Le Big Data n'est pas un obstacle durable à la concurrence entre les entreprises

Les inquiétudes montent sur l'avantage concurrentiel des grandes entreprises disposant de nombreuses données. En fait, sur le long terme, la concurrence n'est pas faussée par le Big Data. Par Anja Lambrecht, London Business School et Catherine Tucker Sloan School of Management, MIT

Le Big Data constitue une nouvelle frontière dans la révolution numérique. Avec une économie et des consommateurs qui se tournent vers les services numériques, la collecte des données n'a jamais été aussi facile. Des capacités informatiques puissantes à bas coûts viennent compléter l'environnement pour permettre à des startups de profiter rapidement de l'analyse de données et se lancer dans de nouvelles aventures.

Des données pour améliorer le service

Les données ne servent pas qu'à innover. Elles permettent à de nombreuses entreprises de proposer des services efficaces et de meilleure qualité. En France, nous avons l'exemple de l'outil d'analyse de la pollution proposé par PlumeLabs. Cette startup a commencé ses activités en utilisant des données sur la qualité de l'air accessibles publiquement. Puis, elle a intégré progressivement des contenus provenant des smartphones de ses utilisateurs pour affiner ses analyses. Aujourd'hui, elle leur propose une évaluation intégrant des données plus complètes et une meilleure couverture du territoire.

Avec une approche de l'innovation fondée sur l'analyse de données, les données collectées peuvent elles représenter un avantage concurrentiel durable pour des entreprises comme PlumeLabs? Cette question est au cœur des discussions des régulateurs européens,  les autorités allemandes et françaises de la concurrence ayant publié le 10 mai 2016 une étude conjointe sur les données et leurs enjeux pour l'application du droit de la concurrence.

Pas d'avantage concurrentiel durable

Nous discutons dans notre étude du fait que, contrairement à certaines inquiétudes, un volume important de données ne crée pas, pour ces entreprises, un avantage durable aussi important qu'on aurait pu l'imaginer. L'idée au cœur de notre analyse est que, pour qu'un élément soit à la source d'un avantage concurrentiel durable pour une entreprise, les entreprises concurrentes ne puissent pas en reproduire les mêmes bénéfices. Pourtant, il y a de nombreuses raisons de penser que les entreprises concurrentes peuvent reproduire les bénéfices de l'analyse d'un grand volume de données.

Tout d'abord, les outils de collecte et d'analyse des données sont largement répandus, abordables et accessibles. Chaque entreprise, petite ou grande, a la capacité d'intégrer dans ses activités des informations tirées d'un traitement massif de données.

De nombreux outils pour collecter des données

Les entreprises disposent également de nombreux outils pour collecter des données, en sus de celles obtenues auprès de leurs clients. Les données sont "non rivales" : même si une entreprise utilise une donnée, celle-ci demeure disponible pour les autres. Il va ainsi des données sur les changements d'adresse de la Poste ou des données "temps réels" des trains de la SNCF. Ces informations sont commercialement disponibles sur le marché. Ceci permet aux nouveaux entrants d'obtenir rapidement les mêmes informations que celles détenues par des entreprises déjà établies.

 Enfin, lorsqu'elles sont utilisées correctement, les données peuvent aider les entreprises à mieux comprendre leur clientèle et développer leur activité. Il apparaît cependant clairement que les données n'ont pas de valeur en tant que telles. Pour libérer les connaissances potentielles que renferment les données, une entreprise doit disposer de collaborateurs compétents, dotés d'un savoir-faire en matière de données et capables d'appliquer des expérimentations ou des algorithmes de façon rigoureuse afin de mettre en avant les informations utilisables. Bien que les données puissent être utiles, la véritable valeur réside dans le capital humain des entreprises et dans les procédés et stratégies que les employés mettent en œuvre pour exploiter cette mine d'informations et en tirer des connaissances.

 Les startups qui ont réussi ont commencé sans données

Ceci explique que les entreprises détenant un grand nombre de données ne sont pas invincibles face à leurs concurrents. De nombreuses start-ups qui ont débuté avec un désavantage en matière de données, ont rapidement rivalisé, et même dépassé leurs concurrents. L'arrivée de ces nouveaux acteurs démontre que les données ne sont pas "non substituables": les chemins vers la réussite sont nombreux pour les entreprises innovantes qui cherchent à fournir des services de meilleure qualité à leurs clients. WhatsApp concurrence les entreprises de télécommunications traditionnelles non pas en tirant avantage de l'exploitation de données - ses concurrents disposant déjà d'importants volumes de données, par exemple sur les pratiques en matière de communication et les préférences en matière de tarification de leurs clients - mais en introduisant un service de messagerie facile à utiliser et extrêmement bon marché.

En outre, des nouveaux entrants dans l'économie du partage comme Uber, AirBnB, ou BlaBlaCar ont dépassé des concurrents bien mieux établis et ont connu une forte popularité en proposant à leurs clients des offres plus abordables, plus pratiques et plus fiables. Pourtant ils ont débuté sans aucune donnée.

Pas de recette miracle

La puissance de ces startups démontre que disposer d'un gisement de données n'est pas le principal vecteur de réussite sur le marché numérique. Dans ce domaine, les clés de la réussite se trouvent davantage dans des services innovants, des idées qui privilégient les attentes et les besoins du consommateur, et dans la compétence des employés en matière d'analyse de données. Cela permet aux entreprises d'offrir de nouveaux produits répondant aux besoins des consommateurs par des moyens qui n'étaient pas envisageables il y a encore quelques années.

 Les données ne sont pas une recette miracle permettant de tuer toute concurrence et de protéger la position dominante d'une entreprise en manque d'imagination. C'est en grande partie la qualité de l'analyse, et non pas la quantité de données, qui déterminera le succès.

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Par Anja Lambrecht
London Business School
et Catherine Tucker
Sloan School of Management, MIT

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