
La nouvelle du projet de fusion entre BAE et EADS a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Certes, l'affaire n'est pas encore faite. Mais ne boudons pas notre plaisir. Ce projet de fusion est la meilleure nouvelle pour l'industrie européenne de l'armement depuis bien longtemps. L'Europe de la défense, en parler c'est bien, la faire c'est mieux.
Un projet d'entreprise industriellement cohérent
Ce projet est né dans les états-majors des deux entreprises. Il est le fruit d'une stratégie audacieuse de leurs dirigeants que personne n'a forcé à discuter. Leurs discussions n'auraient pu aller aussi loin sans un premier feu vert des autorités politiques. Si le projet en là, c'est parce qu'il a satisfait les intérêts des deux entreprises et a convaincu tous ceux à qui il a pu être exposé. Pour BAE, spécialiste de la défense en Angleterre et aux États-Unis, il s'agit de trouver des relais de croissance sur le marché de l'aéronautique civile qui continuera de croître à la mesure des échanges internationaux. Pour EADS, il s'agit d'aboutir à un meilleur équilibre entre ses racines européennes et sa présence mondiale, entre ses activités dans l'aviation commerciale et ses autres activités, à l'instar de Boeing. C'est la feuille de route "Vision 2020" tracée en 2008 par Louis Gallois. L'alliance fait sens. Elle ne provoquera pas de licenciements ni chez l'un, ni chez l'autre, même si l'activité d'aéronautique militaire sera réorganisée.
Une nouvelle donne pour l'Europe de l'armement
Evidemment, la question de l'impact de cette fusion sur les autres acteurs de l'industrie européenne de l'armement ne peut être ignorée. Personne ne sait si le projet de fusion BAE-EADS déclenchera un mouvement de regroupement au sein des industries européennes et ce qu'il en ressortira. Mais tout le monde sait que si les marchés de défense européens restent fragmentés et que chaque Etat européen continue de faire des appels d'offre sur une base nationale, alors les "bases industrielles et technologiques de défense" resteront inefficientes parce que sous-critiques et les armées européennes devront abandonner des capacités militaires pour cause de budgets en décroissance. Nous sommes arrivés à un carrefour de la construction européenne. Les Etats européens, impuissants parce que divisés, doivent s'unir pour ne pas être déclassés.
Un moment de vérité pour les Etats
Les cinq Etats concernés par l'accord détiennent entre leurs mains le succès ou l'échec de la fusion. Pour les Etats-Unis, il s'agit de conjurer les risques de transfert technologiques de l'entreprise BAE-Etats-Unis vers les filiales européennes du groupe. Mais l'étanchéité est déjà totale et la filiale de BAE aux Etats-Unis est une société américaine opérée par des Américains au profit d'intérêts américains. On a du mal à voir ce que le gouvernement des États-Unis pourrait demander de plus. Exiger un démembrement serait un acte majeur de défiance envers l'Allemagne et la France.
Les quatre autres Etats européens impliqués dans la fusion ont leurs préoccupations propres. Pour certains au Royaume-Uni, il s'agit d'accepter la présence de l'Etat français au capital d'une entreprise de défense nationale. Les mêmes craintes animaient le gouvernement allemand en 1998, lors de la création d'EADS. C'est pour cela que l'Etat français, bien qu'actionnaire n'a aucun représentant au conseil d'administration d'EADS. Mais on ne peut pas vouloir tout et son contraire : vouloir mettre l'entreprise à l'abri de l'influence des Etats et ne pas accepter des décisions entrepreneuriales, telles que le regroupement du siège à Toulouse. Pour nous Français, la question primordiale est de mesurer l'impact de cette fusion sur l'avenir de nos champions nationaux.
Toutes ces considérations doivent être évaluées. Mais de grâce faisons vite et cessons de voir ce qui rend les choses difficiles pour nous concentrer sur ce qui les rend possible. Si nous croyons vraiment en ce que nous disons, si nous croyons vraiment en l'Alliance franco-britannique, si nous croyons vraiment en une défense européenne alors faisons-les. Cela ne tient qu'à nous. Ce projet est une opportunité extraordinaire. Ne la laissons pas passer.
* Jean-Louis Carrère (PS) est président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Daniel Reiner (PS) et Jacques Gautier (UMP) sont rapporteurs du programme 146 "équipement des forces".
Que, de plus, Washington pourrait inciter Londres à bloquer les traités européens dont la révision est urgente pour résoudre la crise économique et monétaire (càd un chantage en imposant une date-limite du 10 octobre avant le Sommet européen du 18 octobre consacré au règlement de la dette) si le marché européen de la défense n?est pas transféré à Londres ?
Revenons les pieds sur terre, ne cédons pas aux pressions extérieures, encore moins à la convoitise de sociétés financières. Il n?est pas nécessaire de sacrifier EADS dans une fusion boiteuse pour faire fonctionner l?Europe de la défense et garantir une bonne coopération avec les Britanniques, ni même pour atteindre une taille critique industrielle, comme en témoigne la fabrication effective de la section 15 de l?A350 par Boeing. Evitons la précipitation et ce projet de fusion coûteux, traumatisant et inutile, ce qui laissera libre cours à BAE aux E-U. Une place neutre et centrale comme EuroNext est aussi nettement préférable pour la capitalisation. Par contre, il devient urgent de mettre sur pied un commandement inter-armées où les Britanniques peuvent même avoir une place prépondérante. De cela, personne n?en parle.
Accès au marché américain de la défense ? Pensez à l'affaire des avions ravitailleurs KC45. Si BAE cesse d'être anglo-saxonne (plus que britannique, elle est actuellement américano-britannique - comme la dissuasion nucléaire britannique, d'ailleurs...), alors les Américains lui fermeront leur marché.
Tout ça procède du degré zéro de la pensé stratégique et du degré infini de la bêtise conformiste et carriériste. Je ne doute pas qu'Enders serait très fier d'avoir contribué à créer le numéro 1 mondial de l'aéronautique, mais quel est l'intérêt pour l'Europe s'il faut, pour prétendre construire l'Europe de la défense, abandonner tout contrôle de son propre destin militaro-industriel au profits des ces marchés basés à Londres et New-York ?
Et si ceci était une offensive contre Dassault, seul vrai garant, à l'heure actuel, de l'existence d'une aéronautique indépendante en Europe ?