Lutte contre la déflation : le Japon a tremblé

CHRONIQUE. La Banque centrale japonaise l'a fait, sans prévenir. Elle n'a pas monté ses taux directeurs, elle n'a pas même modifié sa cible de taux à 0%, mais elle autorisé les taux 10 ans à monter au maximum à 0,5% contre 0,25% jusqu'alors. Un séisme... Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov et Bartleby.
(Crédits : Florence Lo)

Le petit monde de l'économie et de la finance a longtemps craint que nous nous japonisions tous. Cela signifiait alors que nous aspirions à produire nous aussi des baisses de taux d'intérêt, jusqu'à la fin des temps.

Loin d'être ridicule, cette crainte avait quelques solides arguments comme notamment le vieillissement de la population japonaise qui motivait une baisse tendancielle de la croissance potentielle, un mal dont les économies européennes et américaine devaient aussi souffrir. Autre motif de japonisation du monde, la disparition du risque inflationniste du radar des Banques centrales, et comme par hasard de celui de la Banque centrale japonaise (BOJ) initialement.

Le tonneau des Danaïdes de la BOJ

Depuis, la BOJ n'a eu de cesse de pratiquer une politique monétaire ultra-accommodante, pionnière en termes de quantitative easing, usant sans complexe de la planche à billets, pour inonder l'économie réelle de monnaie, accessoirement financer feu l'Abenomics, sortir de la trappe à liquidité, et pourquoi pas un jour renouer avec de l'inflation. La BOJ osa tout ou presque, proposant même depuis 2015 de contrôler la courbe de taux , en fixant notamment une limite maximum pour les taux à 10 ans à 0,25% !

La politique monétaire de la BOJ menait alors un long chemin de croix afin de sortir l'économie de la déflation. Les autorités telles les Danaïdes semblaient condamnées aux enfers à remplir sans fin un tonneau troué à l'aide de monnaie magique... le tonneau des Danäides.

Le retour de l'inflation hystérique

Et puis il y eut la Covid, et le choc d'offre sur les prix de certains biens. Et puis il y eut l'Ukraine, et le choc d'offre sur les prix de l'énergie. Il fallut au moins tout cela pour que l'inflation sorte de sa tombe et face son retour sur la scène économique. L'inflation hystérique posait alors un sérieux défi au scénario de japonisation du monde.

Dans un premier temps, cette inflation indésirable fut observée en Europe et en Amérique mais pas au Japon, constituant une première ligne de fracture entre ces deux mondes. Le scénario de japonisation du monde connaissait alors une première faille. Les Banques centrales européennes (BCE, BOE) et les Banques centrales américaines (Fed, BOC) firent dans un premier temps profil bas, reprenant en cœur le refrain « l'inflation est transitoire ».

Mais l'accélération persistante de l'inflation, et sa contagion à l'ensemble des prix des biens et services, obligèrent les Banques centrales hors Japon à changer de disque : « nous lutterons contre l'inflation quoi qu'il en coûte ». Pendant ce temps, l'inflation japonaise restait imperturbable, autour de 0%, avec ou sans contribution des prix de l'énergie et de l'alimentaire. Mais pour un temps seulement...

Quand la BOJ craqua

Dans un second temps, à partir de mi-2022, l'inflation japonaise montra finalement quelques signes de nervosité. Après un trou d'air lié au confinement, l'inflation revenait sur sentier naturel (0%), puis accélérait à 1%, 2% et même 3,8% en octobre. Hors prix de l'énergie et alimentaire, on observait le même phénomène, avec une accélération à 1,5% en octobre. Et hier donc, la BOJ décidait de réagir, contre toute attente.

La BOJ a annoncé une inflexion plus restrictive de sa politique monétaire, afin de réagir à l'accélération de l'inflation. Certes, on est bien loin de l'inflation américaine à près de 7% et de l'inflation européenne à 10%. De plus, cette inflexion de la BOJ est surtout cosmétique : les taux directeurs ne changent pas, la politique d'achat d'actifs ne change pas, la cible même des taux d'intérêt à 10 ans reste inchangée à 0%. Mais, la BOJ envoie un signal fort : elle autorise les taux à 10 ans à remonter au maximum à 0,5% contre 0,25% précédemment.

Il n'en fallut pas davantage pour que les taux d'intérêt japonais aillent tester ces niveaux dès ce matin, et provoquent un certain embarras des marchés obligataires européens et américains, déjà irrités par les messages agressifs de la Fed et surtout la BCE la semaine passée. Evidemment, les marchés d'actions ne sont pas susceptibles d'aimer ce tour de force inattendu de la part de la BOJ, comme en témoigne leur réaction à la nouvelle.

Il est évidemment bien trop tôt pour imaginer demain. Et après tout, il ne s'agit que d'une esquisse de ce que pourrait être une politique monétaire plus restrictive de la BOJ. Mais comme dirait Charles Ramond, ce philosophe du langage ordinaire capable de faire avouer aux mots plus qu'ils ne disent :

Une frange d'écume peut révéler la présence d'un écueil.

Ainsi, nul doute qu'il s'agit quand même d'une nouvelle donnée de taille à prendre en compte pour les marchés financiers. Ne serait - ce que parce que la taille de la dette japonaise représente près de 20% de la dette mondiale, et surtout la plus grosse dette en proportion de son PIB : 238 % contre 107% pour les Etats - Unis, la France à 98%, et l'Italie 135%. On imagine le bain de sang sur les marchés obligataires, et donc sur les marchés d'actions, si la BOJ se montrait quelque peu plus agressive.

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Commentaire 1
à écrit le 21/12/2022 à 8:23
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238% de dette en proportion du PIB (vous ecrivez 23% 😅 !

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