes des regimes hostile a la raisons a ...

à écrit le 23/12/2022 à 12:20
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Le postulat du groupe Mars est deja douteux. La resolution que le groupe preconise donne une impunité à l’agresseur et oblige l’agressé à des concessions. Soit un accord encore en faveur du plus fort.

à écrit le 20/12/2022 à 18:58
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Bonjour, Comme toujours ce groupe de pression fond des remarque pertinente, mais ils n'est pas certains que les ukrainienne accepte la perte d'une part importante de leur territoire... Maintenant, je regrette l'absence de reponce pertinente de n...

à écrit le 20/12/2022 à 14:33
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IX. > « aider le Kremlin à comprendre en quoi il s'est trompé plutôt que de l'acculer dans une impasse stratégique dont il ne pourra sortir qu'en agitant la menace nucléaire. » Encore une fois, le Kremlin est dans ses délires et présente une menace...

à écrit le 20/12/2022 à 14:32
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VIII. > « elles n'ont pas perdu la guerre et ne peuvent pas la perdre, parce que la dissuasion nucléaire les protège d'un effondrement final. » Aucun lien logique. L’URSS s’est effondrée à l’intérieur en ayant un arsenal bien plus important et une...

à écrit le 20/12/2022 à 14:30
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VII. > « La réalité, c'est qu'avec un tel niveau de pertes, les forces armées ukrainiennes ne parviendront jamais à repousser l'envahisseur de l'autre côté de la frontière. » Zéro d’analyse. En réalité, l’Ukraine a déjà récupéré la plupart des terri...

à écrit le 20/12/2022 à 14:29
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V. > « l'Europe a désarmé depuis 30 ans au point d'avoir complètement abandonné sa sécurité à l'allié américain, qui n'a aucun intérêt à encourager l'autonomie ». Donc, le moment actuel est une bonne occasion d’augmenter sa puissance européenne. Ce ...

à écrit le 20/12/2022 à 14:28
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IV. > « une Ukraine économiquement dévastée et démographiquement ravagée, dont la population qui n'a pas fui s'apprête à vivre un hiver dans des conditions épouvantables. » Effectivement, et qui a créé telles conditions ? Et oui, la Russie organise c...

à écrit le 20/12/2022 à 14:27
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III. Les partie prises ? > « la Russie a formellement annexé la Crimée, le Donbass et la région de Kherson à la suite d'une conquête militaire qu'elle n'a aucunement l'intention d'abandonner. » Pourquoi formellement ? On peut encore prononcer cela à...

à écrit le 20/12/2022 à 14:24
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II. > « Ce qui était un casus belli pour la Russie pourrait redevenir négociable ». Désolé, mais il n’y a pas eu de casus belli. Au contraire, tous les responsables d’OTAN ont dit que l’Ukraine ne pourrait pas être à l’OTAN qu’à très long terme. Pa...

à écrit le 20/12/2022 à 14:12
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J’ai déjà eu des doutes sur les compétences du groupe de réflexion Mars, parce que certaines leurs concepts paraissaient douteux. Cet article montre bien qu’il ne me paraissait pas. L’article est bourré de manipulations, de fautes logiques et manque ...

à écrit le 19/12/2022 à 12:52
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Le groupe MARS ne sait pas que 50 à 70 % des pertes dans un conflit classique sont dues à l'artillerie, et que les Russes ont envoyé 3 fois plus d'obus que les ukrainiens. Les pertes ukrainiennes doivent donc être très lourdes...?

à écrit le 19/12/2022 à 11:43
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La réalité géopolitique ne se résume pas à des raisonnements binaires , montrer ses muscles ne suffira pas à régler le conflit que ce soit d'un côté ou de l'autre : diplomatie, Histoire, économie ,politique finances , ressources etc....

à écrit le 19/12/2022 à 11:25
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Beaucoup de bon sens dans ces réflexions.

à écrit le 19/12/2022 à 10:46
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On pourrait tout aussi bien défendre l'idée que l'écoresponsabilité est u masque pour une pensée néo-marxiste qui voudrait à nouveau pouvoir imposer une "transformation profonde de nos habitudes", comme dans l'URSS de 1917, cette fois en se saisissan...

à écrit le 19/12/2022 à 10:02
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Tiens, il y a encore des gens qui pensent... Le miracle de Noël, certainement.

à écrit le 19/12/2022 à 9:49
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Si par defaite de la russie, les auteurs entendent les troupes ukrainiennes a Moscou et Poutine jugé comme a Nuremberg, ils ont raison, c est impossible. Si c est comme en 1905 ou la russie subit une defaite face a japon et doit se retirer et payer, ...

à écrit le 19/12/2022 à 8:54
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Non seulement, la Sainte Russie ne peut pas perdre mais en plus, elle va gagner. L'offensive d'hiver va être phénoménale. L'OTAN sera vaincue. Honte aux dirigeants européens : Merkel, Macron et puis Kyky d'avoir poussé les ukrainiens dans cette fa...

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