Le « bio » nous a-t-il tous rendus fous  ?

Entre désir de santé et marketing, le "bio" est devenu, en particulier en matière d'alimentation, un véritable phénomène de société qui désormais disqualifie ce qui n'est pas "bio". Pour autant, une analyse rationnelle montre que cet engouement repose sur des bases fragiles. Par Laurent Pahpy, ingénieur, analyste pour l'Institut de recherches économiques et fiscales (IREF) (1).
(Crédits : Reuters)

« Tout d'un coup, il a monté le marchepied du tracteur et m'a donné une dizaine de coups de poing. J'étais coincé dans la cabine et ne pouvais pas bouger. » Le témoignage de ce céréalier de l'Ain, sauvagement frappé par un riverain au début du mois, a ému la profession. L'agresseur voulait empêcher l'agriculteur d'épandre un herbicide sur son champ, persuadé qu'il procédait à un empoisonnement. Nombreux sont ceux qui ne comprennent plus ces consommateurs devenus fous, au point que certains en viennent aux mains.

Les pesticides, un mal nécessaire depuis toujours

Depuis quelques années, deux idées se sont massivement répandues dans la population. La première est que l'utilisation actuelle des pesticides constitue un risque sanitaire grave et non maîtrisé. La seconde est qu'il existe une alternative qui résoudrait tous ces problèmes : le « bio ». Ces deux idées sont scientifiquement infondées.

Les pesticides sont un mal nécessaire depuis toujours. Les anciens écrits témoignent que les populations de la Grèce antique, du Moyen et de l'Extrême Orient utilisaient déjà des substances répulsives ou toxiques pour lutter contre les nuisibles. Insectes, rongeurs, champignons, mauvaises herbes... Les cultures subissent des dommages qui peuvent les dévaster. Pour s'en prémunir, les agriculteurs utilisent des pesticides, aussi appelés produits phytosanitaires.

Comme pour les médicaments, il ne faut pas en abuser, car ils ont aussi des effets secondaires. Mais ils sont aujourd'hui indispensables. Et l'agriculture dite « biologique » ne fait pas exception.

Contrairement à ce qui est couramment véhiculé, le « bio » utilise aussi des pesticides. Mais alors, quelle différence ? Le cahier des charges du « bio » n'accepte que des intrants qualifiés de « naturels », et la liste est longue. Ils n'en sont pas moins toxiques pour les humains et l'environnement. Comme toute substance chimique, naturelle ou non, la dose fait le poison et son exposition conditionne le risque.

Des pesticides « naturels » pour le « bio » ?

La définition de « naturel » est d'ailleurs toute relative. Par exemple, le sulfate de cuivre, un pesticide « bio » indispensable pour lutter contre le mildiou, une maladie fongique à l'origine de la grande famine irlandaise, est produit industriellement par le décapage chimique du cuivre par l'acide sulfurique et n'est pas disponible à l'état « naturel ». Son profil toxicologique pour les humains et l'environnement est d'ailleurs bien plus néfaste que... le glyphosate, un herbicide conventionnel qui subit depuis plusieurs mois les foudres d'un emballement médiatico-politique disproportionné.

Si les pesticides sont toujours plus contrôlés, évalués et maîtrisés, comme pour les médicaments, il existe des loupés. Certaines molécules se sont révélées être plus dommageables que prévu pour la santé et l'environnement. C'est le cas par exemple de la roténone, une molécule extraite de plantes tropicales, dont on a démontré qu'elle entraînait un risque accru de développement de la maladie de Parkinson pour les applicateurs. Ce pesticide « naturel » et « bio » a été interdit en 2011.

L'arbitrage entre la protection des plantes et les effets secondaires des pesticides est délicat. Mais croire que l'agriculture « biologique » permettrait de le surpasser est illusoire. En l'état actuel des connaissances, l'autorité européenne de sécurité alimentaire considère qu'il est peu probable qu'une exposition à long terme des résidus de pesticides affecte négativement notre santé.

Quant aux agriculteurs, l'Inserm considère qu'il y a de grandes présomptions que huit formes de cancer et trois maladies neurodégénératives (notamment la maladie de Parkinson) soient surreprésentées dans la profession à cause des pesticides, « bios » ou non. L'incidence globale de tous les cancers est néanmoins plus faible chez les agriculteurs que dans le reste de la population.

