Le miracle chinois, encore et toujours

OPINION. La Chine fait figure d’épouvantail. Alors que la Covid plonge de nouveau l’Occident dans le néant, la Chine ne connait pas la crise, et semble presque plus forte qu’avant. Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste. (*)
(Crédits : TYRONE SIU)

La Chine a déjà presque tourné la page Covid. En termes de santé publique, on ne relève plus que quelques cas positifs, qui peuvent se partager des lits de réanimation en pagaille. En termes de santé économique, le PIB chinois a déjà rattrapé tout ce qu'il avait perdu en début d'année, sans que les autorités n'aient à trop puiser dans les caisses du Comité central ou à faire tourner la planche à billets. Pendant ce temps, l'Occident s'enfonce dans une 2ème vague, et ne sait plus quoi faire pour se débarrasser de ce satané virus : tests, masques, confinement... autant de mesures qui ressemblent à un vrai régime à la carotte, très ennuyeux et on ne sait plus trop si c'est bien utile. On invoque alors un nouveau plan « quoi qu'il en coute » des autorités afin de supporter la rechute, une version 2.0 de nouveau financée par du « tout est permis » en termes de monnaie - dette.

Le doute est-il permis ?

Certes, quand on évoque les chiffres économiques en provenance de Chine, on est souvent pris de vertiges, et surtout de doutes : ces chiffres sont-ils crédibles ? Les autorités n'ont-elles pas caché quelque chose sous le tapis ? Par exemple, comment se porte l'épicentre du séisme Covid, la province de Hubei (58 millions d'habitants) dont la capitale est la fameuse ville de Wuhan ? S'est-il lui aussi remis d'aplomb ? Non. Hubei va mieux certes, mais le choc fut terrible : le PIB de la province s'était effondré de près de -40 % au 1er trimestre, personne n'a fait pire en Chine ni ailleurs. Depuis, les choses vont mieux, mais il reste encore du chemin à rattraper : -10 % de croissance du PIB sur les 3 premiers trimestres 2020 par rapport aux 3 premiers trimestres de l'année passée. Hubei reste la province la plus sévèrement touchée. Les 30 autres régions ont quasiment tout récupéré.

Et si l'on agrège tous ces PIB de province, on obtient que le PIB chinois a lui aussi récupéré tout ce qu'il avait perdu : en progression de 0,7 % sur les 3 premiers trimestres par rapport aux 3 trimestres de l'année précédente. Si l'on fait le même exercice aux Etats-Unis ou en zone euro, on obtient respectivement -3,9 %, et -7,5 % de croissance du PIB, -10 % pour la France. Alors certes, on pourra dire que la Chine est entrée dans la crise un trimestre avant les autres, mais le problème c'est que le trimestre en cours devrait être marqué par une rechute des économies américaine et européenne, du fait de nouvelles mesures. Du coup, la Chine devrait accroitre encore son avance.

Quand même, ce PIB chinois n'est - il pas trop beau pour être vrai ? Après tout, quelle visibilité a-t-on sur les PIB des provinces qui nous sont communiqués ? Un autre moyen de tester la fiabilité du PIB chinois est de le confronter à d'autres indicateurs du cycle économique à plus haute fréquence. Par le passé, il est déjà arrivé que l'on constate des écarts troublants, lorsque ces mêmes indicateurs chutaient, alors que le PIB continuait de croitre autour de 7% sans sourciller, comme si le grand timonier était capable de repousser de sa main les chocs susceptibles d'écarter le PIB de sa trajectoire décidée à l'avance par le Comité central. Pourtant, aujourd'hui force est de constater qu'il n'y a pas d'incohérence entre ce que nous dit le PIB et ce que racontent les autres indicateurs. Le PIB a chuté puis rebondi, et ces deux mouvements sont cohérents en termes d'amplitude avec ce qui a été observé du côté des indicateurs avancés tels que la confiance des industriels, aussi bien du côté manufacturier que des services. Et si l'on s'intéresse à de véritables relevés de l'activité économique plutôt que des indicateurs avancés, même son de cloche : production industrielle, ventes au détail, investissement ont connu une chute spectaculaire avant de se redresser aussi vite et aussi fort.

