Faut-il mourir pour Taïwan ?

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — L'élection présidentielle du 13 janvier à Taïwan est un enjeu existentiel pour ses habitants, mais aussi pour la crédibilité stratégique de la Chine et des Etats-Unis, avec un impact évident sur le reste du monde.
(Crédits : © DR)

Solidaire mais pas à n'importe quel prix et notamment le prix du sang. L'Amérique a considérablement évolué depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Surtout depuis la mise au pas de Hong Kong, la répression sans faille des Ouïgours et les provocations militaires chinoises de plus en plus répétées dans les eaux et les cieux proches de l'ancienne Formose. En novembre dernier, l'enquête annuelle sur les questions de défense de la Fondation présidentielle Ronald-Reagan indiquait que 77 % des Américains considéraient la Chine comme un « ennemi », un chiffre en augmentation de 22 points en cinq ans !

Mais ils n'étaient plus que 46 % à vouloir défendre militairement l'île autonome par un envoi de troupes américaines s'il fallait protéger Taïwan des griffes de Pékin. Lorsqu'on précise alors aux personnes interrogées que Taïwan est une démocratie et le premier producteur mondial de semi-conducteurs, 52 % finissent par approuver une entrée en guerre des États-Unis et de ses soldats contre la Chine. Mourir pour Taïwan, avez-vous dit ? De quoi parle-t-on ? De sécuriser le détroit par lequel transite 40 % de la flotte mondiale de conteneurs ? De protéger la démocratie la plus vivante d'Asie ? D'endiguer la Chine au cas où elle ne s'arrêterait pas à Taïwan ?

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Taiwan Relations Act

Alors que les électeurs Taïwanais se rendent aux urnes samedi prochain, cette question de la solidarité des Occidentaux prend tout son sens puisque, lors de ses vœux du Nouvel An, Xi Jinping a rappelé une nouvelle fois que la « réunification » de la Chine était « historiquement inévitable ». Lors de ce discours télévisé, les experts ont immédiatement repéré une nouveauté par rapport à l'adresse de l'an dernier : l'existence bien visible sur le bureau du timonier de téléphones rouges. Depuis la rencontre de Xi Jinping avec Joe Biden en Californie à la mi-novembre, les dirigeants des deux pays sont convenus de se parler plus souvent ainsi que leurs équipes et notamment leurs chefs d'état-major.

Car aucune erreur d'interprétation n'est permise. À chaque mobilisation navale ou aérienne chinoise - toujours plus près de Taïwan et toujours plus volumineuses -, les stratèges tentent de discerner comment les États-Unis réagiraient au cas où ces manœuvres se métamorphoseraient en une soudaine invasion de l'île. Le Taiwan Relations Act, voté par le Congrès en 1973, stipule que les États-Unis « s'engagent à fournir à l'armée taïwanaise des armes de caractère défensif et à maintenir pour ses propres forces la capacité de résister à toute forme de coercition qui mettrait en danger la sécurité ou le système économique et social de Taïwan ». Jusqu'à présent, ce texte a suffi à déterminer la « stratégie de l'ambiguïté » américaine. Deux autres propositions de loi visant à préciser la nature d'une intervention américaine au profit de la survie de Taïwan, dont le Taiwan Defense Act, en 2020, pour « retarder, dégrader et vaincre » la Chine au cas où elle tenterait de s'emparer par la force de Taïwan, n'ont pas été au-delà des premières étapes du parcours législatif.

Les dirigeants des deux pays sont convenus de se parler plus souvent

 Xi Jinping ne livrera pas cette guerre si c'est pour la perdre.

Dans de nombreuses simulations et jeux de guerre impliquant les États-Unis dans sa défense militaire de Taïwan, le coût matériel et humain de l'intervention américaine s'avère élevé, notamment du fait de l'éloignement de ses bases arrière dans le Pacifique alors que la Chine combat quasiment dans son arrière-cour. Pour notre confrère Pierre-Antoine Donnet, auteur de Chine - L'empire des illusions, à paraître jeudi aux éditions Saint-Simon, « Pékin aurait énormément à perdre d'une agression armée qui se solderait par une défaite de l'Armée populaire de libération, par une déclaration d'indépendance formelle du gouvernement taïwanais et par sa reconnaissance diplomatique de la part de nombreux pays ». Selon lui, « Taïwan aurait alors gagné sur tous les fronts ». Autrement dit, Xi Jinping ne livrera pas cette guerre si c'est pour la perdre. Une évaluation que rejoint en miroir son collègue Arnaud Vaulerin dans Taïwan, la présidente et la guerre (Novice, 2023) : « Si Taïwan devait tomber dans les filets de Pékin, l'Amérique vivrait une défaite sans précédent, écrit-il. Elle perdrait toute crédibilité et tout leadership. Qu'adviendrait-il de la Corée du Sud, du Japon, ses alliés ? » Ce qui revient à démontrer que l'Amérique n'a pas vraiment le choix.

Toutes ces questions concernent à l'évidence une autre élection majeure, la présidentielle américaine en novembre, surtout si Donald Trump, imprévisible avec ses partenaires, devait l'emporter.

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Commentaires 9
à écrit le 08/01/2024 à 17:42
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Rien n'indique que les Russes aient des ambitions allant au-delà des frontières (approximatives) des "terres slaves": ils n'ont jamais tenté de conquérir des territoires allemands ou d'origine gréco-latine. Quand ils ont franchi ces frontières, c'ét...

à écrit le 08/01/2024 à 10:31
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Cette question récurrente : Faut-il mourir pour... ? est un classique de l'éthique. S'agit-il d'une question individuelle ou collective. Du point de vue individuel, quelle idéologie, quelle valeur morale, quel enjeu géopolitique mérite le sacrifice s...

à écrit le 07/01/2024 à 16:48
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Bonjour, la bonne question est de savoir quel est l'intérêt des européenne de combattre la Chine... Nous sommes faible militairement, ils n'y a toujours pas de défense européenne... (La volonté des usa de nous maintenir dans cette faiblesse politiqu...

le 07/01/2024 à 17:06
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Qui voulez-vous dire par «nous»? Je doute que la solidarité européenne va si loin qu'une attaque contre un pays européen mobilise automatiquement les autres pays européens. En tant que parachutiste à la Bundeswehr allemande, je sacrifierais ma vie po...

le 07/01/2024 à 20:08
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Bonjour , Personnellement je ne souhaitent pas la guerre ( comme beaucoup d'européens), mais lorsque l'ennemi arrivera sur les frontières de l'Allemagne ( apres la destruction de la pologne), les armées françaises, allemande , italienne et espagnole...

le 09/01/2024 à 6:54
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Bonjour, le nous pour l'union européenne est l'expression de l'europe de 9 , la seul de cœur... Ensemble nous somme plus fort , militairement aussi, donc en cas d'agressions, les français et allemand devrons combattre ensembles ...

à écrit le 07/01/2024 à 12:46
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Oui les semi conducteurs produits par taiwan sont bien l'enjeu majeur. Tous les processeurs les plus évolués de Nvidia donnant aux US une avance sur l'IA y sont produit. C'est un enjeu militaire aussi l'IA

le 07/01/2024 à 17:31
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En raison de l'Europe dépend de l'Asie et des États-Unis: sans le Trump allemand, rien ne fonctionne dans l'industrie mondiale des puces. Les dépendances ne sont pas à un acte. La société taïwanaise TSMC produit les puces les plus avancées au monde. ...

à écrit le 07/01/2024 à 10:15
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Bref ! C'est l'inaptitude qui mène au conflit guerrier !

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