L'affaire Griveaux, acte de naissance d'une nouvelle ère politique et médiatique en France

OPINION. Même lorsque l'on pense être immunisé par ses convictions politiques et personnelles, sa compétence médiatique ou professionnelle, l'incroyable surgit invariablement au détour de la rue digitale. Par Jean-Christophe Gallien, docteur en science politique, enseignant à l'Université de Paris-Sorbonne(*).
Jean-Christophe Gallien.
Jean-Christophe Gallien. (Crédits : Reuters)

Ce que l'on peut raisonnablement qualifier d'Affaire Benjamin Griveaux vient de nous rappeler que l'espace public -et nous en faisons tous l'expérience- s'élargit et se complexifie... Le concept même de vie privée est redéfini par les extensions récentes que nous donnons, presque tous, à la visibilité publique de nos activités personnelles voire intimes.

Des boules lancées dans un flipper digital

L'expérience que nous vivons, ou que nous nous apprêtons tous à vivre, nous lance comme des boules dans un incroyable flipper digital de la conversation et de l'information désintermédiée et, surtout, démultipliée dans ses offres narratives. Le résultat est plus que déstabilisant.

Même lorsque l'on pense être immunisé par ses convictions politiques et personnelles, sa compétence médiatique ou professionnelle, construites dans la durée, l'incroyable surgit invariablement au détour de la rue digitale : la suspicion se généralise, on se surprend à hésiter, à mettre en doute une réalité que l'on croyait observer et surtout comprendre.

Un alter monde, celui de la distorsion permanente

Nos amis américains qui sont actuellement bombardés par l'incroyable et, je dois l'avouer, extraordinaire dispositif mis en place par les équipes de Donald Trump pour sa stratégie de défense face à la procédure d'Impeachment et désormais de contre-attaque électorale, sont projetés dans un alter monde. Celui de la distorsion permanente, aux émetteurs démultipliés, macro et micro scénarisée. La vérité est de plus en plus complexe à localiser.

Entre cris et chuchotements, entre la puissance d'une saturation médiatique collective massivement délivrée et la précision affective de conversations individualisées positives ou négatives, ils sont tous, qu'ils le veuillent ou non, impactés et surtout bousculés dans leurs fondamentaux les plus profondément enracinés.

L'idée centrale, c'est de créer la confusion

Élargissons un peu notre regard: ce qui est à l'œuvre, en termes de communication politique et électorale, loin de nos standards français, pour l'instant, ce sont des stratégies mise en œuvre par de nombreux dirigeants de régimes politiques qualifiés d'illibéraux ou de démocratures.

L'idée centrale, plutôt que d'interdire l'expression des adversaires politiques ou de briser par la force les dissidences, c'est de créer la confusion, l'incertitude et au final l'adhésion à leurs narrations le plus souvent positionnées comme protectrices.

Ils saturent les ondes et surtout tous les tuyaux, ils occupent tous les espaces de la conversation physique et digitale, démultiplient l'exposition à un contenu de marque ou de produit politique individualisé entre histoires positives et négatives.

La vérité n'est plus qu'un concept

La vérité n'est plus qu'un concept qui ne rencontre plus les réalités projetées. Le bruit fonctionne comme un dôme protecteur inviolable de la position des leaders émetteurs et les micro-chuchotements personnalisés pour les oreilles de chaque citoyen sèment le doute jusque chez les ennemis et séduisent les incertains. Ces dirigeants ont appris à utiliser la magie politique et le pouvoir conversationnel des médias sociaux.

Notre défi collectif, c'est désormais de refuser le déni du « c'est un accident », de ne pas se cacher derrière la création létale d'une nouvelle ligne Maginot digitale française ou européenne. Notre défi, c'est désormais d'intégrer et de tenter de maîtriser ces mutations irréversibles à l'œuvre au cœur de nos expériences individuelles mais aussi collectives qu'elles soient politiques mais aussi business et diplomatiques. Il n'y a pas d'option. C'est une nouvelle ère, il faut tout faire pour qu'elle demeure démocratique.

