Accord de libre-échange UE-USA : le monde nous regarde !

Les négociations sur un accord de libre-échange entre l'Union Européenne et les Etats-Unis se poursuivent. Pour Michael J. Boskin, Professeur d'économie à l'Université de Stanford, au delà des bénéfices pour les parties concernées, un tel pacte aurait une incidence mondiale...
Michael J. Boskin (c) Bloomberg News

Les négociations entre les États-Unis et l'Union européenne sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ont maintenant commencé, et représentent a priori le plus important accord de libre-échange pour cette zone dans l'Histoire. S'il aboutit, le TTIP va englober plus de 40% du PIB mondial et représenter de grandes parts du marché mondial et d'investissements directs étrangers. Les États-Unis et l'UE se sont fixé l'objectif ambitieux de clôturer les négociations d'ici fin 2014. Pourtant la conclusion de la plupart des accords commerciaux a souvent pris beaucoup plus de temps.

La promesse de négociations difficiles

Les enjeux du TTIP sont considérables. Avec l'adhésion de la Croatie début juillet, l'UE compte désormais 28 États membres, chacun ayant ses propres intérêts spécifiques. Ces derniers les poussent vers la promotion ou la protection du commerce, en fonction de leur avantage comparatif, de leur histoire et de leur puissance politique nationale.

En outre, la portée souhaitée de l'accord est vaste, ce qui en complique encore le processus. Le TTIP est censé supprimer toutes les règles tarifaires et réduire les barrières non tarifaires y compris dans l'agriculture, élargir l'accès au marché du secteur des services, apporter une meilleure harmonisation de la réglementation, renforcer la protection de la propriété intellectuelle, limiter les subventions aux entreprises publiques, entre autres. Tout ceci promet des négociations difficiles: en effet la France a déjà demandé et obtenu une « exception culturelle » pour le cinéma et la télévision.

Il y a toujours des perdants dans les accords de libre-échange

Le développement des échanges augmente le revenu moyen de tous les pays concernés. Les économistes estiment que le libre-échange mondial a permis de nombreux cycles de négociations multilatérales (le dernier en date étant le cycle d'Uruguay, qui a abouti à la création de l'Organisation Mondiale du Commerce), qui ont fait augmenter le revenu mondial de manière substantielle.

Les accords de libre-échange régionaux (ALE), comme le TTIP ont la même fonction, mais une partie des bénéfices peut se faire au détriment d'autres partenaires commerciaux. Dans chaque pays, en dépit de bénéfices nets, il y a aussi des perdants. La meilleure façon de répondre aux préoccupations économiques, politiques et humanitaires soulevées par les accords commerciaux, passe par des règles de transition, de soutien du revenu temporaire et du recyclage, plutôt que par le maintien de barrières protectionnistes.

De gros bénéfices à tirer de ce pacte

Les bénéfices provenant de ces pactes proviennent d'une variété de facteurs, dont le plus important est l'avantage comparatif : les pays spécialisent leur production de biens et de services dans des secteurs où ils sont relativement plus efficaces, et vendent ces biens et services à d'autres pays. Les économies d'échelle ainsi que d'autres facteurs entrent également en jeu.

Comme la portée de la libéralisation des échanges diminue, les profits diminuent à leur tour, dans une plus forte proportion. Les estimations des bénéfices annuels d'un TTIP pleinement réalisé sont de 160 milliards de dollars pour l'UE et de 128 milliards de dollars pour les Etats-Unis. Le Premier ministre britannique David Cameron prévoit deux millions d'emplois. Et un coup de pouce non inflationniste à la croissance dans une économie mondiale faible serait particulièrement opportun.

Supprimer les règles et les restrictions locales

Mais le diable est dans les détails. Les tarifs sont généralement modestes déjà, donc les bénéfices provenant de la poursuite de leur réduction seraient eux-mêmes modestes. Il est essentiel de supprimer les barrières non tarifaires, telles que les règles et les restrictions locales qui ne sont pas fondées sur des préoccupations de santé et de sécurité légitimes d'un point de vue scientifique ou, en dépit des pressions politiques qui tentent de les maintenir ou de les renforcer. Une limitation à la portée du commerce et des investissements englobés par le TTIP en réduirait aussi les bénéfices.

Les négociations commerciales croissent soit de manière large et ramifiée, soit de manière étroite et limitée. Le NAFTA (ALENA), par exemple, a suivi la première voie, en augmentant considérablement les échanges commerciaux entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Son imitation, le SAFTA (l'Accord de libre-échange d'Asie du Sud), a lentement évolué vers la réduction des tarifs et de la liste des éléments exclus : ainsi l'Inde a signé des ALE bilatéraux distincts avec le Bangladesh et le Sri Lanka.

Des désaccords majeurs

Le TTIP se divise en 15 groupes de travail spécialisés. Alors que les négociations sont nouvelles, les problématiques qui séparent les deux camps sont reconnues de longue date. L'une des plus difficiles est la limitation des importations d'aliments génétiquement modifiés par l'UE, qui pose un problème majeur à l'agriculture des Etats-Unis. Une autre est la réglementation du secteur financier, où les banques des Etats-Unis préfèrent les réglementations de l'UE pour leur cadre national émergent plus rigoureux (comme les normes de capitalisation plus exigeantes pour les grandes banques récemment proposées par les organismes de réglementation des Etats-Unis).

