Biodiversité et marché : ennemis ou époux promis ?

OPINION. Au lendemain du rapport du GIEC, plusieurs questions se posent : les lois du marché et et celle de la lutte contre le réchauffement climatique sont-elles irréconciliables ? Quelles sont les responsabilités des autorités publiques décisionnaires ? Par Fabio Ferrari, CEO de ADryada.
Le mécanisme de marché est-il vraiment le responsable ?
Le mécanisme de marché est-il vraiment le responsable ? (Crédits : DAVID GRAY)

Ils se haïssent a priori : d'un côté, "Dame Biodiversité", certes indispensable à la survie même de l'humanité, mais habillée d'une (belle) complexité où s'enchevêtrent des vies de bactéries, papillons, fleurs, frênes, mousses, coraux, éléphants, chevaux - sans oublier les nôtres. Ce à quoi le capitalisme n'a, jusqu'à ce jour, donné aucune valeur, hormis celle de la force de travail pour certaines vies. De l'autre, "Sieur Marché", qui simplifie l'homme en « consommateur », ne jure que par l'implacable loi de l'offre et de la demande monétarisées, et abrite tant d'entreprises qui recourent au « Green Washing » sans même songer, à la survie de l'humanité...

Cette haine semble d'autant plus légitime qu'en matière de lutte contre le réchauffement climatique, seule cause pour laquelle le monde semble plus ou moins mobilisé, le marché n'a jusqu'à présent pas brillé par ses succès : malgré la mise en place des crédits carbone dans la foulée du Protocole de Kyoto, en 1997 - les entreprises peuvent compenser leurs émissions en finançant des projets écologiques qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme la plantation d'arbres - la planète continue à se réchauffer. Le 9 août le GIEC n'a fait que réaffirmer ce que chacun sait.

Les enseignements du marché carbone

Et pourtant, n'est-il pas dans l'intérêt de cette même planète que Dame Biodiversité et Sieur Marché se marient ? Le 12 juillet le Secrétariat de la Convention sur la Diversité Biologique, bras armé de l'ONU sur le sujet, a en effet dévoilé un projet officiel de nouveau cadre mondial avec des objectifs plus qu'ambitieux : protéger 30% des aires terrestres et marines dès 2030, réduire d'au moins deux-tiers les pesticides, éliminer les rejets de déchets plastiques etc. Poissons et mangroves sourient, mais ils doutent aussi.

Quels sont les moyens dont nous disposons pour les atteindre, ces objectifs, hormis ceux du marché ?

L'histoire de celui créé pour le carbone est à ce titre riche d'instructions. A la fin des années 1990, les discussions portant sur le meilleur outil à mettre en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ont en effet abouti à une conclusion sans appel : les lois du marché sont plus efficaces que la mise en place de pénalités financières pour les émetteurs. Certes, le fameux marché s'est effondré avec la crise de 2008 et le réchauffement se poursuit aujourd'hui. Mais le mécanisme de marché est-il vraiment responsable ? Les hésitations des autorités publiques à réduire drastiquement les quotas d'émissions pour faire croître le prix de la tonne de carbone au-delà de 100 euros la tonne ne sont-elles pas les vraies coupables ?

Au-delà, les deux clefs d'un mariage réussi entre Sieur Marché et Dame Biodiversité sont aujourd'hui réunies. Des indicateurs pertinents d'abord, pour mesurer l'efficacité des actions menées. Certes, il n'existe pas d'équivalent « émissions de CO2 » pour calculer de façon standardisée, facile et incontestable la perte de nutriments des sols en Amazonie, la raréfaction des papillons et les liens existants entre toutes les vies de la nature. Certes, on pourrait disserter à l'infini sur le caractère imparfait des indicateurs qui sont déjà utilisés au niveau mondial en matière de biodiversité - comme le « Biodiversity Impact Analytics (BIA) basé sur l'abondance moyenne des espèces, animales et végétales, par km2 ou le Global Biodiversity Score for Financial Institutions (GBSFI). Mais ces indicateurs existent. Et a-t-on vraiment le temps de chercher la perfection ? Dame Biodiversité se meurt.

Le rôle des marchés financiers

Seconde clef : les marchés financiers. Ces derniers voient en effet d'un œil de plus en plus mauvais les entreprises qui négligent la planète, et qui se faisant prennent des risques. Pour leur image bien sûr - il y a des classements plus attrayants que celui de « ces sociétés qui brûlent la forêt amazonienne ». Mais aussi pour leurs opérations quotidiennes - les industriels de l'agroalimentaire notamment, s'ils n'agissent pas pour enrayer la perte de qualité des sols en zones agricoles. En France, l'article 29 de la loi Énergie Climat, adoptée en 2019, prévoit ainsi de définir les obligations de reporting des investisseurs sur les risques climatiques et la biodiversité. Son décret d'application est sorti en mai dernier. De quoi inciter les entreprises à accélérer pour protéger la planète.

Reste à s'assurer qu'elles le fassent de manière efficace. Cela nécessite dans doute de les inciter à agir aussi - et même avant tout - dans les zones sauvages, les plus riches en biodiversité, même si ces dernières sont éloignées de leurs lieux d'activité. Cela suppose également d'acter la création de ce marché de la biodiversité, basé sur un indicateur de type BIA, et en fixant un coût unitaire basé sur le vrai cout des actions de préservation de la biodiversité. Les gouvernements du monde entier ont l'opportunité de prendre ces décisions à l'occasion de la COP 15, qui se tiendra en Chine cet automne. Courage. Unissons les Epoux promis.

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Commentaires 2
à écrit le 11/08/2021 à 10:32
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Quand on fait entrer "la monnaie" comme solution aux dégâts physiques de la planète alors qu'elle en est amplement responsable... c'est avoir trouvé un leurre pour construire une rente! Toujours a vouloir gérer les conséquences plutôt que de dissip...

à écrit le 10/08/2021 à 10:54
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Non justement et on y assiste en ce moment avec cet arrosage de milliers de milliards d'argent public des financiers, ça leur va très bien de gagner autant sans rien faire c'est le but de leur vie qui aura détruit la planète et tué la vie sur terre !...

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