L'agriculture « bio » ou le refus des solutions

Il existe toutefois une piste très sérieuse pour limiter drastiquement l'usage des produits phytosanitaires. Bien qu'injustement décriés en France, les OGM font l'objet d'un très large consensus scientifique quant à leur innocuité intrinsèque et leur capacité à répondre aux défis alimentaires, sanitaires et écologiques de notre époque.

La réponse du « bio » est particulièrement incompréhensible sur ce point, car le cahier des charges y oppose son refus catégorique. Un refus qui fait suite à des campagnes anti OGM de la part d'organisations militantes comme Greenpeace, s'est transformé en loi pour toute l'agriculture française. Cette opposition devient totalement incohérente quand on sait que l'agriculture « bio » cultive de nombreuses plantes issues du génie génétique, comme la variété de blé Renan ou le riz de Camargue. Si le « bio » voulait maintenir sa cohérence intellectuelle en ne cultivant que des plantes dont le génome n'a pas été modifié par l'homme, il faudrait abandonner une grande partie de ses cultures actuelles.

Le « bio » est une stratégie marketing qui s'appuie sur le principe de l'appel à la nature. Ce biais fait que nous avons plus confiance dans un produit présenté comme « naturel » que dans un produit synthétique. Mais cette opposition n'est pas validée par la démarche scientifique. Ce qui est naturel n'est pas forcément bon pour la santé et l'environnement. Inversement, certains pesticides de synthèse, comme le glyphosate, permettent de développer de nouvelles pratiques plus écologiques comme l'agriculture de conservation des sols qui limite les effets désastreux du labour et la consommation des intrants agricoles.

Les rentes subventionnées du « bio »

L'agriculture « bio » est moins performante que l'agriculture conventionnelle. Du fait du refus des intrants de synthèse, les rendements moyens sont diminués de moitié pour de nombreuses cultures par rapport au conventionnel. Pour compenser cette différence, les producteurs font payer cet appel à la nature plus cher sur les étals des marchés et des grandes surfaces.

Leurs marges s'appuient aussi sur l'interventionnisme de l'État. Dans son dernier rapport, l'Institut de recherches économiques et fiscales (IREF) montre que ce dernier a mis en place plusieurs instruments pour soutenir le développement de l'agriculture « biologique », bien que ses vertus sanitaires, nutritionnelles et environnementales soient limitées.

Le « bio » bénéficie de subventions supplémentaires par rapport à l'agriculture conventionnelle, ce qui crée un effet d'aubaine en faveur de la conversion. À titre d'exemple, un litre de lait « bio » est subventionné 50 % de plus qu'un lait conventionnel. Le label AB d'État sert de caution morale aux fausses promesses du « bio ». Enfin, les 20 % de « bio » obligatoires dans les cantines offrent une rente légale d'au moins 1,1 milliard d'euros à la filière.

Chacun est libre de consommer ou de produire du « bio », il en va de la liberté de conscience. Mais il n'est pas nécessaire de politiser cette question. Il n'est pas acceptable que l'État promeuve et soutienne aux frais du contribuable une doctrine anti pesticides et anti OGM en décalage avec la démarche scientifique et le progrès des (bio)technologies, et qui, de plus, n'est pas respectée en pratique.

Les fausses promesses du « bio » ne doivent toutefois pas nous empêcher d'exiger le maximum de transparence sur la qualité sanitaire et environnementale de notre alimentation et de notre agriculture. Les agriculteurs sont fiers de leur travail et en sont conscients, mais ils ne supportent plus l'agribashing permanent qu'ils subissent, a fortiori quand certains opposants deviennent violents. Laissons-les travailler, ils ont de (très) bons produits à nous faire goûter.

(1) L'auteur de cet article déclare qu'il ne bénéficie d'aucune rémunération du secteur agroalimentaire ou agrochimique.

Ce texte a été rédigé à partir d'une étude plus importante, consultable ici.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 37
à écrit le 11/04/2019 à 19:43
Signaler
Que j'eus aimé pouvoir débattre ou plutôt non, échanger avec honnêteté, mais au final tout est tromperie avec pour seul objectif au mieux de "faire gagner ses idées", au pire de "se remplir les poches". Votre arrogance n'a d'égal que votre bêtise et ...

le 07/06/2019 à 19:43
Signaler
En l'occurrence, c'est vous et pas cet article, qui est extrémiste.

