« Dix ans après, rêver à nouveau d'une France industrielle »

OPINION. Les solutions pour réenchanter l'industrie en France existent. Certaines sont concrètes et opérationnelles, à condition que les axes prioritaires qui les porteront soient déterminés. Ce sont eux que définissent ici Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, l'ancien député Guillaume Bachelay, rapporteur général de la loi créant la banque publique d'investissement en décembre 2012, et Louis Gallois, auteur du rapport sur la compétitivité de la France remis à la même époque au Président de la République.
(Crédits : DR)

Dans notre monde que les grands récits ont déserté, à quoi vibrons-nous ensemble en France ? A la fierté dans le stade quand Mbappé se projette vers l'adversaire. Au dévouement des soignants, livreurs, caissiers en première ligne face à la pandémie. À l'esprit de sacrifice de nos armées engagées au Sahel, au Levant ou au sein de l'OTAN aux portes de l'UE, à notre peuple uni face au terrorisme. Exploits ou épreuves, joies ou douleurs, ces moments sont ceux du dépassement collectif. La France fait de grandes choses quand elle fait taire le poison des rivalités. Quand elle est d'accord avec elle-même.

Aujourd'hui, il y a consensus sur le « produire en France ». Dix après le vote de la loi créant Bpifrance, dont nous étions rapporteurs pour l'un, préfigurateur pour l'autre, dix ans après le rapport sur la compétitivité de la France qui devait, sous l'impulsion du troisième d'entre nous, engendrer le tournant vers la politique de l'offre, le récit d'une réindustrialisation possible est devant nous, crédible. Le défi est aujourd'hui de susciter dans le cœur de la jeunesse une énergie positive, propulsive, pour la reconstruction de notre souveraineté, par l'industrie. Il y a beaucoup à faire, puisqu'il faut traiter en même temps toutes les causes de l'affaissement de notre base productive depuis trente ans. La mondialisation n'a pas été heureuse mais batailleuse. Elle s'est résumée à une très rude compétition pour localiser brevets, usines, sièges sociaux. L'intégration européenne, capable de rivaliser avec les puissances américaine et chinoise, aurait pu être un bouclier protecteur. Elle se priva d'y parvenir faute d'unité de vue énergétique, budgétaire, fiscale, commerciale. Tardives, les réorientations récentes sont bienvenues.

Fantasme d'une France sans usines

Quant à l'industrie française, son effondrement - plus marqué que dans tous les pays comparables - fut provoqué par le fantasme d'une France sans usines et accentué par des politiques macro-économiques incompatibles avec le développement productif. Ainsi fut fragilisé le socle de la recherche, du financement pérenne de la protection sociale, d'un commerce extérieur dynamique, de l'aménagement solidaire du territoire.

Plus grave : en se désindustrialisant, la France s'est privée de l'investissement humain et technologique requis par le futur, en même temps que de la fierté de l'invention qui inspire le monde, du produit fabriqué et utile, du métier accompli avec compétence et dévouement. Sans ces leviers, comment nous préparer à la prochaine épidémie, prendre notre part de la lutte contre le réchauffement climatique, faire la course en tête sur les nouveaux territoires de la métamorphose ?

Esprit de conquête de l'ingénieur français

Pour prendre la mesure du réel et le transformer, il faut un idéal à la France, qui puise dans sa créativité industrielle. Songeons au secteur des mobilités, décisives pour la transition vers une économie et une société décarbonées. On l'a oublié, mais c'est dans notre pays que furent jadis conçus les moteurs à combustion interne puis à explosion, la première voiture électrique, l'appareil volant précurseur de l'avion, le pneumatique à chambre à air. Cet esprit de conquête typique de l'ingénieur français n'est pas révolu. Une nouvelle génération de talents émerge sous nos yeux, dont les signataires de cette tribune n'auraient pas imaginé rêver il y a dix ans.

Pour qu'ils puissent accomplir la réindustrialisation dans la durée, la politique engagée depuis une décennie en faveur de la compétitivité globale de l'industrie doit être poursuivie et complétée. L'amélioration des coûts de production et du travail, la baisse de la fiscalité pesant sur les entreprises, le financement accru - via Bpifrance et France 2030 - pour les PME et les ETI afin qu'elles grandissent et se projettent à l'international, ont apporté des résultats : plus d'emplois industriels, moins de délocalisations.

Lire aussiRéindustrialisation : l'énergie dissuasive

Patriotisme ouvert sur le monde et l'avenir

D'autres importantes décisions restent à venir : porter l'effort de recherche à 3% du PIB, contre 2,2% actuellement, pour la convertir en innovations industrielles ; investir massivement dans l'éducation et notamment les mathématiques qui ouvrent sur toutes les sciences dures, donc sur la technologie ; accélérer la digitalisation de notre industrie et réformer l'enseignement professionnel afin que les compétences acquises par les élèves correspondent à la réalité d'un bureau d'études ou d'un atelier ; réduire les délais administratifs pour l'implantation de fabs nativement décarbonées et la relocalisation d'usines dans des secteurs-clés ; retrouver le sentier d'une électricité bon marché.

