Motion de censure versus motion de rejet de préalable : la bataille de procédure

OPINION. Samedi 16 décembre, une nouvelle motion de censure a été déposée par le groupe LFI en réponse à l'engagement de la responsabilité par le Gouvernement sur l'ensemble du texte budgétaire en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. Elle n'a pourtant pas de chance d'être adoptée à la différence de la motion de rejet préalable au projet de loi immigration du 11 décembre dernier, qui a entrainé la fin de l'examen du texte avant toute discussion en séance. Par Mélody Mock-Gruet*, docteure en droit public, enseignante à Sciences Po Paris
(Crédits : DR)

Alors que cela fait plus d'un an que la menace d'une motion de censure plane sur le gouvernement, cet outil de procédure, qui n'a pourtant rien de nouveau, vient de mettre en difficulté le pouvoir exécutif. Quelles sont les différences entre les deux motions ? Pourquoi la motion de rejet risque-t-elle d'être en réalité plus dangereuse pour le gouvernement qu'une motion de censure ?

Tout d'abord, les deux motions ont des fondements différents

L'une est constitutionnelle, l'autre vient du Règlement de l'Assemblée de nationale (RAN). Il existe plusieurs types de motions de censure : la « motion spontanée » à l'article 49 alinéa 2 de la Constitution ou la motion de censure « provoquée » à la suite de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, pouvant contraindre le Gouvernement à démissionner. Cette dernière est celle dont on entend le plus souvent parler et qui sera ici détaillée.

En revanche, la motion de rejet préalable se trouve à l'article 91 alinéa 5 du RAN. Fusionnant l'exception d'irrecevabilité et la question préalable en une seule procédure lors de la résolution du 27 mai 2009, elle a pour objet de faire reconnaître que le texte est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer. Son adoption entraîne le rejet du texte.

Ensuite la procédure n'est pas la même

Alors que la motion de censure doit d'être déposée par au moins un dixième des députés, soit cinquante-huit députés, la motion de rejet est un droit individuel du député qui peut la déposer seul. En outre, à la différence des motions de censure, qui, dans le cas de dépôts multiples émanant de plusieurs groupes, doivent chacune être votée, il n'y a qu'une seule motion de rejet qui sera discutée et qui donnera lieu à un vote. Pour choisir la motion de rejet discutée est alors organisé un tirage au sort, pondéré en fonction des effectifs des groupes.

Ainsi, une motion de rejet déposée par un député du groupe RN a plus de chances statistiquement d'être tiré au sort que celle du groupe LIOT. Les modalités de discussion constituent également un enjeu, en particulier la date du débat et du vote, celle de la motion de censure ne pouvant avoir lieu que 48 heures après l'heure de dépôt de la motion alors que celle de la motion de rejet a toujours lieu avant le commencer la discussion générale d'un texte sauf lorsqu'il s'agit d'une séance réservée à l'opposition.

De même, la motion de censure se fonde sur un texte avec des motivations politiques, accessible dans le dossier législatif de l'Assemblée nationale, alors que ce n'est pas le cas pour la motion de rejet.

La comptabilisation des votants est un point central de distinction

La motion de censure implique une majorité absolue. Autrement dit 289 votes sont nécessaires pour renverser le Gouvernement, seuls les députés favorables à la motion de censure prenant part au vote ; l'abstention vaut soutien de fait au Gouvernement. Au contraire, la motion de rejet n'a besoin que de la majorité des suffrages exprimés le jour du vote. Dans le cas de la motion de rejet sur le projet de loi immigration, 535 députés ont voté. La motion devait alors atteindre 268 pour (elle en a eu 270) pour être adoptée. Il n'y a pas non plus de délégation de vote, les députés devant donc être présents pour exprimer leur suffrage. Le seuil est donc beaucoup plus difficile à atteindre pour une motion de censure que pour une motion de rejet.

Enfin, les conséquences des deux motions ne peuvent pas être confondues

La motion de censure a vocation à renverser le Gouvernement, alors que la motion de rejet ne rejette qu'un texte. Depuis 1958, une seule motion de censure (spontanée) a été adoptée, celle du 5 octobre 1962. Le Gouvernement a alors démissionné, mais le Président de la République, le général de Gaulle a répliqué en dissolvant l'Assemblée nationale, ce qui n'est pas une obligation constitutionnelle.

A contrario, à la suite du rejet du texte immigration par l'Assemblée, le ministre de l'Intérieur a présenté sa démission, refusée par le Président de la République, et le parcours du projet de loi continue avec la convocation de la Commission Mixte Paritaire.

Depuis le début de cette législature à majorité relative, on a considéré la motion de censure comme l'arme ultime détenu par les députés. Mais le succès de la motion de rejet de lundi crée un précédent. L'opposition utilisait cet outil pour avoir du temps de parole supplémentaire avant de commencer la discussion générale et marquer une position politique forte contre le texte étudié, car la majorité atteignait toujours un nombre de suffrages suffisant pour rejeter ces motions.

Mais les alliances de circonstances des différents groupes d'opposition peuvent fragiliser le rapport entre pouvoir exécutif et législatif et créer une crise politique. Ainsi, si une autre motion de rejet sur un texte politique d'une telle envergure se répète, se pose la question d'une riposte de plus grande envergure, comme un potentiel remaniement gouvernemental ou une dissolution...

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(*) Mélody Mock-Gruet, docteure en droit public, enseignante à Sciences Po Paris, spécialiste de l'Assemblée nationale et auteure du livre « Le Petit Guide du Contrôle Parlementaire », Ed. L'Harmattan.

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Commentaires 2
à écrit le 19/12/2023 à 8:40
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Par contre nous sommes d'accord que ces deux motions différentes se votent de la même façon ? Et que donc les députés qui ont refusé la loi immigration pourraient aussi bien faire sauter le gouvernement à tout instant et pourtant ils ne le font pas. ...

à écrit le 18/12/2023 à 13:47
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Qui se rassemblent en faveur de la coalition de Bruxelles, s'assemblent contre les Français et, on comprend mieux ce qui se passe au Parlement !

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