Epargne : une renaissance pour les livrets réglementés

CHRONIQUE. Le premier livret a été créé en 1818. Son objectif était d'empêcher l'érosion de l'épargne des citoyens face à la hausse du coût de la vie. Le contrat social a été rompu à plusieurs reprises mais les Français plébiscitent toujours des placements sûrs qui leur font perdre de l'argent. Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière.
(Crédits : Charles Platiau)

Cette tribune n'est pas un guide sur les livrets réglementés défiscalisés. Elle ne décrit pas les règlements ou comment investir pendant une période d'inflation ou de récession, etc. Elle retrace l'histoire de ces livrets et tente des explications simples à beaucoup de questions que les Français se posent. Elle ouvre un chemin vers une nouvelle renaissance et action aux services des comptes d'épargnes.

Un peu d'histoire

Le plus connu des livrets réglementés est le Livret A (anciennement Livret de Caisse d'Épargne). Il a été créé le 22 mai 1818, à la fin des guerres napoléoniennes, à l'initiative de Benjamin Delessert, industriel et banquier. Dès son origine la Caisse d'Épargne avait pour mission d'être au service des plus démunis. En 1837, les Caisses d'Épargne confient la gestion des fonds du Livret A à la Caisse des dépôts et consignations. Mais le Livret A est-il vraiment parvenu à protéger l'épargne des ménages face à l'inflation pendant 205 ans ?

Son taux a fortement varié entre 1818 et 1985. Après une grande chute au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à un taux de 1,5% et une inflation à 52,60%, il a connu une hausse quasi-ininterrompue mais sans réellement dépasser le taux de l'inflation sauf rares exceptions. Il touchera son sommet le 1er octobre 1981 avec un taux de 8,5% et une inflation à 13,40%.

Il faut attendre 1985 (François Mitterrand préside), pour avoir une inflation à 5,83% et le taux du Livret A à 6%. Depuis, le taux du Livret A est resté supérieur à l'inflation jusqu'en 2017.

En 2017, le taux du Livret A est gelé à 0.75% jusqu'en janvier 2020. Une mauvaise nouvelle pour les petits épargnants, car l'inflation en 2017 a atteint 1%, en 2018 1,8% et en 2019 1,1%. Il a été tiré vers le bas par les politiques monétaires "non conventionnelles" (injections massives de liquidités) de la Banque centrale européenne et atteint son taux le plus bas à 0,5% en février 2020, à la veille de la crise de la Covid.

Début 2023, le taux du Livret A est à 2% en janvier avec une inflation attendue à 7% début 2023, il sera à un taux de 3% au 1er février 2023. Encore une très mauvaise nouvelle pour les épargnants qui seront rémunérés à un taux de - 4% par rapport à l'inflation. Ne faut-il pas revenir à la formule applicable avant le 11 novembre 2016 où le Livret A offrait une protection contre l'inflation ?

Le livret A est-il une bonne affaire pour les Banques ?

On a vu que le Livret A a joué son rôle de bouclier uniquement pendant 31 ans de 1985 à 2017. À chaque revalorisation, beaucoup de tribunes dans la presse spécialisée reprochent que le Livret A, le plus détenu en France, coûterait de l'argent aux Banques, est-ce vrai ?

Le Livret A ne rapporte plus aux épargnants, mais rapporte encore aux Banques. De toutes les collectes faites par les Banques, 60% environ sont transférés au fonds d'épargne de la Caisse des Dépôts. Ils sont utilisés en grande partie pour accorder des prêts à long terme aux offices HLM ou aux collectivités. Les banques perçoivent une commission fixée aujourd'hui à 0,30% des sommes transférées. La Caisse des Dépôts rembourse aux banques les emprunts (capital + intérêt). Il reste 40% des dépôts qui seront rémunérer directement par les banques. Les banques se servent des ressources disponibles des livrets A pour faire des prêts à des taux potentiellement plus élevés aux PME-PMI, aux particuliers, etc.

Y a-t-il d'autres choix gagnants ?

Dans le sillage du Livret A, on trouve le Livret de Développement durable et Solidaire (LDDS) et le Livret jeunes qui seront également rémunérés à 3% au 1er février 2023. Le Livret d'Épargne populaire (LEP) avec un nouveau taux à 6;1% est réservé aux ménages les plus modestes qui ne sont pas toujours en situation de pouvoir épargner. Quand les livrets réglementés sont pleins, les ménages ont la possibilité de déposer leur argent sur les livrets bancaires à des taux promotionnels de 3 ou 3,5% bruts (prélèvement forfaitaire unique de 30%) pendant les 3 ou 4 mois suivant l'ouverture du livret. Comme le Livret A, les autres livrets ne protègent plus les Français de l'inflation.

