« Pas utile d'augmenter la garantie sur les comptes bancaires », dit son régulateur...

ANALYSE. Pour sauver les banques américaines du désastre, il a fallu annoncer que les autorités allaient garantir des dépôts bancaires de manière illimitée pour éviter la fuite des capitaux des clients vers d'autres banques. Cela n'a d'ailleurs pas été fort utile. Par Jean-Jacques Quisquater, Université de Louvain, Ecole Polytechnique de Louvain, Bruno Colmant, Université de Bruxelles, Solvay Business School, et Charles Cuvelliez, Université de Bruxelles, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Beflius.
(Crédits : YVES HERMAN)

La Commission européenne, à la suite de cette leçon, s'est posé la question de savoir s'il fallait, en Europe, augmenter cette garantie, aujourd'hui à 100.000 euros. Une garantie plus élevée va-t-elle calmer les clients et les dissuader de retirer tous leurs avoirs ? C'est cela et rien d'autre qui a provoqué la faillite de plusieurs banques régionales américaines et le Credit Suisse. Le boulot des banques, rappelons-le, est de collecter l'épargne des clients et de le reprêter ensuite sur des échelles de temps différentes en partant du principe que les épargnants, qui peuvent, à tout moment, retirer leur argent ne vont pas le faire tous en même temps. S'ils le font suite à une rumeur, c'est le « bank run ».

La réponse est claire : la limite de 100.000 euros ne doit pas être modifiée. Cela n'apporte rien, car la plupart des déposants est déjà largement couvert avec 100.000 euros. Les chiffres de l'EBA apportent des enseignements intéressants : 96 % des déposants sont déjà complètement couverts avec ces 100.000 euros. Il n'y a que 4% qui ne seraient pas couverts. Néanmoins, ces 4% représentent plus de la moitié des dépôts. Ils représentent donc un grand poids économique, mais comme toutes les banques ne vont pas tomber en faillite ne même temps, seule une petite partie de ces 4% serait impactée en cas de faillite bancaire.

La question est de savoir si avec une garantie supérieure, les clients d'une banque cèderaient moins à un effet de panique, mais l'EBA explique que son rôle n'est pas d'investiguer le comportement des déposants. Les faillites bancaires américaines ont montré le peu de corrélation entre la garantie octroyée et la peur chez les épargnants de tout perdre.

Des chiffres

Les chiffres que donnent l'EBA font réfléchir : le montant moyen des dépôts bancaires des particuliers par pays oscille entre 1309 EUR (pour la Lituanie) et 148 987 EUR (pour le Liechtenstein). La moitié des déposants a sur ses comptes 14.398 euros. Le Luxembourg s'en sort pas mal aussi avec un montant moyen de plus de 60.000 euros sur les comptes. Quant aux personnes morales, le dépôt moyen oscille entre 34.208 euros et 775.926 euros. La médiane de ce type de compte est d'ailleurs supérieure à 100.000 euros.

Avec une garantie de 100.000 euros, la proportion de déposants complètement couverts, par pays, oscille entre 99,8% (Lituanie) et 74,1% pour le Liechtenstein (évidemment). Et la moyenne est de 96 %. Une augmentation de la garantie n'améliorerait que marginalement ces chiffres déjà excellents.

Maturité des dépôts

La maturité des dépôts est intéressante à investiguer.  Elle peut avoir un impact sur la probabilité de retrait émotif de son argent de ses comptes en banques. Un compte à terme rend difficile d'en extraire ses avoirs sur un coup de tête (de panique). On apprend ainsi que 57 % des comptes des clients particuliers des banques sont des comptes courants. 25 % des comptes ne le sont pas, mais leur maturité est de moins de 3 mois. Seuls 16.6 % des comptes de particuliers ont une maturité qui dépasse 3 mois. C'est de l'argent non émotif, on va dire.

En proportion, les personnes morales ont des comptes à vue à hauteur de 72%, mais 24% tout de même des comptes ont une maturité supérieure à 3 mois.

Simulation

Essayons de voir malgré tout si monter la garantie à 150.000 et 250.000 euros change quelque chose, avec au passage, une simulation à 1 million d'euros pour les personnes morales. Augmenter la couverture des particuliers n'augmenterait que de manière marginale la proportion des comptes complètement couverte.

Avec la limite de 100.000 euros franchie, on passe pour les dépôts complètement couverts de 63,7 à 73,6% (avec 150.000 euros) et 81,8% (avec 250.000 euros).

Dans le cas des personnes morales, avec la couverture actuelle de 100.000 euros, 87% des entreprises seraient complètement couvertes. Si on monte la couverture à 250.000 euros, la proportion monterait à 93,5%. Avec 1 million d'euros de couverture, la proportion est quasi à 100%.

En moyenne, 2 % des personnes morales possèdent des comptes qui représentent 60 % des dépôts des entreprises. Si ces 2 % retiraient leur argent dans la panique, une banque perdrait en moyenne 20 % des dépôts.

Autorités publiques

À côté des personnes morales, n'oublions pas les autorités publiques. Dans les 28 États de l'espace économique européen étudiés par l'EBA, il y a 208 014 autorités publiques avec 408 milliards d'euros de dépôts tout de même. Cela fait en moyenne 2.901.613 euros par compte et selon le pays, de 233.904 euros (Grèce) à 13.163.202 euros (Luxembourg). Les autorités publiques ont donc bien plus qu'en moyenne 100.000 euros sur leurs comptes. L'EBA explique que puisqu'ils ne sont pas couverts, ils doivent être motivés à ouvrir des comptes dans plusieurs banques pour diversifier leur risque. Ne changeons rien donc.

Conclusions

Non seulement augmenter les garanties n'apporte donc pas grand-chose, mais se pose alors la question de l'aléa moral. Avec une limite à 100.000 euros plutôt qu'illimitée, les déposants feront peut-être attention, dit l'EBA, à la réputation et à la sécurité des banques qu'ils utilisent, une manière de faire pression sur elles, à ne pas faire le cow-boy. Mais qui choisit vraiment sa banque en fonction des risques qu'elle prend et sa bonne gouvernance (il faut que cela se sache et cela se sait souvent trop tard).

Augmenter la couverture des comptes a aussi un coût sur les fonds de résolution bancaire et les contributions que paient les banques. Passer de 100.000 à 150.000 euros coûtera 5,2 milliards d'euros de plus aux banques en cotisation, seulement pour 1,5% de particuliers couverts en plus et 3,3% de personnes morales couvertes en plus.

Avec 250.000 euros, on arrive à 10,5 milliards et seulement avec 2,4% de personnes physiques en plus couvertes et 6,5% de plus de personnes morales complètement couvertes.

1 million d'euros c'est 11,6 milliards d'euros de cotisation supplémentaires. C'est clair, rien ne va changer dans la garantie de 100.000 euros !

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Pour en savoir plus

REPORT ON DEPOSIT COVERAGE IN RESPONSE TO EUROPEAN COMMISSION'S  CALL FOR ADVICE, EBA/Rep/2023/39 December 2023

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