Fed  : pour l'instant, incroyablement, tout va bien

OPINION. Les Etats-Unis connaissent à la fois une baisse de l'inflation, une croissance dynamique et des marchés financiers euphoriques. Un paradoxe du point économique résultant d'une conjoncture particulière. Explications. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l'ESSEC.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

La Fed vient de décider de conserver ses taux inchangés lors de sa réunion des 30 et 31 janvier, malgré les bonnes nouvelles sur le front de l'inflation. Fin décembre 2023, celle-ci s'établit à 2,9% sur 12 mois, hors énergie et produits alimentaires, selon le Bureau of Economic Analysis qui publie la mesure de l'inflation préférée par la Fed (données BEA). Ainsi le comité des opérations monétaires de la Fed a décidé à l'unanimité de maintenir le taux directeur à 5,5%, niveau qu'il a atteint en juillet 2023.

Ce niveau de taux d'intérêt est élevé sous deux critères. En premier lieu, il est historiquement élevé après une décennie de taux très faibles. En second lieu, il est élevé au regard de l'inflation courante. En effet, pour chacun des deux derniers trimestres de 2023, l'inflation, hors alimentation et énergie, se situe à 2% en taux annuel (données FRED). Un calcul simple indique pour cette période un taux d'intérêt réel de 3,5%, qui peut apparaitre comme inutilement récessif vu la baisse significative de l'inflation.

Un élément demeure troublant

Une partie du gain des marchés boursiers ces deux derniers moins vient d'une anticipation d'un changement de stratégie pour la Fed, qui serait amenée, pour les raisons évoquées ci-dessus, à réduire les taux plus rapidement que prévu dans les annonces officiels. La bourse réagit favorablement si les investisseurs anticipent en même temps une baisse des taux et une hausse des revenus des entreprises.

Un élément demeure toutefois troublant. Selon un principe communément admis, en laissant de côté les effets de base et la dissipation des chocs d'offre, la désinflation résulte d'un affaissement de l'activité économique provoqué par la hausse des taux et s'accompagne d'une montée du chômage.  En l'espèce - et la croissance économique et le chômage se portent magnifiquement bien. Après le flamboyant +4,9% au troisième trimestre 2023, les Etats-Unis viennent d'enregistrer une croissance de 3,3% au quatrième trimestre et de 3,1% sur l'ensemble de l'année 2023. Loin d'avoir sacrifié le chômage à l'inflation, les Etats-Unis ont créé près de 500.000 emplois nets sur le trimestre et le chômage reste à 3,7%, un niveau historiquement bas. Non seulement 2023 n'a pas été l'année de la récession nécessaire pour lutter contre l'inflation mais de surcroit l'économie américaine a accéléré en passant de +1,9% en 2022 à 3,1% en 2023 avec une baisse de l'inflation (PCE hors alimentation et énergie) de 6% au premier trimestre de 2022, à 2% au dernier trimestre 2023 (données FRED).

Erosion de l'excès d'épargne

Pourquoi alors l'inflation a-t-elle diminué, malgré une croissance soutenue ? Certes, il y a eu une dissipation du choc d'offre lié au Covid-19 et à la guerre en Ukraine, mais sans doute, ces ajustements ont eu lieu en 2022, pas en 2023. Le plus probable, c'est que l'inflation a fini par éroder l'excès d'épargne généré par les politiques des relance du temps du Covid-19, que certains experts estimaient à presque 2.100 milliards de dollars (étude1, étude 2). Une fois la demande excessive épongée, l'économie s'est remise sur un chemin de croissance stable.

Autre paradoxe, la hausse des taux d'intérêt n'a pas ralenti la consommation des ménages dans la proportion attendue. Elle a été, au contraire, soutenue par trois éléments concomitants. La baisse des prix de l'énergie en 2023 a soutenu les dépenses de consommation tout en jouant favorablement sur le moral des consommateurs. L'envolée fantastique de la bourse américaine tirée par les gains des firmes liée à l'explosion de l'IA, les « sept magnifiques », a également soutenu la consommation via l'effet de richesse et d'euphorie du consommateur.

Enfin, il apparait que ces deux effets euphoriques ont été dynamisé par un troisième élément lié à la baisse des anticipations d'inflation. La forte hausse des taux d'intérêt a donné une impression de forte résolution de la Fed à vaincre l'inflation « quoi qu'il en coûte » et la baisse continue de celle-ci au long de l'année 2023 laisse entendre que la manœuvre a fonctionné. Cet appétit de consommation dans un contexte de ralentissement du crédit s'est traduit par une baisse de l'épargne, les consommateurs finançant eux-mêmes leurs dépenses dans ce contexte euphorique.

Evolution des salaires

La grande inconnue dans tout cela est l'évolution des salaires. Si les salaires américains ont augmenté pendant toute la période allant de la crise du Covid-19 jusqu'au mois de mai 2023, le rattrapage de l'inflation n'a pas été au rendez-vous. Le niveau du salaire réel a diminué, ce qui a sûrement soutenu la demande de travail. Depuis mai 2023, la situation s'est inversée, avec une hausse du salaire réel. Si la forte hausse du salaire nominal se maintient alors que l'inflation diminue, la hausse du salaire réel devrait décourager la demande de travail, et nous devrons observer une dégradation du marché du travail. Selon la théorie de « la dernière centaine de mètres », il est plus difficile de faire diminuer l'inflation de 2,5 à 2% que de 5 à 2,5%, car les effets inertiels sont plus puissants parce qu'ils touchent plus de prix.

Si la stabilisation de l'inflation à 2% observée au quatrième trimestre 2023 est confirmée au quatrième trimestre 2024 et si le marché du travail commence à se dégrader comme nous l'anticipons, il est probable que la Fed commence à baisser ses taux d'intérêt. Est-ce que cela permettra de maintenir une croissance forte, rien n'est moins sûr. La croissance de long terme ne se décide pas au niveau de la banque centrale, mais de la structure économique du pays. Les Etats-Unis ont de nombreux atouts, mais leur dette publique faramineuse risque de peser lourdement sur l'économie.

Toutefois, pour l'instant, la fée IA, penchée sur le berceau de l'économie américaine, lui a permis de passer sans encombre la période de désinflation de 2023 après les errements monétaires et budgétaire de 2021.

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Commentaires 2
à écrit le 02/02/2024 à 14:11
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L'essentiel c'est de se poser des questions mais pas de s'intéresser aux réponses, qui ne génèrent pas de cash, via les médias qui occupent vos esprits ! ;-)

à écrit le 02/02/2024 à 9:25
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Contrairement à la BCE qui a trop attendu, la Fed a su relever ses taux d'intérêt pas trop tard. La BCE, au contraire, a laissé pourrir la situation, elle a gaspille de l'argent a foison en 2020 et 2021

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