Pour une vraie coopération sino-américaine

L'accord conclu entre la Chine et les États-Unis contre le réchauffement climatique est insuffisant. Il faudrait aller beaucoup plus loin dans un accord de libre-échange entre les deux pays, synonyme de réels gains de productivité. Par Philippe du Fresnay, économiste*.
Philippe du Fresnay, auteur de "Négocier avec les Chinois".

"Un monde effrayant d'instabilité" nous attend si les gouvernements ne font pas face à la menace climatique, a mis en garde le président de la Banque mondiale, le Dr Jim Yong Kim, qui a ajouté que l'annonce sino-américaine de réduire les émissions de carbone à partir de 2020 était une « avancée significative ». Le récent Sommet de l'APEC [Asia-Pacific Economic Cooperation, Ndlr] est une victoire de la négociation perpétuelle entre Washington et Pékin, qui se sont engagés au travers d'un traité bilatéral d'investissement à collaborer sur les deux enjeux du 21e siècle : le contrôle climatique et le libre-échange.

Le jeu à somme nulle du commerce mondial

Les crises que nous avons subies jusqu'ici étaient des corollaires des règles économiques que nous avions bâties, en mettant en évidence leurs lacunes. Nos modèles de développement ont toujours pu s'y adapter et évoluer en conséquence, comme un corps s'adapte aux virus qui l'attaquent. Jusqu'à aujourd'hui. Car si le réchauffement climatique est bien la conséquence de nos croissances, il pervertit l'intégralité de notre environnement, donc de nos fondamentaux, par un cercle vicieux qui traduit une crise évolutionnaire, « méta-économique », dont nul n'est à l'abri.

Laisser aux autres le soin de réduire la pollution conduira à des cataclysmes

Car dans le jeu à somme nulle de redistribution des richesses du commerce international , les gagnants basent leur croissance sur la récession des perdants. Tous les pays laissaient donc jusqu'ici aux autres le soin de restreindre leur pollution pour le bien commun. Une telle tendance, selon les dernières estimations de la Banque Mondiale, entraînerait d'ici 2050 des cataclysmes tels qu'une perte de 70% des réserves de soja au Brésil, la réduction de 80% des terres arables au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ou des sècheresses en Asie Centrale.

Seules la Chine et les États-Unis, qui représentent plus de 40% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, peuvent initier un accord global qui inverserait la tendance sur le climat, en montrant l'exemple : leur engagement à tenir un agenda inciterait leurs partenaires à les imiter sous peine de se voir ostracisés.

L'usine du monde contrainte d'assumer la pollution de ses clients

Une négociation avantageuse pour le monde, moins pour la Chine. Car en 2030, le revenu moyen par habitant chinois se situera entre 12.000 et 16.000 euros en monnaie constante : la moitié de la moyenne OCDE aujourd'hui. La Chine bride donc volontairement une production dont elle a besoin. D'autant plus que l'usine du monde assume la pollution de ses clients : un tiers de ses émissions est dû à la consommation occidentale. Une fois réajustées, leur niveau total équivaut à celui des États-Unis et, ramenées au niveau par habitant, elles en seraient le quart. Enfin, la Chine ne pollue pas depuis longtemps : la majorité des gaz à effet de serre dans l'atmosphère vient historiquement des pays de l'OCDE. En s'engageant à plafonner ses émissions en 2030, Pékin confirme que si l'Occident a fait payer sa croissance à la planète, l'Orient s'y refuse.

Pour une coopération sino-américaine étendue au libre-échange

Mais depuis 2008, l'économie mondiale a vécu une croissance anémique. Et le récent G20 de Brisbane n'y changera rien tant que le libre-échange sera en recul. La période de développement pré-crise a été largement tirée par l'OMC : au fur et à mesure que les émergents y adhéraient, les gains d'efficacité liés à leurs avantages comparatifs dynamisaient l'économie mondiale. Hélas, cet élan vertueux de libéralisation des échanges est mis en cause par une balkanisation des accords : les États-Unis prônent un Partenariat transpacifique (TPP) dont ils excluent la Chine, qui propose une zone de libre-échange intra-APEC . Washington négocie un accord similaire avec l'Europe, Pékin avec l'ASEAN...

Ces ensembles régionaux ne génèreront pas de gains de productivité suffisants pour l'économie mondiale, et ce « pat » entre Pékin et Washington semble entériner leur division, faisant écho au terme de « guerre froide » employé récemment par Vladimir Poutine et Mikhaïl Gorbatchev. Pourtant, une coopération sino-américaine étendue au libre-échange permettrait de réduire à la fois le réchauffement climatique et la stagflation mondiale.

Car les deux plus grandes et dynamiques économies de l'OCDE incluent dans leur complémentarité les leviers de croissance de la prochaine décennie : pour protéger l'environnement, cette croissance doit être basée sur l'efficience, avec le commerce comme variable d'ajustement. Le pacte sino-américain sur le contrôle climatique est un premier pas. Mais Washington et Pékin doivent reconsidérer l'architecture de leurs accords afin de fédérer leurs partenaires commerciaux, au lieu de les polariser.

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*Auteur de "L'ère de l'économie globulaire" et de "Négocier avec les Chinois 2015" (ESKA), lauréat du prix littéraire du Centre international de la mer (présidence d'Erik Orsenna), Philippe du Fresnay intervient régulièrement sur les médias français.

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