Plan climat européen : la révolution du 14 juillet sera-elle obsolète avant fin 2023 ?

OPINION. Pendant deux ans d'intenses négociations prévues, les émissions mondiales de CO2 continueront pour atteindre un niveau record en 2023. Les citoyens européens ne peuvent plus attendre, il faut agir. Pour atténuer rapidement les conséquences de ces émissions et répondre à la double crise de l'environnement et des inégalités, un fonds d'urgence citoyen fort est nécessaire pour 2022. (*) Par Gaspard Gabriel, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.
(Crédits : Yves Herman)

"L'Europe est le tout premier continent à présenter une architecture verte complète : nous avons l'objectif et désormais la feuille de route pour l'atteindre", s'est félicitée Ursula von der Leyen, présidente de la Commission. Mais pour beaucoup, il y a un grand risque de tensions sociales. Les contraintes sont mises sur le dos des classes moyennes et des consommateurs plutôt que sur les industriels. Les prévisions mises sur la table restent insuffisantes et incohérentes. Elles sont soumises au bon vouloir des États et des entreprises. Est-ce que l'Europe ne se prépare pas en 2023 à une véritable déception après d'âpres discussions entre eurodéputés et les 27 États membres ?

"Les gouvernements ont mobilisé plus de 17.000 milliards de dollars en quinze mois pour répondre à la pandémie. S'ils perçoivent réellement le changement climatique et l'effondrement de la biodiversité comme une crise, où est ce niveau d'intervention et d'investissement ?", a confié à Reporterre Jeffrey Beyer, économiste.

La première révolution socioécologique en Europe est française. Elle a été déclenchée par les gilets jaunes. Quelle en est la raison ? La création chaque jour de nouvelles taxes pour des millions de travailleurs. Beaucoup d'autres crises sont là : climatiques et environnementales, sanitaires, sociales, industrielles et sécuritaires. Elles ne disparaîtront pas par magie. Après la pandémie de la Covid19, si les inégalités environnementales et sociales ne sont pas désamorcées rapidement, elles exploseront face aux politiciens Européens.

Le texte phare du quinquennat français, qui vient d'être adopté, en matière de lutte contre le réchauffement est déjà caduque. En effet, la loi française "Climat et Résilience" vise uniquement une réduction de 40 % des émissions carbones à l'horizon de 2030 quand le plan européen "Fit for 55", présenté le 14 juillet, prévoit une réduction de 55 % des émissions européennes de carbone (par rapport aux niveaux de 1990) et une neutralité carbone en 2050. Que dit le projet européen ?

Les paroles d'or sont souvent suivies d'actes de plomb (proverbe Hollandais) :

  • fin des voitures à essence en 2035 avec des bornes électriques tous les 60 km sur les grands axes. Toutes les voitures neuves immatriculées à partir de 2035 seront des véhicules à émissions nulles. Objectif difficile à atteindre car plusieurs études montrent qu'un véhicule électrique émet de sa production jusqu'à sa fin de vie 77% d'émissions de CO2 en moins qu'une voiture essence. Un véhicule ne peut pas être complétement neutre en carbone sans compensation ;
  • taxer le kérozène, pour les avions passagers et pour les vols intra-européens à partir de 2023 : cette taxe serait basée sur la performance énergétique et environnementale des kérosènes, pour encourager les compagnies à adopter des carburants "durables". Elle épargnerait l'aviation d'affaires et le fret, pourquoi ? Il faut noter que les compagnies aériennes sont déjà engagées dans un programme mondial de compensation carbone du secteur, CORSIA. Cette nouvelle taxe entrainerait une "distorsion de la concurrence" et une double imposition pour les Européens. Beaucoup d'États hésitent, comme la France, car ils ont dû débloquer des milliards d'euros d'argent public pour sauver leur secteur aérien pendant la pandémie ;
  • créer un second marché du carbone européen dès 2025 (ETS). Ce système serait étendu dès 2023 au transport maritime pour les plus gros navires (fret ou croisière) à destination ou en partance de l'UE. Le principe de l'ETS serait aussi appliqué au transport routier et au chauffage des bâtiments. Cette mesure, en pratique, forcerait les fournisseurs de carburants ou de fioul domestique à acheter des quotas d'émissions au prix du CO2, répercutant mécaniquement ce surcoût sur la facture des ménages. Selon les estimations de l'Institut Jacques Delors, la hausse pourrait représenter 6 centimes d'euros en 2026 sur un litre de carburant, mais grimper à 60 centimes après 2030 ;
  • taxer les importations les plus polluantes aux frontières : sur certains secteurs les plus polluants, l'Europe taxera les importations en appliquant progressivement l'achat de "certificats d'émissions" carbone à partir de 2026. Cet objectif sera vraisemblablement en contradiction avec l'Organisation Mondiale pour le Commerce OMC qui souhaite réduire le coût de la vie et relever les niveaux de vie. Dans cette démarche, si les industriels étrangers doivent payer le CO2 contenu dans leurs produits pour les vendre dans l'UE, il faut que les industriels européens en fassent de même. Avec l'absence d'un impôt européen, une idée géniale : cette taxe rapporte à l'Europe et la Commission propose d'affecter son produit au remboursement du plan de relance européen.
  • les autres mesures, rénovation des bâtiments publics pour réduire la consommation d'énergie, plus de renouvelables dans le mixénergétique (40 % au lieu de 32 %), implantation de 3 milliards d'arbres résistants au changement climatique pour absorber le CO2 sont de très bonnes mesures. Par contre, elles ne sont pas des solutions viables pour compenser les émissions de CO2 de l'Europe, qui reste toujours dans le top 3 mondial des émetteurs.

