Matières premières : «nouveau pétrole» ou «Saint Graal» pour l'Europe ?

TRIBUNE. Les matières premières sont d'indispensables vecteurs pour le déploiement de solutions décarbonées dans tous les secteurs de l'économie. Tel est l'un des principaux messages délivrés par la Commission européenne dans sa stratégie en faveur d'une Europe neutre pour le climat d'ici 2050. Par Maros Sefcovic, vice-Président de la Commission européenne.
Maros Sefcovic.
Maros Sefcovic. (Crédits : Reuters)

Cela passe souvent inaperçu, mais presque tout ce que nous utilisons contient des matières premières comme l'acier, l'aluminium ou le cuivre. Des métaux moins connus, appelés terres rares, sont essentiels aux technologies vertes comme les éoliennes, tandis que le lithium, le nickel, le cobalt et le graphite sont nécessaires à la construction des véhicules électriques. Il est donc manifeste que, parallèlement à l'engagement sans réserve de l'Union européenne (UE) dans la transition vers une économie à faible intensité de carbone, de nouveaux types de biens et de ressources sont en passe de devenir hautement stratégiques.

À l'heure actuelle, le monde consomme chaque année 90 milliards de tonnes de ces matières premières. Selon les prévisions de l'OCDE, d'ici 2060, ce chiffre aura presque doublé pour atteindre 167 milliards de tonnes parallèlement à l'augmentation en flèche de la population mondiale, qui comptera près de 10 milliards d'individus, et à la croissance du revenu moyen par tête, surtout en Asie. Si nous n'agissons pas pour changer les modes de consommation et passer d'une approche consistant à «utiliser et jeter» à une logique de circularité, cette demande accrue exercera d'énormes pressions sur les ressources de notre planète et intensifiera la concurrence mondiale déjà féroce sur les marchés des matières premières, ce qui est aussi susceptible d'entraîner la création de monopoles. Par exemple, la Chine contrôle déjà une grande partie de la production des mines de cobalt au Congo.

À la fois sur le plan économique et géostratégique, l'Europe doit faire en sorte que sa dépendance actuelle aux combustibles fossiles ne soit pas remplacée par une autre dépendance critique, vis-à-vis des matières premières primaires, provenant d'autres continents. En d'autres termes, si nous ne changeons pas la donne, les matières premières pourraient bien devenir un «nouveau pétrole» pour l'Europe. À l'inverse, elles pourraient être notre «Saint Graal», et nous permettre de prendre la tête à la fois de la transition vers une énergie propre et de la nouvelle révolution industrielle dans le monde. Mais, pour ce faire, des actions collectives audacieuses s'imposent.

Nous ne partons pas de rien

En effet, l'Europe dispose déjà d'une stratégie active dans le domaine des matières premières, dont les objectifs initiaux demeurent valables: assurer l'accès aux matières premières en dehors de l'Europe, développer l'accès aux ressources européennes, améliorer la réutilisation et le recyclage des matières premières.

Nous avons déjà quelques succès, comme le fait d'amener d'autres pays à supprimer les restrictions commerciales déloyales frappant les matières premières, de recenser les matières premières qui sont cruciales pour l'Europe, d'en financer la recherche et l'innovation, de développer l'accès aux matières premières dans le cadre de l'Alliance européenne pour la Batterie et de mettre au point des solutions relevant de l'économie circulaire, tels que des objectifs de recyclage pour la récupération des matières premières secondaires. Toutefois, il beaucoup reste à faire.

Rattraper la Chine

Premièrement, nous devons diversifier les sources des matières premières extérieures à l'Europe, en considérant, par exemple, l'Amérique latine, le Canada, notre partenaire dans le cadre de l'AECG, et les pays voisins de l'Europe. Une part croissante des matières premières mondiales fait route vers la Chine, qui occupe par voie de fait une position majeure dans les chaînes de valeur mondiales. La Chine mène également une offensive stratégique pour obtenir un accès privilégié aux matières premières en Afrique. Comme indiqué dans notre stratégie sur la neutralité climatique à l'horizon 2050, un renforcement de la politique commerciale de l'Union ainsi que notre diplomatie en matière d'énergie et de climat sont nécessaires pour assurer un approvisionnement sûr et durable en ces matériaux. Je vois un immense potentiel dans la nouvelle alliance Afrique-Europe récemment annoncée; un partenariat plus équilibré au sein duquel l'Europe peut aider l'Afrique à développer un secteur durable des matières premières comme moteur du développement économique et social. En outre, alors que l'Union reste ouverte aux investissements et aux échanges commerciaux respectueux du climat, elle devrait aussi défendre son droit à un accès réciproque, juste et géré de manière transparente aux marchés des pays partenaires, à leurs infrastructures et à leurs matières premières critiques.

