Ecrans partout : le multitâches nous rend-il moins intelligents ?

La profusion de données numériques accapare notre disponibilité intellectuelle, en nous poussant à faire plusieurs choses en même temps. Notre créativité s'en trouve bridée. Par Tracy Johnson, Directrice de l’Ethnographie Monde Nurun.
A cause de l'omniprésence des écrans dans nos vies quotidiennes, "il semblerait que nos capacités de concentration aient atteint leurs limite", constate Tracy Johnson. /DR

Nous vivons à une époque où une multitude de flux d'informations entrent en compétition les uns avec les autres pour attirer notre attention. L'augmentation constante des points de stimulation dans notre environnement (smartphone, tablette, ordinateur, TV, etc.) semble être inversement proportionnelle à notre temps libre et à notre disponibilité intellectuelle. Au-delà de l'idée que l'ère Internet a créé un univers riche en contenu mais pauvre en attention, il semblerait que nos capacités de concentration aient atteint leurs limites.

Malgré le déséquilibre croissant entre le volume toujours plus important de contenus digitaux et la capacité d'assimilation décroissante des consommateurs, la plupart des acteurs du web et les utilisateurs eux-mêmes continuent à créer toujours plus de photos, de vidéos et de billets de blogs. 72 heures de vidéo sont ajoutées toutes les minutes sur Youtube, ce qui représente 12 années de contenus par semaine. Même s'il est physiquement impossible de regarder plus de l'équivalent d'une semaine de vidéos Youtube dans toute une vie, beaucoup adoptent sur Internet des comportements de consommation frénétique, par peur de passer à côté d'une information ou d'un contenu plus intéressant que le précédent. C'est ce que les Américains appellent le FOMO (Fear of missing out - la peur de passer à côté).

Faire plusieurs choses à la fois abîme notre cerveau

La journaliste new yorkaise Maggie Jackson écrit à ce sujet que cette tendance à faire plusieurs choses en même temps (multitasking) de manière compulsive est source de stress et de frustration. Pire, elle bride notre créativité, tout autant qu'elle abime notre cerveau. Cela a d'ailleurs été démontré par deux chercheurs de l'université du Michigan, Andy Henion et Mark Becker. Ils ont mis en lumière la corrélation entre le multitasking et des problèmes psychologiques sérieux, comme la dépression ou l'anxiété. De son côté, Cliford Nass, le spécialiste des sciences cognitives de l'université de Standford, parle de « désorganisation mentale ».

Qu'est-ce qui nous pousse alors à cette distraction destructrice ? La réponse se trouve d'abord dans notre constitution neurologique. Jackson explique : « Nous sommes programmés pour être interrompus. Le corps secrète de l'adrénaline à chaque fois que nous nous orientons vers un nouveau stimuli : nous sommes récompensés chaque fois que nous nous concentrons sur quelque chose de nouveau. Donc, dans un monde toujours plus rapide, il est très tentant de toujours réagir à la nouveauté. Mais quand nous vivons en permanence de manière réactive, nous minimisons notre capacité à atteindre des buts précis. ». On peut aussi relever des facteurs sociaux et notamment ce que l'on pourrait qualifier de « Bovarisme numérique » selon une expression récente de Georges Lewi : l'internaute est comme aspiré dans un flot ininterrompu de fiction digitale, dans lequel il projette sa propre vie.

La peur de manquer le dernier tweet, la dernière information

Alors que nous sommes terrifiés à l'idée de manquer le dernier tweet, la dernière info sur Facebook ou la dernière rumeur sur telle ou telle personnalité, l'attention que nous consacrons à une tâche en particulier diminue. Dans notre course à l'information, nous finissons par ne rien faire et ne rien connaître complètement. Dans notre désir de ne jamais manquer ce qui pourrait être important, nous finissons par devenir incapables d'ignorer la moindre donnée inutile.

Dans ce contexte, comment les entreprises de demain nous permettront d'être plus productifs, plus concentrés et donc moins enclins au multitasking ? Pour le moment, nous semblons nous diriger vers toujours plus de motifs de distraction.

Au sein même du monde connecté, on peut trouver néanmoins plusieurs outils de productivité qui sont conçus pour nous aider à nous concentrer, et à éviter les contenus inutiles. L'extension Cruxlight pour Chrome répond à ce besoin : elle surligne les mots-clés dans les textes des pages web et propose à l'utilisateur des résumés à partir des informations données et du temps imparti. Si une telle extension simplifie les recherches et concentre l'attention directement sur ce qui est important, elle contribue aussi, paradoxalement, au problème qu'elle est censée résoudre. Elle nous pousse à dériver encore plus rapidement d'une source à l'autre, sans laisser à notre cerveau le temps nécessaire pour bien assimiler l'information et la comprendre en profondeur.

Même dans le digital, nous ne pouvons faire qu'une chose à la fois

Ce constat nous rappelle une donnée essentielle : même en matière de digital, nous ne pouvons faire qu'une seule chose à la fois, et bien faire cette chose implique d'y consacrer du temps. Les professionnels du web, pour répondre au mieux aux besoins de l'utilisateur, doivent d'abord comprendre ces nouveaux comportements. Notre penchant naturel pour la multiplication simultanée ou successive des tâches numériques doit être pris en compte. Il fait de nous des individus dont le temps est compté, ce qui ne doit pas être une raison pour accaparer notre « temps de cerveau disponible » en flattant nos plus bas instincts de zappeurs invétérés.

Cette approche doit à l'inverse être l'occasion d'améliorer les outils et services digitaux pour les rendre utiles et permettre à chacun d'y passer le temps nécessaire, dans les meilleures conditions.

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Commentaire 1
à écrit le 18/06/2014 à 19:43
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Au contraire faire plusieurs choses stimule les neurones...

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