Les enjeux économiques de l'élection américaine

Quelles sont les réformes sérieusement envisagées par les principaux candidats à la présidence américaine? Que Trump ou Clinton l'emporte, le coût de la protection sociale risque d'augmenter. Par Michael J. Boskin, professeur d'économie, Stanford, ancien conseiller de George H.W. Bush

De grands changements se préparent aux Etats-Unis, avec en novembre l'élection d'un nouveau président, le renouvellement d'un tiers du Sénat et de la totalité de la Chambre des Représentants. Les résultats seront lourds de conséquences pour la politique économique américaine, et par ricochet pour l'économie mondiale.

Hillary Clinton est en tête dans la course à la nomination chez les démocrates, bien qu'elle soit talonnée par son adversaire socialiste, le sénateur Bernie Sanders. Le grandiloquent milliardaire Donald Trump mène la course dans le camp républicain, suivi par Ted Cruz, le sénateur énergique du Texas.

Les responsables républicains craignent l'effet Trump

On ne peut prédire si ces premières tendances se confirmeront au cours de la suite des primaires qui se jouent maintenant dans le Sud et dans le Middle-West. Les médias américains et les passionnés de politique envisagent toutes les hypothèses possibles et inimaginables. Trump va-t-il être le candidat républicain à la présidence ? Investi en candidat en tant que candidat républicain, Trump va-t-il favoriser Clinton lors du scrutin présidentiel ?

Beaucoup de républicains craignent un affrontement Trump-Clinton. La candidate démocrate a de nombreux points faibles : les électeurs, notamment les plus jeunes, ne lui font pas confiance et elle pourrait avoir à répondre devant la justice de l'utilisation de son adresse électronique privée pour traiter d'informations ultra-confidentielles lorsqu'elle était secrétaire d'État. Néanmoins, la bagarre de chiffonniers chez les républicains pourrait être un atout de choix pour Clinton lors de l'élection de novembre. Beaucoup de républicains craignent que la nomination de Trump ne leur coûte à la fois le Sénat et la Maison Blanche.

 Les préoccupations économiques

Devant tant d'incertitudes, nul ne peut prévoir ce que sera la politique américaine dans les années qui viennent. Beaucoup d'attention a été portée aux thèmes qui font la une des médias, comme l'immigration et la sécurité nationale. Pourtant les électeurs américains se préoccupent aussi des questions économiques auxquelles les principaux candidats répondent. Chacun à sa manière.

Encore faible, le risque d'une guerre commerciale est à la hausse

En matière de commerce, les idées de Trump sont dangereuses. Il annulerait des décennies de leadership américain bipartisan dans la libéralisation des échanges en introduisant par exemple des taxes douanières importantes sur les importations en provenance de Chine et du Mexique. Les autres candidats républicains évitent le sujet. Du coté démocrate, Sanders vitupère contre le libre-échange. Clinton a fait un virage à 180° sur cette question : elle s'oppose maintenant à la prolongation du pipeline canadien Keystone XL et au Partenariat transpacifique qu'elle défendait quand elle était secrétaire d'Etat. Le risque d'une guerre commerciale est faible, mais il est à la hausse.

Clinton veut réformer aussi la finance

Les critiques que Sanders lui a adressé pour avoir donné des conférences grassement rémunérées et accepté des dons importants de Wall Street ayant clairement touché une corde sensible chez les électeurs les plus jeunes, Clinton s'est aussi rapprochée de sa position en ce qui concerne la réforme du système financier. Sanders centre essentiellement sa campagne sur un discours populiste contre le monde de la finance et Clinton y fait maintenant partiellement écho. Les démocrates sont pour le relâchement monétaire, des taux d'intérêt faibles et un dollar déprécié. Les républicains s'opposent aussi aux plans de secours, mais s'inquiètent d'une politique monétaire trop relâchée et d'une trop grande marge de manœuvre accordée à la Réserve fédérale (Fed), hormis situation d'urgence.

Quelle réponse de la Fed?

