Cachez ce carbone importé que je ne saurais voir

OPINION. "Plus d'énergies renouvelables et moins de carbone"(1) exhortait fin septembre le PDG de Total, Patrick Pouyanné, devant un parterre d'investisseurs. Une quasi-révolution pour un groupe qui bâtit son histoire sur les énergies fossiles. Rares sont les grands patrons français qui ne sont pas aujourd'hui voués au saint de l'écologie. Par Sylvain Guyoton, directeur de Recherche EcoVadis (*).
(Crédits : STRINGER Japan)

A les entendre, ils faisaient du développement durable depuis longtemps sans le savoir, comme monsieur Jourdain. Si seulement ils s'étaient fait le chantre de l'environnement dès le milieu des années 1980s alors qu'une ère de dérégulation économique sans précédent s'ouvrait. Trente-cinq ans plus tard, la planète est une cocotte- minute. En septembre 2020, l'Europe a encore battu un record de température, le septembre le plus chaud de l'histoire selon Copernicus, le programme d'observation de la Terre de l'Union Européenne (EU).

Certes nous avons fait des progrès : le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat révèle que les émissions produites sur le sol français ont baissé de 30% entre 1995 et 2018. Mais sur la même période, les émissions de carbone associées aux importations ont augmenté de 78%. Au fur et à mesure qu'elles amélioraient leur performance environnementale, les entreprises françaises externalisaient des pans entiers de leurs activités en dehors du territoire, notamment vers les pays en voie de développement (PVD). Aurions-nous suivi les conseils de l'ancien économiste en chef de la banque mondiale, Lawrence Summers, qui dans les années 1990 préconisait d'exporter la pollution vers les PVD, argumentant que ces pays attachaient une moindre importance à la qualité de l'air ? Apparemment oui. Les émissions induites par les produits en provenance de l'étranger représentent près de 57% (424 Mt EqCO2) de notre empreinte carbone. L'Europe triche avec les chiffres écrivait

Greta Thunberg le 4 octobre dernier. Force est de constater que nous planquons la poussière sous le tapis.

Dans ce contexte, le projet de mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Europe lancé dans le cadre du Green Deal est-il la meilleure stratégie à adopter ? Il faut tenir compte de la réalité et des difficultés auxquelles sont confrontés nos partenaires. L'indice de performance Ecovadis 2020 (plus de 65,000 évaluations) montre que seul 13,7% des entreprises en amont dans les réseaux d'approvisionnement rendent compte de leurs émissions, et qu'une part encore plus faible sait communiquer son empreinte carbone produit par produit. Dans ces conditions, la mise en place d'un mécanisme d'ajustement des prix serait ressentie, notamment en Asie ou en Afrique, comme un acte de protectionnisme aveugle, et pire comme une injustice alors que nous sommes à l'origine même  du CO2 qu'ils émettent. La vaste majorité des fournisseurs ne pourra démontrer qu'elle fait mieux que la moyenne de son secteur, et ce faisant paiera une taxe, qui retombera en partie sur les consommateurs européens.

Avant de faire payer nos partenaires hors UE, ne serait-il pas pertinent d'accompagner une montée en maturité sur la mesure des GES en utilisant le levier de nos achats ? Un instrument fiscal à l'attention non pas des fournisseurs mais des donneurs d'ordres, similaire à celui qui encourage la commande en France auprès du secteur protégé, pourrait être activé. Il récompenserait les organisations achats dont une part significative de leurs fournisseurs seraient formellement engagés à calculer à brève  échéance l'intensité CO2 de leurs produits. Et lorsqu'une masse critique de sociétés en dehors de l'EU rendrait compte au niveau produit, alors nous enclencherions un mécanisme d'ajustement tarifaire. Sans oublier par la suite d'inclure les fournisseurs européens afin que les efforts soient partagés par tous.

La question prégnante du climat appelle à une bifurcation salvatrice. Du pape François au prince William, de nombreuses personnalités l'ont rappelé lors de l'événement « Countdown » du 10 octobre. La commission l'européenne sait qu'il y a urgence : Ursula von der Leyen a plaidé le 16 septembre dernier pour une Europe encore plus verte avec des objectifs de réduction des émissions de GES revus à la hausse (de -40% à -55% d'ici 2030). Cependant, nous devons travailler ensemble car nous sommes tous dans le même bateau. Ne refaisons pas la même erreur que celle qui a consisté à exporter nos problèmes environnementaux vers les pays pauvres. Il n'y aura pas de ralentissement du réchauffement climatique sans justice climatique.

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(1) https://www.novethic.fr/actualite/energie/energies-fossiles/isr-rse/total-ne-mise-plus-tout-son-avenir-sur-le-petrole-149057.html

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(*) Par Sylvain Guyoton, directeur de Recherche EcoVadis 708 mots

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Commentaire 1
à écrit le 15/10/2020 à 9:51
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"Du pape François au prince William, de nombreuses personnalités l'ont rappelé lors de l'événement « Countdown » du 10 octobre" Des comédiens seulement là pour distraire le bas peuple, sans intérêt d'un point de vue survie de l'humanité. Regardez...

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