Faut-il en plus mettre en place de nouvelles taxes ou de nouveaux impôts ? La première taxe européenne est déjà appliquée depuis le 1er janvier 2021 sur les emballages plastiques non recyclés. Qui paiera ? Selon Eurostat, le taux moyen des prélèvements obligatoires en Europe, avant la pandémie, représentait 41,6 % du PIB en 2019, soit un niveau inférieur de 5,8 points à celui de la France. Les charges et impôts en France sont supérieurs de 14% à ceux de l'Allemagne. Le salarié français est le plus fiscalisé d'Europe.

In fine, il est clair que c'est un plan d'attaque, mais il faut convaincre : compenser les émissions de CO2, acheter des quotas d'émission au prix du CO2, créer de nouvelles taxes pour les citoyens Européens, etc. Pour offrir à tous un avenir écologique et sain, il faudra que tous les secteurs et tous les États membres consentent des efforts considérables, a déclaré le vice-président exécutif de la Commission chargé du Pacte vert pour l'Europe, Frans Timmermans. Des efforts considérables à partir de 2023 mais n'arriverontils pas trop tard ? Les émissions mondiales de CO2 devraient atteindre un niveau record en 2023, selon un rapport publié le 20 juillet 2021 par l'Agence internationale de l'énergie (AIE). L'Europe ne doit-elle pas agir immédiatement ?

En 2020, l'épargne des ménages européens a cru de +50% pour atteindre en fin d'année 450 milliard d'euros, soit plus de 4% du PIB européen. Ne faut-il pas capter immédiatement la moitié (225 milliards d'euros) ou plus de cette épargne pour créer le premier livret d'investissement européen pour le climat ? Ce fonds, sur 10 ans, doit être réglementé et rémunéré au taux de l'inflation de chaque pays européen. Il doit être disponible à tout moment sans frais et les intérêts exonérés d'impôts sur le revenu et les prélèvements sociaux. Les économies seront gérées par la banque européenne du climat et consacrées uniquement au projets urgent de réduction de CO2. La BEI ne peut financer que 50 milliards d'euros par an, quand la Commission européenne évalue à 350 milliards d'euros le déficit d'investissement dans l'Union pour atteindre l'objectif de -55% d'émission de gaz à effet de serre d'ici 2030. Les projets ne manquent pas. L'European Climate Foundation ECF et le cabinet de conseil EY ont recensé 1.000 premiers projets "prêts à l'emploi" en faveur d' une Europe à zéro émission de gaz à effet de serre pour 200 milliards d'euros avec la création de plus de 2 millions d'emplois à temps plein.

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Commentaires 3
à écrit le 27/07/2021 à 12:51
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Cela sent le "passe climatique" et le droit de respirer, toujours a gérer les conséquences a leur profit au lieu d'en supprimer les causes!

à écrit le 27/07/2021 à 9:42
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Tiens je viens de lire dans le diplo, fierté française s'il en est, que la taxe sur les véhicules de plus de 1.2 tonnes, l'allégement de la TVA sur les billets de train et la taxe de 4% sur les dividendes, entre autres mesures intelligentes, ont été ...

à écrit le 26/07/2021 à 20:48
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Ce n'est pas en "investissant" qu'on pourra résoudre la crise climatique. En réalité, il n'y a aucun moyen de résoudre la crise climatique. Tous ces bien-pensants européens ne servent à rien

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