Dry January, utile ou futile ? POUR : « La popularité du Défi de janvier ne cesse de croître » "

OPINION - L’idée de se priver d’alcool pendant un mois fait débat. Pour ses promoteurs, cette opération est un grand succès. L’abstinence temporaire permet une prise de conscience salutaire. Par Bernard Basset, président d'Addictions France, Amine Benyamina, président de la Fédération française d'addictologie et Mickael Naassila, président de la Société française d'alcoologie.
Bernard Basset (Président d’Addictions France), Amine Benyamina (Président de la Fédération française d’addictologie), Mickael Naassila (Président de la Société française d’alcoologie)
Bernard Basset (Président d’Addictions France), Amine Benyamina (Président de la Fédération française d’addictologie), Mickael Naassila (Président de la Société française d’alcoologie) (Crédits : © Pierre Morel / Divergence; DR (x2))

« La popularité du Défi de janvier ne cesse de croître »

Comme chaque année depuis cinq ans, le milieu associatif renouvelle son opération appelée Défi de janvier, inspirée du Dry January britannique. Dès la première édition, en janvier 2020, cet événement a connu un succès un peu inattendu. Il avait été lancé certes de manière enthousiaste mais dans l'improvisation du fait du retrait du soutien de Santé publique France, qui dépend du ministère de la Santé. Certains ont attribué un peu rapidement sa célébrité à cette publicité involontaire que le gouvernement lui a faite en cédant à la pression du lobby viticole. Or d'année en année, la popularité de l'opération ne cesse de croître. En ce mois de janvier 2024, les sondages les plus prudents indiquent que 33 % de la population adulte envisage de faire une pause dans sa consommation d'alcool*. La couverture médiatique est exceptionnelle, intriguant même la presse internationale. Quels enseignements peut-on tirer de cet événement devenu un rendez-vous annuel ? On peut déjà avancer que le rapport à l'alcool a changé profondément dans la société française. Alors que le secteur économique surfait sur la certitude que la consommation, en particulier de vin, était consubstantielle à notre culture, des interrogations, voire des inquiétudes, se sont fait jour à bas bruit. La pédagogie inlassable des acteurs de santé sur les risques et les dommages a fini par infuser dans l'opinion. Peu à peu, l'alcool n'a plus seulement été perçu comme un produit plaisir, mais aussi comme un produit à risque. Ce glissement progressif a formé un terreau favorable à la réussite du Défi de janvier.

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Le deuxième facteur a été le discours du milieu associatif, largement inspiré de l'exemple britannique, qui lui a donné une touche de fantaisie et d'enthousiasme. Sans moralisme ni intention normative, le propos a insisté sur le caractère volontaire de cette démarche proposant une pause dans la consommation, et non un objectif d'abstinence. Ces termes positifs, ouverts et tolérants, ont manifestement été bien perçus.

Le lobby alcoolier a essayé d'allumer des contre-feux, en vain. Il a payé au prix fort sa négation constante des conséquences de la consommation d'alcool sur la santé, que l'on parle de morts (le chiffre énorme de 41 000 décès par an en France mérite d'être sans cesse rappelé), de maladies, de handicaps ou de violences. Il s'est insurgé contre l'évidence scientifique qui établit formellement que toute consommation d'alcool est à risque, même si, bien entendu, les risques augmentent avec la quantité consommée et la fréquence de consommation. Chaque déclaration contre la science, donc contre la prévention, a provoqué en retour des mises au point imparables des professionnels de santé. Et la question est devenue de plus en plus prégnante : de quels droits les producteurs et les promoteurs d'un produit à risque peuvent-ils se prévaloir dans le but d'entraver les objectifs de prévention ? Il est ici nécessaire de rappeler que l'OMS demande que les programmes de santé soient élaborés sans l'interférence des secteurs économiques de l'alcool. Ce qui était une sorte de vœu pieux de l'OMS est en train de devenir une demande sociale.

Par ailleurs, la France a changé. Les discours passéistes, tenus en particulier par le lobby viticole, sont en décalage avec un pays du XXIe siècle. L'image d'Épinal des terroirs et du savoir ancestral des artisans renvoie à une appréhension muséale, figée et peu attractive pour les jeunes générations.

La classe politique et l'appareil d'État ont également été victimes de leur aveuglement. Cette complaisance, voire complicité, envers le secteur alcoolier ne date pas d'hier. La loi Évin, emblématique, en quelque sorte visionnaire, a été constamment rognée sous la pression du secteur économique et de ses relais au Parlement. Ils n'ont pas vu venir la montée des préoccupations de santé, la recherche d'une alimentation saine et écologique. Pourtant, le développement exponentiel des boissons sans alcool (25 % de nouveaux consommateurs en 2022), la baisse des consommations régulières, en particulier de vin chez les jeunes générations, auraient pu les alerter. Cela n'a pas été le cas, et la proximité, voire l'endogamie, les a conduits sur la voie de la censure des campagnes de prévention, ce qui a choqué lors de leur révélation par la presse. En réaction, l'ensemble des professeurs d'addictologie a demandé solennellement en décembre au ministre de la Santé de laisser Santé publique France remplir ses missions en toute indépendance, en respectant des objectifs de santé publique et non de communication politique.

Le succès du Défi de janvier est porteur de profonds enseignements pour tous les acteurs de santé, mais aussi pour le secteur économique et la classe politique. Les ignorer est une impasse dont la santé de la population est la première victime, mais pas la seule.

* BVA Xsight pour Addictions France.

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Commentaire 1
à écrit le 07/01/2024 à 9:19
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Je n'ai vu ni entendu personne ne le faire mais bon je suppose qu'à Paris ce mouvement doit avoir ses thuriféraires. C'est un peu grotesque quand on connait les ravages de l'alcool sur les gens tandis que les alcooliques n'arrêteront pas de boire un ...

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