La Retail Apocalypse est-elle une fatalité ?

Acheter ses vêtements dans les grands magasins ? Totalement incongru pour la jeune génération qui, pour s'habiller, se rend d'abord sur Instagram, puis sur les sites de vente en ligne, via leur mobile le plus souvent. Et de fait, le modèle d'Amazon a le vent en poupe, tandis que la distribution en magasins physiques ne cesse de péricliter. Il faut se rendre à l'évidence, des pans entiers de notre économie vont s'écrouler d'ici 5 à 10 ans. Par Pascal Malotti, directeur Business Development & Strategy, Valtech France.
Pascal Malotti.
Pascal Malotti. (Crédits : DR)

En juin dernier, deux acteurs majeurs du jouet, La Grande Récré, en redressement judiciaire, et Toys'R'Us, qui annonçait la fermeture de tous ses magasins aux États-Unis, étaient les dernières victimes en date de la Retail Apocalypse. Cette expression, utilisée par les Américains pour décrire les effets négatifs du e-commerce sur les Bricks and Mortar, met en lumière un phénomène qui serait à l'origine de la fermeture de plus de 3.000 boutiques outre-Atlantique en 2017. Les géants digitaux du retail, et en premier lieu Amazon, sont pointés du doigt comme étant les principaux responsables. Mais les choses ne sont pas aussi simplistes...

Amazon, une machine à satisfaire le consommateur

La Retail Apocalypse est un phénomène particulièrement mal vécu dans les pays anglo-saxons, où l'économie de marché fonctionne de la façon la plus violente qui soit et où les amortisseurs sociaux sont peu nombreux. La crise de 2008 avait déjà affecté les réseaux de vente, les embarquant dans une spirale de promotions permanentes, rognant toujours plus sur leurs marges. Cette situation a été fortement accentuée par la révolution digitale et la montée en puissance du e-commerce. Dans le même temps, les comportements d'achat ont évolué, faisant naître de nouveaux besoins et, donc, de nouvelles offres. Enfin, le dernier avantage des boutiques physiques, l'immédiateté, c'est-à-dire la possibilité pour un consommateur d'assouvir son envie sans attendre, en entrant simplement dans un magasin, a été récemment fusillé par Amazon Prime et sa promesse de livraison en 2h !

Et c'est loin d'être la seule innovation de ce géant du retail, qui s'engage sur tous les fronts avec succès, bouclant actuellement sa propre omnicanalité. Ainsi, il vient d'annoncer l'ouverture de 3 000 magasins sans caisses Amazon Go d'ici à 2021 sur le sol américain. Une bien mauvaise nouvelle pour les acteurs traditionnels de la grande distribution.

Ce succès ne doit évidemment rien au hasard. Amazon a su appliquer les codes du retail à un modèle de déploiement parfaitement abouti, extrêmement innovant, très discipliné et plaçant toujours le consommateur au cœur de ses processes. Il est ainsi devenu une véritable machine à satisfaire les e-acheteurs, en créant autour d'eux tout un écosystème, qui leur facilite la vie. Son avance est telle, qu'aucun acteur aujourd'hui n'est en mesure de l'inquiéter. Et, pour ceux qui s'y risquent, ils ne s'avèrent en réalité que de pâles copies.

La fin d'un modèle, le début d'une nouvelle ère

Pendant un moment, nous avons pensé que l'omnicanalité, notamment la phygitalisation des points de vente, pourrait sauver les Bricks & Mortar de cette déferlante. Mais il faut se rendre à l'évidence : des pans entiers de notre économie vont s'écrouler d'ici 5 à 10 ans. Certains annoncent que c'est la distribution des classes moyennes qui s'apprête à disparaître. Toutes ces marques middle market, sans ADN suffisamment fort, sans communauté fédérée, dont les offre sont similaires les unes aux autres. Certes, en France, la Retail Apocalypse est vécue moins dramatiquement que chez nos voisins anglo-saxons. Cela tient d'abord à notre modèle social, mais aussi à notre géographie. Si Amazon a si bien réussi aux États-Unis, c'est parce que dans ce pays de la démesure, aller acheter son pain ou son journal oblige le consommateur à prendre sa voiture. En France, nous n'en sommes pas là et les commerces de proximité gardent leur attractivité.

Pour autant, notre pays ne sera pas épargné par ce phénomène. La jeune génération se moque bien de l'héritage d'un mode de consommation issu de la Seconde Guerre mondiale. Pour trouver leurs vêtements, c'est d'abord sur Instagram qu'elle se rend, puis sur les sites de vente en ligne, via leur mobile le plus souvent. Les grands magasins, comme le Printemps ou les Galeries Lafayette, sont pour eux des lieux totalement incongrus. Et, quand ils se déplacent en boutique, c'est pour y trouver une proposition inédite.

Les clés de la survie : la distribution intégrée et le magasin expérientiel

Ainsi, dans ce grand bouleversement, les marques qui tireront leur épingle du jeu seront celles qui adopteront une distribution intégrée, c'est-à-dire qu'elles maîtriseront toute la chaîne de valeur de leurs produits, de la conception à la vente, en passant par la fabrication. Leurs magasins seront avant tout des lieux expérientiels de check in et non plus de check out. Concrètement, cela signifie que le consommateur viendra y vivre un moment particulier, mais pas forcément acheter un produit. C'est le modèle de l'Apple Store, pionnier du genre, dans lequel on vient admirer les nouveautés ou suivre des cours de photo avec son iPhone, sans forcément acheter quelque chose. Ce glissement sert une logique business reposant sur la possibilité de suivre son client sur la durée.

Des entreprises américaines, comme AllBirds ou Outdoor Voices, sont nées sur ce principe. Elles associent un concept fort et très expérientiel, des chaussures fabriquées en matières naturelles pour la première et des vêtements de sport dédiés aux femmes pour l'autre, à une vision digitale et claire. En France, la marque Décathlon a, elle aussi, embrassé ce modèle, ne proposant plus aujourd'hui dans ses magasins que des produits sous sa marque propre, tout en y développant des expériences autour de la réalité virtuelle, par exemple.

Pour survivre dans ce nouveau monde, il faudra donc disposer d'un ADN très fort, maîtriser toute sa chaîne de valeur et établir un business model sur mesure pour sa marque, dans lequel le digital et l'innovation joueront des rôles majeurs. Demain, les boutiques seront des temples de l'expérience et non plus de la consommation. Mais ne nous voilons pas la face : d'ici là, la Retail Apocalypse aura laissé quelques traces !

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Commentaires 2
à écrit le 30/10/2018 à 10:57
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Il n'est pas toujours evident de s'habiller dans les grandes enseignes quand on fait 2 metres et qu'on chausse du 50!

à écrit le 30/10/2018 à 9:08
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J'aime bien ce mouvement de consommation qui permet une consommation mieux maitrisée, non apaisée certes mais plus précise et donc moins gaspilleuse de matière première. C'est l'oréal qui a eu la bonne idée de développer des tests de maquillage v...

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