Plusieurs autres désaccords graves empêchent un accord global. Par exemple, les groupes pharmaceutiques des Etats-Unis ont une protection de propriété intellectuelle nationale plus forte qu'au sein de l'UE. Le secteur du divertissement va faire l'objet de fortes controverses, avec la distribution de programmes audio-visuels en ligne. Et la loi Jones de 1920 à présent dépassée, qui oblige les marchandises transportées entre des ports américains à être expédiées uniquement sur les navires américains (souvenez-vous de la confusion quant à la possibilité de navires étrangers de venir en aide au moment de la marée noire de BP dans le Golfe du Mexique). Les règlementations et les restrictions de sécurité sur les sociétés à participation étrangère dans des secteurs sensibles représentent de nouveaux points de controverse.

Un accord de libre-échange à incidence mondiale

Le TTIP ne concerne pas seulement les Etats-Unis et l'UE. Le Mexique a déjà un ALE avec l'UE et le Canada est en train d'en négocier un. À un certain point, il faudra harmoniser le NAFTA et le TTIP.

Pendant ce temps, d'autres pays du monde, qui représentent toujours plus de la moitié du PIB mondial et l'essentiel du commerce mondial et de l'IDE, se demandent de quelle manière le TTIP aura une incidence sur chacun d'eux. Une possibilité, suggérée par mon ex-collègue, l'ancienne Représentante américaine au Commerce Carla Hills, serait qu'un TTIP réussi donne une impulsion décisive pour ranimer des négociations de libre-échange mondiales du cycle de Doha moribond. Le cycle d'Uruguay a bénéficié d'un coup de pouce similaire peu après signature du NAFTA.

Un intérêt pour tous

Chaque personne dans le monde a un intérêt dans le déroulement des négociations du TTIP et dans leurs les résultats. Pour prendre un exemple simple, des règles européennes plus raisonnées sur les importations de produits agricoles génétiquement modifiés en provenance d'Amérique du Nord, s'ils se traduisent par une surveillance attentive et appropriée de l'Afrique, pourraient être une véritable aubaine pour l'agriculture africaine. Ne pas saisir l'occasion d'ajouter de telles opportunités au programme des négociations du TTIP revient presque à coup sûr à interdire les aliments génétiquement modifiés en Afrique.

Des questions analogues surgissent pour chaque secteur et pour chaque réglementation, au coup par coup. Nous pouvons espérer, mais sans aucune garantie, que les modalités convenues à la clôture des négociations du TTIP viendront justifier l'enthousiasme de leur ouverture.

*Michael J. Boskin est Professeur d'économie à l'Université de Stanford et membre de l'Institution Hoover. Il a présidé le groupe des Conseillers économiques du président H. W. Bush de 1989 à 1993.

© Project Syndicate 1995?2013

 

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Commentaires 10
à écrit le 23/07/2013 à 19:12
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Le marché transatlantique que Pierre Hillard qualifie d?OTAN économique est un projet qui ne date pas d?hier, sauf pour les médias qui semblent le découvrir comme toujours quand les dés semblent jetés. Pour le simple citoyen, même chose, un matin il ...

à écrit le 23/07/2013 à 19:09
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Quelle propagande et enfumage http://fr.novopress.info/140371/tribune-libre-marche-transatlantique-dormez-braves-gens-par-franck-vinrech/

à écrit le 20/07/2013 à 20:02
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Relisez le bouquin de huntington, "clash of civilisations" et vous commencez à comprendre, et pourquoi la grèce, pays qui ne fait pas partie du monde "occidental"( mais la croatie oui) selon ce schéma a été attaqué avec la bénédiction de banques amé...

à écrit le 19/07/2013 à 16:00
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Devrait-on manger son chapeau au prétexte idiot que le monde nous regarde ? "Nous".. qui ? Le vieux Boskin parle d'un cartel occidental dont il imagine les USA en chef de file. C'est la mission qui avait été donnée à son pays durant 120 et qui a pris...

à écrit le 19/07/2013 à 14:57
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Ce que le professeur JR Boskin omet de dire : a) la France n'est pas intéressée par cet accord, car l'Amérique du Nord n'est pas sa zone de prédilection pour exporter, contrairement à l'Allemagne ou au Royaume-Uni (Vivement le référendum !) ; b) la b...

le 19/07/2013 à 15:43
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+1

le 19/07/2013 à 17:40
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@ ivanleterrib - Rarement lu une synthèse aussi pertinente. Bravo.

à écrit le 19/07/2013 à 13:26
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La France a tout à y perdre, les seuls gagnats seront les allemands, exportateurs aux US de leurs grosses bagnoles, nous recevront nous les produits agricoles ogémisés et passeront d'une nourriture globalement saine à un brouet dopé. Agriculteurs fra...

à écrit le 19/07/2013 à 13:13
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Aurait- il a fait ses études à la même université que ce cher Barroso, celle qui forme les cadres de la CIA ?

à écrit le 19/07/2013 à 11:47
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N'importe comment ils ne peuvent que se mettre d'accord car c'est l'objectif de la mondialisation. Ils se sont d'ailleurs mis d'accord depuis longtemps sur le principe, les négociations d'aujourd'hui ne sont qu'une suite des décisions d'hier.

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