« Le féminisme s’est toujours élevé contre la religion » (Tristane Banon, romancière et essayiste)

Tristane Banon dénonce les dérives du néo-féminisme, qui en vient notamment à tolérer le patriarcat musulman. La romancière et essayiste défend sans relâche le féminisme universaliste.
Tristane Banon, romancière et essayiste.
Tristane Banon, romancière et essayiste. (Crédits : © LTD / Philippe Matsas/Leextra via opale.photo)

Je ne pensais pas que nous serions si peu, en 2024, à nous revendiquer du féminisme de Beauvoir et Badinter. Non, je ne pensais pas que ce féminisme émancipateur, ce féminisme universaliste et laïque, serait un jour regardé avec mépris par certains, et par certains j'entends... certains se réclamant du féminisme.

Notre époque n'est plus à une folie près, mais on parle là, franchement, de schizophrénie. Je ne pensais pas que dire, avec Simone de Beauvoir, que « l'homme a tout avantage à faire endosser par un dieu les codes qu'il fabrique » ne serait plus acceptable en 2024, car la religion, ça se respecte!

Féminisme conquérant

Le féminisme s'est pourtant toujours élevé contre la religion et ses représentants. C'est à ce féminisme, universaliste, que nous devons, en France, l'école mixte et les programmes scolaires uniques, le droit de vote, le droit au chéquier, le droit de travailler sans l'autorisation de son mari, le droit à la contraception, le droit à l'avortement... Ce féminisme conquérant n'a eu que faire de froisser des croyants, que faire de vexer des chapelles, que faire du « qu'en-dira-Dieu ».

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Celles qui se revendiquent du féminisme tout en imposant le respect de toutes les injonctions religieuses, quelles qu'elles soient, sont au mieux des incultes, au pire des imposteurs, souvent les deux. En Iran, des femmes risquent leur vie en s'élevant contre des théocrates pour arracher le droit à la liberté, celles-là chérissent notre laïcité, à laquelle elles n'ont pas accès. Les Afghanes ne sont pas en reste du même rêve. Ces combattantes nous obligent au respect absolu de notre irrévérence envers les dogmes, et par les dogmes, j'entends les trois religions du Livre.

Patriarcat religieux

Les porte-voix autoproclamés du féminisme, et qui courbent l'échine devant le patriarcat islamiste au nom de la lutte contre une prétendue « islamophobie », sont devenus les plus zélés soldats (devrais-je dire soldates) des fondamentalistes. Elles se décrivent féministes décoloniales ou intersectionnelles, elles sont les nouvelles masculinistes de notre temps.

Élisabeth Badinter dit à raison: « Il n'y a pas de féminisme possible sans une bonne part de laïcité. » Force est de constater que, bien que nous soyons sans doute à l'ère la plus féministe de tous les temps, la laïcité est en danger constant. Combattre les intégristes religieux, quand on est féministe, on avait l'habitude. L'émancipation de notre sexe a toujours dû en passer par là. Combattre le patriarcat religieux dans les rangs du féminisme... on était moins habitué! On le devient! On s'habitue à tout.

L'apparition du féminisme intersectionnel est un dévoiement de notre cause. Vouloir faire converger les luttes (contre le sexisme, le racisme, l'homophobie, etc.) nécessite, face au réel, de faire un choix entre des maux que l'on met, en théorie, sur un pied d'égalité. Cela revient souvent à défendre tout et son contraire. Il en est de même pour le féminisme décolonial, qui prétend lutter pour la liberté des femmes et contre le racisme en opposant le féminisme « blanc » au féminisme des femmes « racisées », oubliant que la liberté n'a qu'une seule définition.

Bien que nous soyons à l'ère la plus féministe de tous les temps, la laïcité est en danger constant

Ce sont ces féministes qui, toute honte bue, invoquent « le droit pour les femmes à s'habiller comme elles le souhaitent » quand elles défendent le voile ou l'abaya, des vêtements d'infériorisation de la femme. Si elles se livrent à pareille acrobatie intellectuelle (ne devrait-on dire « fumisterie »?), c'est qu'elles ne sauraient vexer l'hypothétique sensibilité des croyants, ce qui reviendrait à les stigmatiser, à faire preuve de racisme, donc. Étrange raccourci.

C'est quoi, être « islamophobe » quand on pense dans un pays laïque ?

Être féministe et s'élever contre le symbole du voile, c'est être « islamophobe » aux yeux de ces féministes-là. C'est quoi, être « islamophobe » quand on pense dans un pays laïque? Avec un peu de provocation, et beaucoup de vérité, on pourrait dire que la lutte pour l'émancipation de la femme est tout autant islamophobe qu'elle est cathophobe ou orthodoxophobe. Mais, par peur d'être accusées de racisme (ce qui est illégal) en critiquant la religion (ce qui est nécessaire), les féministes universalistes ont vu leurs rangs se réduire comme peau de chagrin.

Pendant ce temps, on viole des femmes au nom de la religion, on cache des femmes au nom de la religion, on bat des femmes au nom de la religion, on tond des femmes au nom de la religion, on interdit à des femmes de travailler au nom de la religion, on les marie de force avant leur majorité (et même après) au nom de la religion, on les excise au nom de la religion, on les empêche d'avorter au nom de la religion, on les brûle au nom de la religion, on les mutile au nom de la religion, on dissuade des femmes d'être libres au nom de la religion.

Je remercie celles qui luttent pour mettre fin à ce patriarcat religieux systémique, elles sont les vraies féministes de notre temps. À celles qui se disent féministes et qui détournent les yeux des carcans religieux qui entravent l'émancipation de la femme, je veux dire que l'Histoire les oubliera.

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Commentaires 4
à écrit le 02/04/2024 à 10:22
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"Tristane Banon dénonce les dérives du néo-féminisme, qui en vient notamment à tolérer le patriarcat musulman" Nous sommes surtout dans une ère d’ennemis imaginaires inventés par l'oligarchie. C'est quoi ce "néo-féminisme ?" Vous inventez des problèm...

à écrit le 31/03/2024 à 19:53
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Une intrigante...

à écrit le 31/03/2024 à 11:57
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Oui, l'instruction est l'ennemi mortel des religieux, le cas des Talibans étant assez caricatural... Et ces dernières années, les islamistes prospèrent sur la dérive gérontocratique des démocraties libérales, les jeunes générations moins nombreuses e...

à écrit le 31/03/2024 à 10:23
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Quand on comprend que la religion n'est qu'un reglement intérieur, ceux qui n'ont pas participer à sa rédaction se sentent lésé de ne pouvoir bénéficier des avantages actuels !

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