à écrit le 30/03/2019 à 19:55
Signaler
Et tout est contestable point par point... Notamment sur les produits phytos en bio qui sont minimes en quantité et de plus en plus interdits. C'est vrai le bio fait moins de rendement mais il ne détruit pas la terre de nos enfants.il faut redonner ...

le 22/04/2019 à 20:00
Signaler
Le type d'agriculture qui utilise un minimum de produits s'appelle l'agriculture raisonnée, elle utilise aussi le produit le plus adapté et le moins dangereux (contrairement au bio qui impose de façon dogmatique que le produit soit "d'origine naturel...

à écrit le 26/03/2019 à 7:17
Signaler
Enfin un article très bien documenté qui remet les pendules à l'heure sur toutes les idées reçues sur le bio, sans langue de bois. Et courageux car il va à contre-courant de la bienpensance médiatiquement en vogue. Merci Laurent Pahpy

à écrit le 22/03/2019 à 15:24
Signaler
Rafraichissant de lire un article qui donne la parole à la science.... ça fait beaucoup de bien !!!

le 25/03/2019 à 15:17
Signaler
Rafraichissant comme un verre de glyphosate ! Les criminels sont dans la place, tout va bien en UE.

à écrit le 22/03/2019 à 10:38
Signaler
La permaculture permet d'éviter totalement l'utilisation de pesticides, fongicides et autres notamment en introduisant volontairement des prédateurs naturels dans cycle de l'ecosystème et en privilégiant la phytoremediation. Donc si il est possible d...

à écrit le 21/03/2019 à 22:40
Signaler
Vous, vous n'habitez pas à coté d'un champs ou d'un verger bourré de pesticides!

à écrit le 21/03/2019 à 19:45
Signaler
Que ceux qui contestent cet article consultent les avis de l'INRA, de l'agence de santé française (ANSES) ou européenne (EFSA), de l'Académie des Sciences ou de Médecine et ils changeront d'avis s'ils font preuve d'objectivité ! L'auteur est parfaite...

le 25/03/2019 à 15:16
Signaler
On conteste pas, on vomit...

à écrit le 21/03/2019 à 9:15
Signaler
Un article vivifiant qui va à contre courant de la pensée unique écolo bobo. C'est bien de proposer d'autres piste face au there is no alternative (Tina) du monde actuel libéral!

le 28/03/2019 à 22:33
Signaler
Pourquoi tant de haine ? Personne ne vous oblige a consommer bio ! Vous etes libre de faire comme vous voulez et les autres aussi !

le 29/03/2019 à 8:09
Signaler
@réponse de Ventoux. Il n'y a pas de haine il y a simplement un ras le bol par rapport à la pression morale des écolo bobo qui essaient d'imposer leur mode de vie et de consommation au travers de l'écologie en se donnant en exemple et en culpabilisan...

à écrit le 21/03/2019 à 7:34
Signaler
Cette étude vous a gracieusement été offerte par Bayer-Monsanto ...

à écrit le 21/03/2019 à 5:31
Signaler
J'aimerais que les ayatollah du bio m'explique comment produire du sulfate de cuivre de façon naturelle.

à écrit le 21/03/2019 à 1:36
Signaler
L'auteur n'a vraisemblablement pas compris le problème des OGMs. Le problème des OGMs, ce n'est pas fondamentalement le fait que les gènes ont été modifiés par des humains d'une manière trop anti-naturelle. Le problème fondamental des OGMs, c'est qu'...

le 21/03/2019 à 8:34
Signaler
https://www.europe1.fr/sciences/ogm-plus-de-100-prix-nobel-sen-prennent-a-greenpeace-dans-une-lettre-ouverte-2786815

le 22/03/2019 à 7:49
Signaler
Il faut travailler un peu plus, et aller aux sources d'info. Par exemple, le Bt est homologué en Bio, mais les OGM Bt ne font qu'en produire de faibles quantités là où il faut (dans la plante), les agriculteurs Bio en mettent dix fois plus dont parti...

à écrit le 20/03/2019 à 10:29
Signaler
1. La principale cause de pollution c'est la démographie. D'autant plus excessive que l'automatisation occupe les emplois jusqu'ici réservés au prolétariat. 2. Le bio coute beaucoup plus cher à produire que le non bio. Le généraliser aboutit donc à ...