Au-delà de politiques publiques constantes et lisibles, des aventures exaltantes vont pouvoir être proposées aux Français : celles de l'industrie innovante, au service d'un patriotisme ouvert sur le monde et l'avenir. Là est l'idéal qui protégera et renforcera le capital de civilisation industrielle dont la France est héritière.

Lire aussi« Le plan climat de Joe Biden (IRA) peut être un levier de croissance pour Vinci » (Xavier Huillard, PDG)

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Commentaires 16
à écrit le 03/03/2023 à 20:40
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Demandons au allemand comment il faut faire

à écrit le 03/03/2023 à 14:55
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Cela rêverait il de devenir la Chine, ou pense t'on a relocaliser l'indispensable ?

à écrit le 03/03/2023 à 2:37
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"L'usine c'est magique". Dixit la panier runacher.

à écrit le 02/03/2023 à 21:10
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La France industrielle est fichue depuis Maastricht puisqu' elle n ' est plus concurrentielle et que tout s' est délocalisé, comme prévu, à l' est ou en Chine. QQ' un a réellement envie de mettre ses billes dans la France de ...

à écrit le 02/03/2023 à 18:57
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Article assez lunaire car quand on regarde sur une longue période, l'industrie française a toujours prospéré par le biais de politiques lésant au choix les ouvriers et/ou les consommateurs et/ou le contribuable... Et au fond, la raison d'être de l'in...

à écrit le 02/03/2023 à 17:00
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C'est beau de rêver, mais là on est dans le fantasme qui part définition ne se réalise jamais. La France industrielle c'est foutu depuis bien longtemps. Le seul avenir de ce pays est d'être un parc d'attractions pour touristes à fort pouvoir d'acha...

à écrit le 02/03/2023 à 16:00
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Tentons d'être positif sans critiquer la démarche que l'on pourrait qualifier d'incantatoire , les grands projets type Airbus nous savons faire , c'est au niveau des biens intermédiaires et de consommation que nous sommes à la peine même s'il existe ...

à écrit le 02/03/2023 à 15:28
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Ca ressemble quand meme a la methode coué. Car on ne résout aucun probleme. La deindustrialisation est liee aux charges sociales elevees en france par rapport au reste du monde. Et vu le poids electoral des retraités personne ne propose de les reduir...

le 02/03/2023 à 16:07
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Faux le poids des charges est un mauvais prétexte, l'innovation et l'organisation sont les clefs principales de la réussite sinon pourquoi et comment TOYOTA arriverait il à fabriquer des voitures en France et à en exporter une partie ? Ses méthod...

le 02/03/2023 à 16:53
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On peut rappeler que les cotisations sociales et non charges sociales ( mot employé par le patronat depuis les années 90 ) ont pour objet de financer le système de protection sociale. Elles sont en effet redistribuées à tous afin de couvrir les gran...

le 02/03/2023 à 18:59
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Absolument, dans bien des entreprises, on considère qu'un ingénieur est un raté si à 35 ans, il est encore dans la technique... Et ceux ayant insufflé cette culture sont à présent à la retraite et ne veulent rien lâcher...

à écrit le 02/03/2023 à 14:21
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Nous pourrions rêver d'être le 1er pays qui ne sert à rien, comme une œuvre d'art exposée aux yeux du monde entier. L'exception, au milieu de pays productivistes, nous pourrions prendre un statut de musée à l'unesco.Hollande pourrait en être le repré...

à écrit le 02/03/2023 à 13:38
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Quand on voit le chemin parcouru dans les discours, c’est déjà pas mal.

à écrit le 02/03/2023 à 9:01
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"Songeons au secteur des mobilités, décisives pour la transition vers une économie et une société décarbonées", oui, on connaît, on appelle ça des charrettes en bois tractées par des chevaux. J'aimerais beaucoup que notre société prenne conscience qu...

le 02/03/2023 à 12:57
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sans remise en cause de ceux qui ont detruit l'industrie que ce soit des personnes ou des entités politique une analyse complete pour eviter que cela se reproduise comme nomme des ministres pour la photo

à écrit le 02/03/2023 à 8:29
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ridicule, la france a fait le choix SCIENT de ne plus avoir d'industrie, c'est un choix collectif (viste) a assumer jusqu'au bout, au lieu de geindre........votre pays a fait la chasse au grand capital capitaliste, avant de decouvrir que l'industrie ...

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