Les marchés d'actions sous l'«effet culbu-taux »

CHRONIQUE. Celui qui n'a pas compris que le potentiel de hausse des actions dépend du potentiel de baisse des taux n'a rien compris. Ni à ce qui s'est produit en 2022, ni à ce qui se produira en 2023. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby
(Crédits : DR)

L'effet culbuto, c'est lorsqu'une poussée dans un sens produit mécaniquement les conditions favorables à une poussée dans l'autre sens. Pensez à un ressort, un élastique, un vote présidentiel. En finance aussi, il existe un effet de ce genre : l'« effet culbu-taux ». Si les taux baissent, alors vous produisez les conditions favorables à une hausse des actions. Et inversement. Si les taux montent, alors les actions sont invitées à baisser. Comme en 2022.

Et pour 2023 ? Je ne sais pas où iront les taux. Mais je sais que là où iront les taux, les actions iront en sens inverse. Car l'« effet culbu-taux » sera la cause des actions, plus que jamais. Si vous pensez que les taux vont monter, vous devez penser que les actions vont baisser. Et inversement. Si vous pensez que les taux vont baisser, vous devez penser que les actions vont monter. Vous avez juste à choisir votre camps sur les taux, et vous en déduirez le sens (inverse) sur les actions. Pratique.

Un peu léger quand même, non ? Non. Est-ce que cela a toujours été vrai ? Non, mais cette fois-ci, oui. Pourquoi une telle conviction ? Parce que l'inflation a redonné au taux d'intérêt son pouvoir de « nuisance ».

Le taux actualise de nouveau

L'inflation galopante a ramené les taux d'intérêt sur le devant de la scène économique. L'homo economicus peut de nouveau arbitrer entre le présent et le futur, entre le certain et l'incertain. Les taux d'intérêt actualisent de nouveau la flèche du temps et l'horizon et des possibles. En quelque sorte, le bon sens est de retour. Demain vaut moins cher qu'aujourd'hui, l'incertain vaut moins cher que le certain. Et le taux d'intérêt est la valeur d'échange.

Plus le taux est élevé, et plus cela signifie que je suis exigeant.

En tant que consommateur, je veux bien me priver de consommer maintenant pour épargner. Mais à condition que cette épargne me rapporte un rendement suffisant qui me permettra de consommer davantage demain. Un rendement qui compense le sacrifice de ma consommation présente. Plus le taux sera élevé, et plus cela signifiera que j'exige une compensation importante.

En tant qu'investisseur, je veux bien me priver du rendement certain d'un actif sans risque pour investir sur les marchés d'actions au rendement incertain. Mais à condition que le prix d'achat des actions soit plus faible, afin de produire un potentiel d'appréciation plus important des actions. D'où le fameux effet culbutaux. Une hausse des taux produit bien les conditions favorables à une... baisse des actions. Ou l'inverse, si vous pensez que les taux vont baisser.

Quelques nuances possibles, mais qui ne tiennent pas la route

Il est vrai que l'« effet culbu-taux » pourrait être nuancé par un autre effet : la prime de risque exigée par l'investisseur. Il s'agit en fait d'un surcroit de compensation qu'exige l'investisseur afin d'investir sur les marchés d'actions, en plus de la seule compensation liée au taux d'intérêt. Imaginez que le taux d'intérêt monte de 1% ; si dans le même temps la prime de risque exigée par l'investisseur baisse de 1%, alors l'« effet culbu-taux » sera annulé par l'effet de la prime de risque. Le marché d'actions restera étale. C'est possible. Ça arrive.

C'est d'ailleurs ce qui se produisit, plus ou moins, en 2022 : la prime de risque s'est réduite de près de 1%. Problème. Dans le même temps, les taux d'intérêt montaient de 2,5%. L'« effet culbu-taux » restait donc bien plus fort que l'effet prime de risque. D'où la baisse des actions. Et pour 2023 ? Pas de bol, la prime de risque s'est tellement réduite, qu'elle atteint déjà des niveaux incompressibles. Cela signifie qu'elle ne sera pas en mesure de compenser de nouvelles hausses des taux, si les taux montent. La nuance de l'« effet culbu-taux » qui serait liée à la prime de risque est donc retoquée pour 2023.

Mais il existe une autre nuance possible, liée à la croissance des bénéfices des entreprises. En effet, lorsque le marché d'actions monte, il peut le faire parce que les bénéfices des entreprises montent, mais aussi parce que les prix des actions montent davantage encore que les bénéfices (il s'agit du PER bien connu des initiés). En 2022, le PER s'est effondré de près de -35%, mais les bénéfices des entreprises ont crû de près de 20% compensant une bonne partie de la baisse du PER. Si bien que le marché d'action n'a baissé « que » de -15% en 2022. Or, en 2023 les analystes prévoient la fin de la lune de miel pour les bénéfices : 0% de croissance anticipée. Le marché d'actions n'aura plus alors le soutien des bénéfices. Il dépendra donc pleinement de l'évolution du PER. Le PER va-t-il encore s'effondrer ?

Aucune idée. Va-t-il rebondir ? Pas mieux. Par contre, on peut dire une chose importante. C'est que le PER obéit pleinement, essentiellement, à l'« effet culbu-taux » vu plus haut. Si les taux montent encore, alors le PER baissera encore. Si les taux reculent, alors le PER pourra respirer. Et inutile d'espérer un concours favorable de la prime de risque, nous avons vu qu'elle avait grillé toutes ses cartouches. La prime de risque est désormais trop faible pour pouvoir baisser encore, à moins de parier sur une bulle des actions. Bref. Le marché d'actions dépendra du PER, qui dépendra de l'« effet culbu-taux ».

Règles du jeu

Plus que jamais, l'« effet culbu-taux » sera la cause des actions en 2023. Les actions iront là où n'iront pas les taux. Si vous pensez que les taux vont continuer de monter, soyez cohérents : vendez des actions. Si vous pensez que les taux vont reculer, restez cohérents : achetez des actions.

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Commentaires 2
à écrit le 19/02/2023 à 9:34
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le gouverneur de la banque de France vient de dire que le pic d'inflation aura lieu cet été en Europe .

à écrit le 19/02/2023 à 9:31
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le gouverneur de la banque de France vient de dire que le pic d'inflation aura lieu cet été en Europe .

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