Ces divergences auront des conséquences importantes. En choisissant un nouveau président pour la Fed (ou en maintenant Janet Yellen à son poste) et peut-être d'autres gouverneurs, le prochain président pèsera indirectement sur les taux d'intérêt, les taux de change et les marchés financiers mondiaux. Si une tendance inflationniste apparaissait (ce qui est improbable à court terme, mais envisageable lorsque l'économie mondiale redémarrera), la réponse de la Fed sera cruciale pour la stabilité économique.

Les candidats divergent aussi énormément en matière fiscale et budgétaire - et en conséquence sur leurs propositions concernant le déficit et la dette. Sanders propose 18.000 milliards de dollars de dépenses supplémentaires au cours des 10 prochaines années pour financer un système d'assurance maladie à guichet unique, les infrastructures et des universités publiques "gratuites" (autrement dit, financées par les contribuables).

Hausse ou baisse d'impôt?

Durant cette période, il imposerait une hausse d'impôts de 6.500 milliards, pris essentiellement chez les "riches". Mais il y a une entourloupe : les démocrates définissent comme "riches" les ménages dont le revenu annuel dépasse 250.000 dollars - sensiblement le salaire de départ d'un couple de jeunes avocats à leur sortie de l'université. Trouver la somme restante - 11.500 milliards - suppose une hausse supplémentaire titanesque des impôts. Clinton a sensiblement les mêmes priorités budgétaires et fiscales, mais à une plus petite échelle.

Les républicains veulent diminuer les taux de l'impôt sur le revenu et en élargir l'assiette. Ils veulent aussi diminuer le taux de l'impôt sur les sociétés (le plus haut au sein de l'OCDE) pour le ramener à un niveau bien plus concurrentiel. Certains d'entre eux proposent de remplacer l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés par une TVA à taux unique. Les républicains diminueraient les dépenses dans la plupart des domaines, mais augmenteraient le budget de la Défense. Trump propose une baisse d'impôts de 10.000 milliards, ce qui est quelque peu excessif, et Cruz de 9.000 milliards. Certes, les promesses de campagne sont ambitieuses, mais elles devront être négociées avec le Congrès.

Difficile de freiner la hausse des dépenses

Des éléments empiriques montrent que, pour stimuler la croissance, les baisses d'impôts sont probablement plus efficaces que l'augmentation des dépenses, et que pour consolider le budget la baisse des dépenses est probablement plus efficace qu'une hausse d'impôts. Le passé montre qu'il ne sera pas facile de limiter la croissance des dépenses, notamment parce que la génération du baby-boom d'après-guerre est aujourd'hui vieillissante, ce qui pèse sur les dépenses de santé et les retraites. Néanmoins de nombreux pays (entre autres le Canada, le Royaume-Uni, la Suède et même les Etats-Unis) y sont parvenus au cours des décennies récentes.

Quel avenir pour les retraites?

Républicains et démocrates s'opposent sur la réforme du budget de la protection sociale dont le montant explose et dont le passif non provisionné représente plusieurs fois le montant de la dette publique. Les républicains - à l'exception de Trump qui rejette une diminution des retraites - ralentiraient progressivement la croissance de ce budget, alors que les démocrates proposent une augmentation des avantages liés à la retraite. Le prochain leader du monde libre doit comprendre que lorsqu'un navire commence à prendre l'eau, la priorité est de colmater la brèche, pas d'en ouvrir d'autres.

Plus généralement, les mesures proposées par Sanders et Clinton rapprocheraient le système de protection sociale américain de celui des Européens. Mais comme le soulignent les républicains, le niveau de vie en Europe est en moyenne inférieur de 30% à celui des Etats-Unis. En Europe, la croissance est plus faible, le chômage plus élevé et les tensions sociales plus vives. C'est pourquoi les candidats républicains (que ce soit à la présidence, à la Chambre des représentants ou au Sénat) veulent annuler les hausses d'impôts, l'inflation budgétaire, la réforme coûteuse du système de santé et les excès réglementaires du président Obama.

Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz

Michael J. Boskin est professeur d'économie à l'université de Stanford et membre de l'Institution Hoover. Il a présidé le groupe des conseillers économiques du président H. W. Bush entre 1989 et 1993.

© Project Syndicate 1995-2016

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.