
Ursula von der Leyen a-t-elle pris la mesure du danger que représente l'IRA (Inflation Reduction Act) pour l'industrie européenne ? Il est permis d'en douter à écouter ses déclarations de mercredi. « Nous nous félicitons de cela (ndlr: l'IRA). Nous soutenons depuis longtemps que la lutte contre le réchauffement climatique est une nécessité », s'est réjouie la présidente de la Commission européenne à l'occasion de la présentation du plan vert européen, se disant néanmoins soucieuse que l'Europe joue « à armes égales dans la compétition mondiale » avec les Etats-Unis.
Depuis plusieurs mois, les chefs d'Etat européens somment Bruxelles de calibrer une riposte européenne aux 400 milliards d'euros de subventions de la Maison Blanche en faveur de la relocalisation des industries vertes (batteries, énergie, mobilité...). Les industriels du Vieux continent reconnaissent eux-mêmes que la tentation est grande de délocaliser ou de réorienter des projets industriels de l'Europe vers les Etats-Unis.
L'appel de l'Amérique est d'autant plus fort qu'elle offre en plus des subventions à la production, des aides à l'achat de made in USA et des des prix de l'énergie imbattables, jusqu'à six fois moins chers.
En réaction, la Commission européenne esquisse un assouplissement réglementaire, en phase avec ce que Paris demande. Mercredi, Ursula von der Leyen a proposé de simplifier l'octroi de permis pour construire des usines, l'extraction et le conditionnement de métaux critiques sur le sol européen et surtout les aides d'Etat aux industries vertes, y compris par des incitations fiscales. Aussitôt annoncée, cette dernière avancée a été relativisée. Si les règles de subvention aux industries sont allégées, cela a vocation à être limité dans le temps, et en volume comme l'a rappelé la zélée commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager.
Ces tergiversations autour des subventions révèlent les tiraillements à l'œuvre dans l'Union entre Etats. « Comme d'habitude, l'Europe est divisée et les logiques nationales prévalent. Les pays du Nord refusent tout protectionnisme pour garder des marchés ouverts à l'export. La France, partisane d'un protectionnisme intelligent et de subventions équivalentes à l'IRA, se retrouve isolée », observe Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste du cabinet d'audit BDO France. Les petites nations agitent également le spectre d'une « fragmentation » économique de la zone euro si les grands pays, France et Allemagne en tête, mettent sous perfusion leurs champions industriels et que les autres pays, faute de moyens, ne suivent pas.
Sur la question du financement des aides à l'industrie européenne, les mêmes divergences produisent les mêmes effets. On repousse la décision d'un emprunt commun, qui devrait être évoquée au sommet européen des 9 et 10 décembre même si l'Allemagne, la Suède et les Pays-Bas y sont hostiles. En l'absence de consensus, la Commission européenne compte mobiliser les fonds européens déjà disponibles dans le cadre du plan de relance et de la transition énergétique dont RepowerEU dont les 250 milliards d'euros pourraient être réaffectés au financement de projets industriels zéro-émissions.
Les sommes évoquées s'approchent des ordres de grandeur de l'IRA ou des 350 milliards d'euros que le commissaire au marché intérieur Thierry Breton croit nécessaire pour une riposte efficace. « L'Europe se focalise sur les montants, alors que les 400 milliards d'euros de l'IRA sur plusieurs années ne représentent pas un volume si colossal et seront sûrement suivis d'autres plans », pointe l'économiste Anne-Sophie Alsif, qui juge que l'UE ne perçoit pas la véritable force de l'IRA, à savoir le ciblage et la traçabilité des fonds pour favoriser exclusivement les chaînes de production locales.
« Pour construire un écosystème industriel sur les secteurs d'avenir, les Américains s'assurent surtout que l'argent est fléché vers le made in USA, aussi bien sous forme de subventions à la production qu'à l'achat », décrypte-t-elle. Anne-Sophie Alsif déplore que les aides européennes à la transition écologique ne soient conditionnées à rien, au risque « de financer des panneaux solaires et des voitures électriques fabriquées en Chine » mais surtout les lenteurs coupables de l'UE. A trop attendre, le Vieux continent court le risque d'être relégué dans la course que se livre la Chine et les Etats-Unis pour la suprématie industrielle et technologique du XXIème siècle. « Il ne faut surtout pas perdre de temps car il y a une question de timing : c'est maintenant que les industries se structurent et que les places se prennent », prédit l'économiste Christian Saint-Etienne, professeur au CNAM.
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