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(*) Par Jean-Christophe Gallien
Politologue et communicant
Enseignant à l'Université de Paris la Sorbonne
Président de j c g a et Directeur de Zenon7 Public Affairs
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

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Commentaires 14
à écrit le 21/02/2020 à 13:56
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"des boules lancées dans un flipper médiatique..." Je salue la gaillardise (limite paillardise) de la formulation même si je ne suis pas sûr que l'image soit intentionnelle. Les "affaires" n'ont que l'importance qu'on veut bien leur donner. Si ...

à écrit le 21/02/2020 à 13:03
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Dans les années 70/80, JE Hallier criait au loup d'un Etat le mettant sur écoute et toute la place parisienne reprenait en cœur le couplet du farfelu paranoïaque. Jusqu'à ce qu'après sa mort, on découvre que Mitterrand l'avait effectivement fait espi...

à écrit le 21/02/2020 à 2:13
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Grivot a des convictions politiques ! La meilleure de ce debut de journee.

à écrit le 20/02/2020 à 12:01
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plus près de nous que les Amériques..... Macron a dit au moment ou il devenait ministre de l économie...."tous les banquiers d affaires sont de menteurs" peu de temps après son mentor chez Rothschild expliquait que le même macron avait un vrai talen...

à écrit le 20/02/2020 à 11:14
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La première question qui me vient a l'esprit est: "Ce "papier" a t il été relu par quelqu'un de sobre?" Au lieu de vouloir nous instiller la nécessité de loi liberticide, il suffit de reconnaître que tout ce qui passe par le web est du domaine publi...

à écrit le 20/02/2020 à 11:01
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Il faut vraiment être stupide pour mettre "ses" vidéos cochonnes, via le numérique.Coté de la morale, c'est une autre histoire de corneculs !

le 20/02/2020 à 11:18
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Je suis d'accord , envoyer des vidéos sur les réseaux sociaux , c'est une part le plaisir de s'exiber de franchir les codes , c'est trop facile de condamner les lanceurs d'alertes et de qualifier de façon partiale en infraction en libellant communic...

à écrit le 20/02/2020 à 10:27
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Nous assistons à une sorte de priapisme cathodique , à l'évidence , du grand n’importe quoi.

à écrit le 20/02/2020 à 10:15
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Non il ne s'agit pas d'une nouvelle ère au sens de la sortie d'informations, car les faits ont toujours été! Ayant les cultures scandinaves, disons pour eux c'est consubstantiel au pays, comme la corruption. C'est juste qu'ici pour avoir les mê...

à écrit le 20/02/2020 à 10:04
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Il nous faudrait des historiens de la communication pour faire la part des choses entre ce qui a toujours existé et les évolutions récentes.. Pas si loin dans nos passés, nous avions dans certains états des Ministères de la Propagande (j'imagine que ...

le 20/02/2020 à 19:58
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Bonsoir, Juste pour dire qu'a partir des chaînes d'infos d'autres pays, la question sur Huawei est entérine par le ministre de l'économie, ils aurons accès mais par sur les infrastructures dites sensibles. C'est marrant ce que permet les langu...

à écrit le 20/02/2020 à 9:42
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moi ce qui m'a choqué c'est ce selfi avec une femme voilé La Loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public est publiée au Journal officiel. L'article 1: précise "Nul ne peut, dans l'espace public, po...

à écrit le 20/02/2020 à 9:39
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"Perception is Reality", N'a t-on pas compris ce concept fondamental ?

à écrit le 20/02/2020 à 8:43
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"La vérité n'est plus qu'un concept" Bon faut encore se répéter hein... Le nuage de Tchernobyl qui s'est arrêté à la frontière française c'était avant internet, les armes de destructions massives irakiennes qui ont généré 200000 morts dans c...

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