Enfin, on ne peut pas ne pas parler de la balance commerciale chinoise, véritable marqueur de la guéguerre Trump - Xi Jinping. Elle s'est améliorée significativement depuis avril avec le reste du monde, et notamment avec les Etats - Unis (mais pas avec l'Europe). Il semblerait que le monde s'arrêtant de tourner, il fallait bien que nos économies continuent de s'approvisionner quelque part, d'où une accélération des exportations chinoises. Toujours méfiant quant à la santé de l'économie chinoise, on aimerait pouvoir faire parler des indicateurs de type Big Data, comme les fameux Google mobility index ou Apple activity index, mais en Chine c'est impossible... Autre témoignage intéressant pour juger de la fiabilité des chiffres économiques chinois : l'attitude des marchés d'actions et l'évolution de la devise. Le constat est sans équivoque : le MSCI chinois enregistre la meilleure performance depuis le début de l'année, comparativement à tous les autres. Quant à la devise, elle s'est appréciée de près de 5% contre dollar depuis avril. Les investisseurs semblent donc tous d'accord pour dire que l'économie chinoise va mieux, et même bien mieux que les autres.

Des autorités qui peuvent voir venir

Enfin, si vraiment l'économie allait plus mal qu'on ne le dit, alors peut - être aurait-on dû observer des réactions bien plus agressives des autorités ? Mais non. Les actions modérées des autorités en termes de politique budgétaire et monétaire durant cette crise, tendent aussi à valider la thèse d'une économie robuste qui n'a pas besoin qu'on la porte à bout de bras. Et pourtant, les autorités auraient de quoi donner un coup de pouce, tant leurs marges de manœuvre sont importantes.

Concernant la politique budgétaire, la dette publique chinoise évolue autour de 50% du PIB, contre plus de 100% chez nous, le gouvernement Chinois pourrait donc très bien envisager de financer de nouveaux plans de relance de l'économie. D'ailleurs, cette dette resterait largement soutenable avec une croissance du PIB en valeur de près de 7%, largement supérieure au niveau des taux d'intérêt à 10 ans de près de 3,2%, ce qui autoriserait des dépenses près de 4% supérieures aux recettes budgétaires en termes de PIB. Un bémol quand même, la dette publique est modérée, mais la dette totale (publique et privée) est abyssale à près de 300 % du PIB. Concernant la politique monétaire, les taux directeurs de la Banque Centrale Chinoise évoluent autour de 4,35% contre 0% chez nous, ce qui laisse là encore beaucoup de possibilités aux autorités pour assouplir la politique monétaire (elle préfère baisser le taux de réserves aujourd'hui à 12,5 %), sans parler de la planche à billet dont l'usage reste limité et sans commune mesure avec ce qui est pratiqué par la Fed et la BCE.

Lire aussi : Les banques "doivent se préparer au pire" avec la deuxième vague du virus, prévient la BCE

Le modèle chinois en question

La Chine impressionne et interroge. Son modèle s'avère terriblement efficace pour traverser la crise en cours, mais on en connait les travers... Ainsi, nos démocraties (libérales) s'épuisent à trouver la bonne position du curseur entre liberté et sécurité, transparence et bienveillance, alors que les dictatures contemporaines, comme la Chine, ont réglé ce problème là depuis longtemps. Dès le 7 janvier 2020, les autorités imposèrent le principe « fangkong » : prévention et contrôle, afin de lutter contre la propagation du virus, des mesures qui ne s'encombraient pas des libertés individuelles. D'autres dictatures ont adopté des mesures bien plus radicales encore ! Ainsi il fut parfois décrété qu'il ne pouvait pas y avoir de malades, puisque le virus n'avait pas passé la frontière...Toutefois, résumer la meilleure santé relative de la Chine à sa feuille de route politique semble réducteur. Ainsi, d'autres démocraties, comme la Corée du Sud, Taïwan, l'Allemagne, la Suède ont été bien plus efficaces que d'autres, démontrant que le facteur politique n'était pas le seul à prendre en compte.

Aujourd'hui, seule la Chine semble pouvoir arrêter la Chine. En fait, la Chine ne commute plus avec personne : quand elle va mal, tout le monde va mal, mais quand le monde va mal, elle continue d'aller bien. En termes mathématiques, on pourrait dire que la Chine est devenue une forme d'automorphisme, un truc qui n'obéit qu'à lui-même, qui se suffit à lui-même. Certes, la Chine n'en est pas encore là, même si elle mue progressivement vers une économie qui consomme domestique, plutôt qu'une économie qui produit pour les autres. La Chine n'est pas encore arrivée à maturité, elle n'est plus tout à fait un pays émergent, mais elle n'est pas encore vraiment un pays développé : et pourtant, il semblerait qu'elle n'ait que les avantages de l'un et de l'autre, et aucun des inconvénients.