Le PEL et le CEL ont-ils encore un sens ?

Ils sont aussi des produits d'épargne réglementés. Ils peuvent permettre d'obtenir un prêt avantageux (d'après le gouvernement et parfois une prime d'État) pour financer l'achat d'un bien ou pour effectuer des travaux. Nous parlerons du PEL qui ne sert depuis plusieurs années qu'à la solvabilité des banques (rigidité à court terme, pas de rentabilité à long terme, taux crédit marché plus compétitif pour les prêts immobiliers, bloqués 4 ans). Depuis plus de 30 ans, le taux d'épargne du PEL n'a cessé de diminuer de 4,75% en 1985 à 1% en 2016-2022. Le taux de prêt du PEL est passé de 6,45% en 1985 à 2,20% fin 2022. En ce qui concerne les prêts immobiliers bancaires, les taux n'ont commencé à baisser qu'à partir de 1992. Ils sont passés de 5% en 1998 à 3,5% en 2006 avec un taux de prêt du PEL à 4,20%.

Fin 2022, le taux de prêt du PEL sur 15 ans était au même niveau que le taux de prêt bancaire autour de 2,20%. Pour le PEL au 1er janvier 2023, le taux de rémunération passera à 2% brut (1,40% net après déduction du prélèvement forfaitaire), mais le taux de prêt passera à 3,2%. Mieux vaut garder le PEL de 2016 pour emprunter et ouvrir un autre PEL à un autre membre de la famille si les Livrets A, LDDS, etc. sont pleins. Dans tous les cas si le ménage n'a pas de projet immobilier pour 2023, mieux vaut attendre 2024, une chute prévisible de l'inflation et un retour à des taux bancaires plus performants.

"Pénaliser" les épargnants et "récompenser" les emprunteurs et les Banques

 L'État a choisi donc, depuis 2017, de rendre moins attrayants pour les ménages l'épargne et plus attrayants le crédit pour les entreprises via les banques. Le gouvernement incite donc les ménages à dépenser leur argent et à relancer l'inflation par la demande au lieu de la freiner. L'arbitrage sur les taux de rémunération des livrets réglementés en 2017 est passé sous silence médiatique. Espérons que le nouveau Livret vert prévu par le ministre des Finances en juin 2023 aidera les ménages : ce "produit d'épargne vert sera sans doute un peu moins liquide" que les placements d'épargne classiques, "avec sans doute une part de risque un peu plus élevée, mais il comportera la garantie que chaque euro investi ira dans un projet vert", a expliqué le ministre.

Ne faut-il pas changer de modèle ?

Les ménages ne devraient-ils pas arrêter de garder leur argent sur leurs comptes courants et d'épargner passivement ? Ne faut-il pas plutôt investir dans l'économie et gagner plus ? Aujourd'hui, les dépôts sur les comptes courants s'élèvent à 544 milliards d'euros. En moyenne, un ménage français conserve 18 430 euros sur son compte courant. Il y a 15 ans, ce chiffre était de moins 7.000 euros. Le total des encours sur le Livret A et LDDS s'élève à 500 milliards d'euros fin novembre 2022 (200 milliards gérés par les banques), et l'encours total du PEL est de 296 ,10 milliards à fin 2021 (bloqués sur 4 ans).

Des nouveaux livrets réglementés pour mieux investir et aider à lutter contre l'inflation

Dans une période de forte inflation, pour l'État, il est préférable de disposer d'argent nécessaire pour investir, sans emprunter sur le marché financier, sans créer de la monnaie additionnelle, mais diminuer plutôt la quantité de liquidité pour lutter contre l'augmentation des prix. Dans ce cas la France peut faire appel au surplus des dépôts à vue des Français, une grande partie de l'encours du PEL et du complément des livrets réglementés (plus de 500 milliards) avec une rémunération très attractive, supérieure au taux de l'inflation et exonérée d'impôts pour attirer les Français à investir pour le climat, la santé, etc. Les rémunérations des livrets seront payées par l'État avec une commission de 0,20% pour les banques.

Avec ces livrets, l'État doit mieux investir au service de la croissance : un euro investi peut rapporter entre 0,60 et 2 euros à l'État (multiplicateur des dépenses publiques sur le PIB). Avec une croissance plus élevée, la France devrait écarter la récession et résister mieux à la flambée des prix. Pour réduire l'inflation avec cette croissance, la France peut réduire sa dette publique. En même temps, la BCE pourrait retirer l'excédent de l'argent en circulation entrainant une diminution de cette liquidité et du taux d'inflation. Avec cette approche, la France et la BCE parviennent à réduire l'inflation et les Français ont la possibilité d'augmenter leurs revenus.

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