Investir dans la ville ne veut pas dire spéculer

LE MONDE D'APRES. Au lieu d'enchérir sur un parc immobilier vieillissant, les investisseurs devraient plutôt allouer leurs budgets aux rénovations à la fois énergétiques et numériques. Par Emmanuel François*, président de la Smart building alliance (SBA).
Emmanuel François, président de la Smart building alliance (SBA)
Emmanuel François, président de la Smart building alliance (SBA) (Crédits : Eric Mangeat)

Le contexte actuel de crise sanitaire remet à plat tous nos acquis. Les entreprises revoient leurs prévisions à la baisse et la soudaine crise du pétrole accentue encore l'effet « bulle » - prévisible mais toujours impactant - sur les marchés. Et dès que la machine économique se grippe, la réponse est la même : on dope la croissance. Est-ce bien sain de booster aux testostérones de la baisse des taux d'intérêts la machine de nos économies boulimiques de consommation, alors que l'endettement mondial cumulé des états, des entreprises et des citoyens est déjà de 320% ?

Les conséquences de l'endettement et de la panique des marchés sont de plusieurs natures, avec des impacts imbriqués et exponentiels. Parmi eux : le renforcement de la spéculation foncière. Mais la dynamique de report des fonds vers le fameux « immobilier, valeur refuge » n'est pas durable : le secteur ne pourra pas « faire » + 10% chaque année sur les prix. La gentrification et en parallèle la paupérisation de certaines zones sont en passe de devenir dangereuses pour l'équilibre social déjà mis à mal. L'annus horribilis dite des « gilets jaunes » en aura été un épiphénomène annonciateur.

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Alors que la précarité énergétique gagne du terrain, les investisseurs, en sur-renchérissant sur un parc existant qui vieillit sur pied, retirent de facto du budget qui pourrait être alloué aux rénovations à la fois énergétiques et numériques.

Les budgets alloués au chauffage - et bientôt à la climatisation - pour les ménages sont de plus en plus importants. Selon l'ONPE, 11,7 % des ménages étaient en situation de précarité énergétique en 2018, soit 6,8 millions de personnes[1]. Si se rapprocher de l'emploi coûte cher en logement, s'éloigner de l'emploi coûte cher en mobilité : une partie croissante de la population à commencer par les jeunes et les personnes exerçant des petits emplois de proximité peinent à se loger en centre-ville. Or, selon une étude Ipsos[2], les Français vivant dans des zones périurbaines dépensent plus que les citadins en déplacement, consacrant en moyenne 223 € à leur budget mobilité. Plus les ménages vivront loin de leur lieu de travail et plus leur immeuble sera sensible aux variations climatiques, plus ces budgets énergie combinant habitat et transports vont augmenter.

Reculer encore le financement pour la rénovation énergétique entraine aussi par effet rebond le recul de la digitalisation du parc immobilier, pourtant fondamentale, pour favoriser notamment le pilotage énergétique des immeubles mais aussi leur raccordement à la ville et l'émergence de nombreux services - comme le maintien à domicile ou encore la convergence entre le bâti et la mobilité urbaine. Les possibilités pour les investisseurs de se rémunérer sur les externalités positive sont pourtant réelles.

Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas de demander ici aux investisseurs un effort de l'ordre de la philanthropie dans le parc immobilier de nos villes. Non. On parle bien d'un investissement dans l'avenir.

Où investir ? Là où la valeur se crée. Il s'agit aujourd'hui de rompre avec l'illusion de l'enrichissement par la spéculation immobilière. Les financiers peuvent et doivent renouer avec leur noble métier qui est celui d'investir dans l'avenir : s'il existe aujourd'hui une tension forte avec la fin du dogme de la croissance infinie basée sur des ressources infinies, la ville de demain redevient source de valeur, via les économies d'énergies et services rendus, à la fois pour ses habitants mais aussi pour les acteurs qui auront bien voulu la construire. L'optimisation des mètres carrés via le partage et la mutualisation de l'espace, par exemple, permettent non seulement de générer plus de flux et plus de revenus, mais aussi de ramener des habitants en ville, réduire leur budget énergie ainsi que celui du bâti et donc les émissions de gaz à effets de serre de l'ensemble.

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Ce « big bang » de l'efficacité énergétique peut permettre aux acteurs financiers de renouer avec un ROI à 5 à 10 ans via le déploiement de très nombreux services et solutions - réduction des dépenses énergétiques, location d'espaces, habitat, bureau, parkings, confort, multi modalité et mobilité partagée - à coût marginal puisque l'infrastructure sera déjà installée.

Mais seul un cadre de confiance, associé à la volonté des acteurs financiers, permettra de déployer massivement l'infrastructure et accélérer la transition numérique et environnementale des villes. Il est conditionné par deux points. Le premier : avoir une approche holistique en traitant tous les défis en même temps. En effet, aborder les sujets sanitaires, environnementaux, économiques et sociaux, indépendamment les uns des autres peut nuire à l'ensemble par effet rebond. Le deuxième : faire dialoguer les acteurs de la ville et les usagers ensemble pour que ces derniers passent du statut d'otage à celui d'acteur de la ville. Le numérique permet aujourd'hui d'associer les citoyens, comme illustré par les projets de démocratie participative et de crowdfunding.

La finance est un outil puissant, qui touche tout le monde et tous les secteurs

A l'époque de la sobriété, les financiers peuvent jouer le rôle de colonne vertébrale d'un nouveau paradigme économique créateur de services et économe de ressources. Financements privés et publics, industriels et citoyens - la force du numérique est de réunir les acteurs pour servir de support à ces nouveaux modèles, sources de valeur partagée pour un plus grand nombre, et non sur la spéculation, source, à terme, de pertes nettes pour tout le monde.

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[1] https://www.precarite-energie.org/publication-du-tableau-de-bord-2018-de-l-observatoire-national-de-la-precarite/

[2] https://www.ipsos.com/fr-fr/204-eu-par-mois-le-budget-moyen-des-francais-pour-se-deplacer

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(*) Emmanuel François est le président, réélu ce 6 avril 2020, de la Smart building alliance (SBA), une association loi 1901 de 600 membres qui porte "les conditions d'un déploiement massif du digital à l'échelle des bâtiments jusqu'aux territoires", guide les collectivités et accompagne la transition du secteur tout entier.

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Commentaires 2
à écrit le 09/04/2020 à 18:52
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Investir pendant la crise ? Génial pendant le confinement comme sujet 👍

à écrit le 06/04/2020 à 16:24
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La finance est aveugle, elle investi aussi bien dans la spéculation immobilière que dans le trafic d'organes, de drogues, les guerres, la prostitution et-c... Soit vous lui proposez de gagner encore plus vite encore plus, soit elle ne vous écoute...

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