à écrit le 20/03/2019 à 8:28
Signaler
En résumé, les pesticides autorisés en Bio sont mauvais pour la santé mais les autres sont bons. Les subventions et aides pour l'agriculture Bio sont une atteinte aux libertés fondamentales mais les aides et primes à l'agriculture chimique sont souha...

à écrit le 19/03/2019 à 21:22
Signaler
Un must en matière de désinformation, de malhonnêteté intellectuelle, de comparaisons douteuses pour valider que les pesticides c'est ...comme la publicité, un mal nécessaire, sauf que la publicité ça donne pas le cancer... même si c'est une cochonne...

le 20/03/2019 à 20:59
Signaler
Ben oui, c'est bien ca un mal necessaire... expliquez nous un peu comment on devrait s'en passer? et quel pesticide donne le cancer

le 28/03/2019 à 22:37
Signaler
Ne vous fatiguez pas .Les integristes pro chimique qui sevicent ici ne changeront jamais d'avis et apres tout , c'est leur liberté même si elle a pour consequence un catastrophe sanitaire en marche !

à écrit le 19/03/2019 à 18:20
Signaler
Enfin un journaliste courageux pour rétablir la vérité sur ce sujet, face à une désinformation très présente dans les médias. Encore une fois, merci.

le 21/03/2019 à 10:20
Signaler
Laurent Pahpy n'est pas journaliste. C'est un tribun politisé.

à écrit le 19/03/2019 à 17:46
Signaler
Le savoir est une arme obsolète quand on voit ce genre d'article. Mais la morale est le rêve de ceux qui dorment debout, n'est-ce pas ?

à écrit le 19/03/2019 à 16:36
Signaler
Commentaire censuré pour raison idéologique, cet article est une véritable honte pour ceux qui l'ont écrit et ceux qui la diffusent et en plus gère la modération dans le sens des criminels. HONTEUX.

le 19/03/2019 à 21:28
Signaler
Comment est-il possible de laisser publier un article pareil. Tout n'est pas faux... bien-sur que certains produits phytosanitaires autorisés en bio peuvent être toxique voire nocif. Mais ce ne sont pas des produits de synthèse. Voilà ce que prône la...

le 20/03/2019 à 9:12
Signaler
"Tout n'est pas faux... " Technique habituelle du manipulateur, un bon menteur doit reposer son imposture sur une partie de la vérité. Nietzsche disait qu'il était bien plus facile de faire passer une demi vérité dans l'opinion publique qu'un...

à écrit le 19/03/2019 à 14:58
Signaler
Le sulfate de cuivre est toléré en microdosage dans le bio "eurofeuille (incomparable avec la monoculture conventionnelle) notamment dans l'arboriculture. mais proscrit en biodynamie, le label biocoherence et dans la mention "nature et Progrès". ...

à écrit le 19/03/2019 à 14:23
Signaler
Merci pour cet article. Il aurait été intéressant pour compléter l'analyse d'évoquer la permaculture, surtout dans la perspective d'une utilisation mesurée des pesticides.

le 20/03/2019 à 8:02
Signaler
Concernant la "permaculture", il faut savoir que cela demande énormément de main d'oeuvre. Même si c'est une piste, c'est très loin d'être LA solution....

le 21/03/2019 à 10:23
Signaler
Ce n'est pas un article, c'est une tribune, l'expression d'une opinion.

à écrit le 19/03/2019 à 13:41
Signaler
40% de la biodiversité a disparu en 40 ans !!! C est une réalité ... ces produits, notre mode de production et notre mode de vie ont des conséquences qu'il faut accepter de voir !Il existe des alternatives, comme la permaculture par exemple ( 2 a 3 ...

à écrit le 19/03/2019 à 9:20
Signaler
tout est une question de mesure il faut une utilisation raisonnable, mais les ultra neo integristes verts ne veulent rien entendre; c'est les memes gauchistes qui hurlaient contre la faim dans le monde y a pas si longtemps, et viendront se plaindre ...

le 20/03/2019 à 8:31
Signaler
« Quand il n'y aura plus à manger pour tout le monde » ? En France ? Bwaha. Renseignez-vous sur les statistiques de production et d'exportation avant d'agiter des peurs aussi infondées.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.