Les initiés ajouteront que cette mutation lente de l'économie se traduit aussi par un ralentissement des deux moteurs du PIB que sont le stock de capital (déjà bien conséquent) et la force de travail (déjà bien âgée). Ainsi, la croissance du PIB devrait naturellement ralentir de 6,5% à 6% puis 5% dans 5 ans. Mais en contrepartie, le PIB par habitant devrait lui continuer de progresser afin de converger vers ceux des économies développées. C'est d'ailleurs un des souhaits émis par le dernier Comité central fin octobre. Quant à nous, nos économies semblent bien incapables de voir aussi loin, empêtrées dans un présent qui dure une éternité. Quant aux politiques, ils semblent bien à court d'idées, partageant le même sort que "les écrivains et les constipés chroniques : l'angoisse de la feuille blanche..." (Geluck)

Lire aussi : Rare pays en croissance en 2020, la Chine sera-t-elle la nouvelle locomotive économique?

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Commentaires 11
à écrit le 13/11/2020 à 17:20
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Le jour viendra où les travailleurs (esclaves) Chinois en auront marre de travailler pour le Parti Communiste Staliniste Chinois. C'est une question de temps. Tous les Empires ont disparu, même le mur de Berlin qui a vu la réunification de l'Allema...

à écrit le 12/11/2020 à 19:58
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La Chine peut continuer à se renforcer à présent quelle a rendu le reste du monde en déclin face au Covid19. Il y a des questions à se poser dans ce domaine.

à écrit le 12/11/2020 à 16:56
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Parce que vous pensez que le jour où tous les chinois auront le même niveau de vie que nous la planète sera encore habitable ? Il serait plus juste d'arrêter de juger notre société et la création de richesse au travers du seul prisme du PIB. Notre...

à écrit le 12/11/2020 à 13:53
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Je pense que l'Asie et en particulier la Chine sont en pleine expansion et savent très bien gérer les crises et leurs économies. l'Europe et plus particulièrement la France sont en pleine décadence. La France n'arrivent plus à gérer les crises, cons...

à écrit le 12/11/2020 à 13:51
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Réussite économique mais à quel prix ?! Extrêmes inégalités de revenus, argent aux mains de parvenus méprisants et méprisables, pollution dantesque, alimentation frelatée, école, soins, retraites hors de portée de beaucoup, libertés individuelles fou...

à écrit le 12/11/2020 à 13:46
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Conseil de lecture : ne manquez pas de lire "Terres rares" de Jean Tuan chez C.L.C. Editions (sortie le 09 mars 2020). Un néo-polar épicurien et érudit qui dévoile les menaces que la Chine fait peser sur le monde. Lecture édifiante et jubilatoire ! ...

à écrit le 12/11/2020 à 11:36
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Partie unique : ferme ta gu$ule ! Democratie : cause toujours ! Ça ressemble comme deux gouttes d'eau. En occident les gens vivent majoritairement dans le secteur privé, qui n'est pas démocratique mais capitalistique. Les capitaux sont dist...

à écrit le 11/11/2020 à 18:18
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Comme quoi, faire respecter son peuple, ça marche. On n'a rien sans rien.

à écrit le 11/11/2020 à 11:15
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Merci pour cet excellent article qui nous change des commentaires hargneux des vieux anticommunistes qui ressassent leurs vieilles idées sans se donner la peine d'aller voir sur place. Nos jeunes ingénieurs et chercheurs qui ont de multiples opportun...

à écrit le 11/11/2020 à 10:09
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"Ainsi, nos démocraties (libérales) " Qu'est-ce qu'il y a de libéral dans notre économie actuelle svp ? Le néolibéralisme c'est l’État qui soutient les mégas riches, le libéralisme devrait être les mégas riches tout seuls sans aucun soutien d'arg...

le 12/11/2020 à 9:00
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La financiarisation par la bourse de notre économie, c'est du communisme. Les travailleurs indépendants sont remplacés progressivement par des sociétés dont la propriété est commune à plusieurs entités : c'est une propriété collective, donc du commun...

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