Les « consomm'acteurs » européens

Deuxièmement, nous devons veiller à ce que, lorsque des consommateurs achètent une voiture électrique ou un smartphone, ils puissent être certains que des énergies à faible taux d'émissions ont été utilisées pour la fabrication de ces produits, que les matières premières ont été extraites selon des modalités durables et d'une manière socialement responsable et que la plupart, si ce n'est la totalité, de celles-ci seront réutilisées ou recyclées par la suite. Les consommateurs européens, notamment ceux appartenant à la génération Y, se montrent de plus en plus exigeants; ils s'intéressent non seulement aux prix, mais aussi à ce qui entre effectivement dans la fabrication des produits qu'ils achètent. Cela vaut par exemple pour les voitures électriques, alimentées par les batteries qui sont non seulement les plus performantes et les plus sûres, mais aussi recyclables, durables et bidirectionnelles grâce à la technologie V2G (vehicle-to-grid). Nous voulons élaborer des normes qui reflètent la spécificité européenne de cette batterie durable. C'est non seulement une question d'avantage concurrentiel, mais aussi une manière de s'assurer que nous ne nous contentons pas de déplacer les coûts environnementaux vers d'autres parties du monde.

L'Europe, à l'avant-garde de l'économie circulaire

Troisièmement, nous devons être le moteur d'une économie résolument circulaire. Cette Commission européenne a entamé les travaux en 2015 et de nombreuses entreprises voient l'intérêt commercial qu'il y a à réduire leur empreinte sur les matières et les coûts qu'elles supportent. La valorisation, la réutilisation et le recyclage des matières premières sont particulièrement importants pour les secteurs et les technologies pouvant être à l'origine de nouvelles dépendances, dépendance notamment aux matières premières critiques dont la production est concentrée dans un nombre réduit de pays hors de l'Europe — et qui ne proviennent pas toujours des pays les plus stables ou dotés des normes environnementales et sociales les plus élevées. Cette diminution des matières grâce à la réutilisation et au recyclage peut, parallèlement, améliorer notre compétitivité mondiale, créer des emplois et des débouchés commerciaux nombreux et nécessiter moins d'énergie, réduisant du même coup la pollution et les émissions de gaz à effet de serre. Selon des études récentes, une économie véritablement circulaire pourrait permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre jusqu'à 60 % et de compenser la demande croissante de matières par des procédés de fabrication et de recyclage plus efficaces. Les consommateurs devraient également être incités à recycler les produits usagés qui se trouvent chez eux et qui constituent une immense «mine urbaine» inexploitée de matières premières secondaires pour l'Europe. La conception des produits de l'UE devrait permettre un désassemblage, un recyclage et une réutilisation aisés.

L'industrie est on ne peut plus claire à cet égard: si nous devions collecter et recycler tous les smartphones qui dorment dans nos tiroirs, nous aurions assez de cobalt pour fabriquer des batteries destinées à équiper quatre millions de véhicules électriques!

Le potentiel de l'UE en termes de matières premières

Quatrièmement, l'Europe a une longue histoire d'exploitation minière, d'extraction et de sylviculture. Elle possède des technologies de premier ordre sur le plan mondial et s'est dotée de normes environnementales et sociales élevées. Nous sommes amplement autosuffisants en bois et en minéraux industriels. Pourtant, rares sont les mines de métal qui ont ouvert au cours de la dernière décennie, malgré l'abondance de nos ressources. Les métaux, et leur transformation, constituent le domaine dans lequel l'Europe est confrontée à la plus grande menace latente pour ce qui est des matières nécessaires à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dès lors, nous visons une meilleure connaissance du potentiel de l'Europe dans le domaine des matières premières locales, ainsi qu'un cadre réglementaire plus cohérent et plus efficient, dont une procédure accélérée d'autorisation. De nouveau, nous donnons l'exemple avec nos batteries «vertes» ou «durables» les plus performantes: nous travaillons actuellement avec les États membres pour développer une bonne cartographie des ressources de l'UE, pour promouvoir l'excellence en matière de capacité de raffinage et de transformation en Europe, et pour exploiter tout notre potentiel sur le plan de la production et de l'utilisation des matières premières primaires et secondaires.

Enfin, nous devons parler aux citoyens et avec eux, de sorte qu'ils soient mieux informés de la variété, des origines, de la quantité et de l'impact des matières premières nécessaires aux équipements qu'ils utilisent au quotidien (par exemple, l'électronique, les téléphones portables, les automobiles, les textiles, les matières plastiques ou les médicaments).

L'exploitation minière n'est plus une industrie sale et polluante du passé, aussi souhaite-je voir l'opinion publique porter un regard plus positif sur les emplois, les investissements et les avantages pour l'environnement que les activités d'extraction/d'exploitation minière, de transformation et de recyclage/de réutilisation peuvent apporter à l'Europe et à ses consommateurs. Quelques 30 millions d'emplois européens sont directement ou indirectement générés par l'industrie extractive. La fourniture d'informations plus transparentes aux consommateurs sur l'empreinte environnementale et la recyclabilité des matières premières utilisées pour les produits et les services les aidera à faire des choix éclairés et à devenir les acteurs de la transition énergétique.

Pour que neutralité climatique rime avec compétitivité industrielle

Alors oui, les matières premières peuvent être le «Saint Graal» de notre révolution industrielle neutre pour le climat, pour autant que nous collaborions mieux à cette fin avec les États membres, les entreprises et les citoyens de l'UE. Il s'agit là d'une condition préalable pour que l'Europe mette en œuvre une politique industrielle caractéristique du 21e siècle.

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Commentaire 1
à écrit le 13/12/2018 à 18:55
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"Quand on a rien à dire il faut apprendre à fermer sa gueule." Coluche

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