Automatisation : ce que les pays d'Europe du Sud peuvent apprendre du Royaume-Uni

OPINION. Le marché de l'automatisation connaît une croissance sans précédent, mais son adoption est loin d'être uniforme dans toutes les régions du monde. Par Massimo Pezzini, Head of Research, Future of the Enterprise chez Workato.
(Crédits : DR)

Les "points chauds" de l'automatisation en Europe sont notamment le Royaume-Uni, suivi par les Pays-Bas/Belgique, les pays nordiques et l'Allemagne. Pourquoi ces pays profitent-ils si rapidement des avantages de l'automatisation et que peuvent apprendre leurs voisins d'Europe qui connaissent une croissance plus lente ?

La course à l'automatisation

Les entreprises du monde entier se tournent vers l'automatisation pour réduire les coûts et améliorer l'efficacité. Dans son récent rapport Forecast : Enterprise Infrastructure Software, Worldwide, 2020-2026, 2Q22 Update(1), Gartner prévoit que le marché mondial des technologies d'intégration et d'automatisation* atteindra près de 39 milliards de dollars d'ici la fin 2026 - contre environ 24 milliards de dollars en 2021. Ces technologies aident les organisations à accroître leur efficacité et à réduire leurs coûts, à améliorer l'expérience des clients et des employés, à atteindre une plus grande agilité commerciale, à fournir des informations commerciales en temps réel, ainsi qu'à permettre une innovation plus rapide et plus omniprésente au sein de l'organisation.

Alors que des programmes de transformation numérique plus larges s'installent, les entreprises démocratisent de plus en plus leur approche des technologies d'intégration et d'automatisation en les mettant à la disposition de services transverses à l'entreprise finance, RH, ventes, marketing, support client...). Une récente étude de Workato a révélé que 66% des organisations utilisaient désormais la plateforme dans 5 départements ou plus et que le nombre d'organisations dont 7 départements s'automatisent a presque triplé depuis 2019. Ce rapport révèle également que le rôle du service informatique a évolué : celui qui avait auparavant la seule charge de projets purement informatiques est désormais considéré comme un facilitateur en fournissant un soutien aux départements lorsqu'ils introduisent leurs propres automatisations.

D'autres macro-tendances amènent les organisations avant-gardistes de tous les secteurs à prendre conscience des avantages à tirer de l'intégration et de l'automatisation. Il s'agit, sans surprise, de la poussée continue vers la transformation numérique. Selon l'étude Gartner 2022 CEO Survey - The Year Perspectives Changed(2), 54% des dirigeants souhaitent "maintenir leur nouveau rythme numérique" et 35 % s'attendent à "adopter une vision et une ambition numériques plus élevées".  Parmi les autres tendances notables, citons l'adoption croissante de l'"hyper automatisation", où les entreprises cherchent à automatiser un maximum de fonctions le plus rapidement possible. Enfin, nous assistons à la montée en puissance de l'"architecture d'entreprise composable", qui aide les organisations à atteindre des cycles d'innovation plus rapides et une plus grande agilité commerciale en développant de nouvelles applications via une collaboration plus étroite entre l'informatique et les entreprises.

Les champions européens de l'automatisation

Dans ses prévisions 2020-2026, Gartner révèle que pour 2021 en Europe occidentale, le marché des technologies d'intégration et d'automatisation a connu une croissance de 16%, mais seul le Royaume-Uni a connu une croissance supérieure à celle du marché (19%), alors qu'il est le plus grand consommateur européen de cette technologie. Parmi les autres régions, DACH (Allemagne, Autriche, Suisse), les pays nordiques et les Pays-Bas/Belgique sont les leaders européens de l'adoption de l'intégration et de l'automatisation, les dépenses pour 2021 sur ce marché DACH ayant augmenté d'environ 16 % et les deux autres régions d'environ 15 %. Les principales industries qui adoptent l'intégration et l'automatisation sont les télécommunications, les médias, les services financiers et la fabrication. Le fait que ces régions soient le moteur de l'adoption est cohérent avec ce que nous avons vu historiquement, car elles se montrent plus réceptives à l'innovation et désireuses d'essayer de nouvelles technologies.

En outre, ces régions ne se contentent pas de relever les défis posés par les grandes tendances macroéconomiques qui affectent les opérations commerciales. Elles sont arrivées à la conclusion claire que l'automatisation n'aura pas d'impact négatif sur le volume d'emplois, mais qu'elle contribuera au contraire à créer davantage d'emplois et à enrichir les rôles existants à mesure que les tâches les plus banales seront automatisées. Le Forum économique mondial estime que d'ici 2025, la technologie créera au moins 12 millions d'emplois de plus qu'elle n'en détruira, signe qu'à long terme, l'automatisation sera un élément positif net pour la société.

L'une des raisons pour lesquelles le Royaume-Uni en particulier a adopté l'automatisation plus facilement que certains de ses voisins, est peut-être due aux défis économiques que le pays a rencontrés au cours des six dernières années. À l'instar du reste du monde, le Royaume-Uni a dû faire face à la pandémie de COVID-19 mais, en plus, il a dû faire face aux retombées du Brexit. Cet événement a plongé le secteur manufacturier et les entreprises britanniques dans l'incertitude et a contribué à un ralentissement de la productivité (sans parler de la diminution de la main-d'œuvre).

