Former aux compétences de demain : l’impensé de nos grandes transitions

OPINION. La France est-elle vraiment prête à affronter le défi des grandes transitions environnementale, numérique et démographique ? Par Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Michel Canévet (*)
(Crédits : DR)

Les priorités gouvernementales semblent affichées : planification écologique interministérielle, « Industrie verte » ou encore développement de la French Tech. Le vieillissement de la population française a ravivé le débat sur le système des retraites et accéléré le développement de la Silver Economy.

Pourtant, il reste un impensé de taille : celui des compétences, des hommes et des femmes, qui seront indispensables pour accompagner les grandes mutations de notre économie, de nos entreprises et même de nos services publics. C'est le sens de l'alerte lancée par la délégation sénatoriale aux Entreprises, qui vient d'adopter un rapport présentant trente propositions pour former aux compétences d'aujourd'hui et de demain.

Deux entreprises sur trois peinent à pourvoir leurs emplois

Les données chiffrées du problème donnent le vertige. Les difficultés de recrutement des entreprises atteignent des sommets en 2023 : deux entreprises sur trois peinent aujourd'hui à pourvoir ses emplois, et un quart des TPE-PME déclare que ces difficultés ont un impact majeur sur leur croissance et leur chiffre d'affaires. Dans les secteurs du soin aux personnes et de l'aide à domicile, la crise d'attractivité est réelle, bien que l'on anticipe la création de 370 000 emplois d'ici 2030.

Si l'Etat engage des ressources humaines et financières considérables pour accompagner la transition de notre économie - notamment par le plan de Relance et France 2030, l'enjeu des compétences est encore fortement sous-estimé.

La loi « Avenir professionnel » n'a pas apporté toutes les solutions

La loi « Avenir professionnel », qui avait mis l'accent sur la formation pour tous, n'a pas suffi. Les difficultés de certains secteurs essentiels, en particulier l'industrie et le commerce, témoignent d'un décalage entre les besoins réels de compétences de notre économie et les actions de formation financées par le système mis en œuvre depuis 2018. Il est indispensable de mieux cibler la politique de formation, par exemple en recourant davantage à l'abondement du CPF, par les entreprises comme par l'Etat, en faveur des métiers en tension.

Les difficultés structurelles de financement sont également inquiétantes, même si elles sont minimisées par le Gouvernement : faute d'anticipation, France Compétences vit aujourd'hui à crédit tandis que les plans de développement des compétences au sein des entreprises, notamment les plus petites, sont mis en péril. La sécurisation du financement de l'apprentissage et de l'action des branches doit être une priorité.

61% du décrochage des jeunes intervient au sein du lycée professionnel

L'orientation professionnelle est l'angle mort de la réforme de 2018. Les élèves français connaissent en moyenne seulement une vingtaine de métiers. Les impasses déjà bien identifiées persistent, entre l'insuffisante mixité des filières scientifiques, l'image dégradée de la voie professionnelle et le manque de transparence sur les débouchés réels de chaque formation. La réforme du lycée professionnel, annoncée par le Président de la République, devra faire ses preuves, car le résultat est cruel : 61% des « décrochages » de jeunes interviennent en lycée professionnel.

Au-delà de l'enjeu économique, la formation est en effet un enjeu social : alors que notre pays compte trois millions de chômeurs, la vacance de nombreux emplois est un aveu d'échec des politiques publiques d'insertion et d'accompagnement des demandeurs d'emploi. 13% des jeunes Français ne sont aujourd'hui ni en études, ni en formation, ni en emploi. Il est temps d'agir en garantissant à chacun un socle de compétences, en orientant plus efficacement vers les nombreux métiers en tension ou les métiers d'avenir, et en accompagnant les mutations des territoires.

L'ère des mobilités professionnelles et de la compétition pour les talents : l'impératif de l'attractivité

L'ère des grandes transitions sera aussi l'ère de la mobilité professionnelle. Les jeunes Français exerceront, en moyenne, près d'une dizaine d'emplois au cours de leur vie, et la moitié des actifs envisagent déjà une reconversion à court-terme. Il faut accompagner la mobilité, qui peut être une réponse aux difficultés de recrutement et un levier d'attractivité. La reconversion en emploi ou en alternance doit aussi être favorisée, pour éviter les ruptures de parcours que l'on sait dommageables. Enfin l'allongement des carrières devrait nous inciter à renforcer l'accompagnement des seniors et la transmission des compétences au sein de l'entreprise.

Dans ce « monde d'après-Covid-19 » en forte évolution, dans lequel la compétition - y compris internationale - pour les compétences s'intensifie, il faut prendre au sérieux l'enjeu de l'attractivité des emplois et des entreprises. Bien au-delà du seul télétravail, de nombreux leviers peuvent être activés, comme le partage de la valeur ou la mise en valeur des engagements sociétaux des entreprises. Leur déploiement au sein des entreprises, notamment les plus petites, pourra faire la différence.

Nous vivons une période charnière et critique : l'État doit être au rendez-vous, non seulement en réaction, mais aussi en anticipation. Il nous faut, dès aujourd'hui, nous doter de la stratégie pour former pour demain.

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(*) Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Michel Canévet sont membres de la Délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par Serge Babary. Ils ont présenté le 29 juin leur rapport d'information « Former pour aujourd'hui et pour demain : les compétences, enjeu de croissance et de société ».

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Commentaires 2
à écrit le 13/07/2023 à 8:26
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Ils préfèrent nous diviser, sans arrêt, jusqu'à la déshumanisation totale.

à écrit le 12/07/2023 à 16:04
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La formation devrait être la priorité des entreprises pour les années à venir et pour les chefs d'entreprises l'occasion de changer de logiciel en intégrant l'idée que former des collab. représente un investissement et non une charges d'une part et d...

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