Utilisées correctement, l'intégration et l'automatisation peuvent contribuer à contrer à la fois une baisse de la productivité et une réduction des effectifs. Selon l'OCDE, les entreprises qui utilisent efficacement les innovations technologiques sont entre deux et dix fois plus productives que celles qui ne le font pas. L'automatisation aide également les industries et les entreprises à réduire leurs coûts, ce que la pandémie a mis en évidence. Selon Forrester(3), la pandémie de COVID-19, bien qu'en voie de disparition, a changé de façon permanente le cours des affaires pour de nombreuses entreprises et industries. Parmi ces changements, elle a forcé les entreprises à adopter des programmes d'automatisation plus sophistiqués qui ont la capacité de remanier les priorités en un clin d'œil en utilisant les dernières analyses. Et alors que les organisations de tous les secteurs accélèrent leurs transformations numériques, celles qui mettent en œuvre l'automatisation ont toutes les chances de l'emporter sur celles qui ne le font pas.

Doutes sur l'automatisation dans le sud

Toujours selon les prévisions 2020-2026 de Gartner, les dépenses en technologies d'intégration et d'automatisation sont relativement lentes dans les pays d'Europe du Sud tels que la France (+13 %), mais surtout l'Espagne (+11 %) et l'Italie (+8 %). On peut alors se poser la question : qu'est-ce qui empêche l'Europe du Sud de tirer parti de l'automatisation et de réaliser ces gains ? L'une des explications est le manque de sensibilisation. Une grande partie de l'industrie n'est toujours pas consciente du potentiel de l'intégration et de l'automatisation et de ce qu'elle peut accomplir - et surtout du fait qu'il n'est pas nécessaire d'engager un expert pour mettre en place une plate-forme d'automatisation. Il existe une idée préconçue et fausse (dans toutes les régions du monde) selon laquelle les technologies d'intégration et d'automatisation sont des privilèges réservés aux grandes entreprises disposant de programmeurs experts et de budgets importants, alors qu'en réalité, les technologies modernes qui utilisent des approches no code ou low code ne sont pas d'un coût prohibitif et peuvent être programmées par des personnes ayant des compétences informatiques même modestes.

La lenteur de l'adoption dans le sud de l'Europe peut également être due à d'autres facteurs, qui sont moins simples à résoudre. L'Italie et la France, en particulier, ont un marché du travail nettement moins fluide (changements d'emploi moins fréquents) que les autres pays européens. Selon un récent rapport du NBER, des pays comme le Royaume-Uni et les pays nordiques, où les niveaux de fluidité du marché du travail sont plus élevés, connaissent une plus grande accumulation de capital humain, les travailleurs acquérant de nouvelles compétences. L'Italie et la France, où ces niveaux sont faibles, tendent non seulement à avoir des salaires plus bas mais aussi une plus grande crainte de la stabilité de l'emploi.

En effet, la peur et la réticence des travailleurs du sud de l'Europe à l'égard de l'introduction de technologies susceptibles de réduire les emplois ou de modifier radicalement les structures internes sont des facteurs qui freinent le décollage de l'automatisation, à l'instar de la rigidité du marché du travail local ou encore de la difficulté à changer d'emploi.

En Espagne en 2020, une comptable d'un hôtel de Las Palmas, Gran Canaria, a été licenciée par son employeur après 13 ans après la mise en place d'un nouveau système informatique capable d'effectuer tout son travail et celui de son équipe sans s'arrêter pour une pause. L'affaire a été portée devant les tribunaux et a été jugée en sa faveur, le juge estimant que "l'automatisation pourrait entraîner des pertes d'emploi pour 35 % de la population active." Cette conclusion, aussi mal informée soit-elle, a alimenté les inquiétudes autour de l'innovation et de l'automatisation cannibalisant les emplois. Contrairement aux pays qui adoptent rapidement la technologie, où l'innovation technologique est saluée comme le moteur de l'économie, la crainte de longue date que l'automatisation ait un impact négatif sur la main-d'œuvre est un facteur clé du ralentissement du décollage en Espagne et dans d'autres pays d'Europe du Sud.

En conclusion, l'adoption plus lente de l'automatisation dans certains pays européens est le résultat d'un certain nombre de facteurs, telles que les barrières culturelles ou encore le manque de sensibilisation aux avantages que l'intégration des systèmes et l'automatisation des flux de travail peuvent apporter à une entreprise. Alors que le monde économique s'internationalise de plus en plus et que les entreprises sont en concurrence par-delà les frontières, les entreprises françaises, espagnoles et italiennes devraient s'inspirer des exemples donnés par les pays leaders en matière d'intégration et d'automatisation. Elles devraient envisager de s'engager dans la transformation numérique et de prendre en compte l'impact de la démocratisation de l'informatique, de l'hyperautomatisation et de l'émergence de modèles d'entreprises composables, ainsi que faire de petits pas vers l'adoption de ces changements qui auront un impact sur leurs propres activités, leur compétitivité et leurs résultats. L'une de ces étapes devrait être la conception et la mise en œuvre d'une stratégie d'intégration et d'automatisation de l'entreprise.

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(1) Calculs réalisés par Workato et basés sur: Gartner, Forecast: Enterprise Infrastructure Software, Worldwide, 2020-2026, 2Q22 Update, 30 Juin 2022.

(2) Gartner, 2022 CEO Survey — The Year Perspectives Changed Mark Raskino, Kristin Moyer, Stephen Smith, 12 April 2022.

(3) Forrester blog, Predictions 2022: The Pandemic's Wake Drives Automation Trends, Craig Le Clair, 28 October 2021.

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Commentaires 2
à écrit le 08/09/2022 à 15:49
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Tout cela ne fonctionne que dans une "politique de l'offre" avec ses indispensables publicités, pour reproduire a l'identique et répondre a toute demande artificielle! Mais, nous changeons actuellement de "logiciel" par une recherche de résilience et...

à écrit le 08/09/2022 à 15:03
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Cette étude n’a pas l’air très fiable. Le UK n’est pas vraiment dans le peloton de tête en matière de productivité (OCDE). Le taux d’investissement des entreprises anglaises est particulièrement faible (Eurostat ; ONS). C’est le cas pour les sociét...

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