Plus de clarté (enfin) pour encadrer le droit à l'oubli sur Google....

ANALYSE. Les demandes portant sur la suppression d'une mention personnelle sur un site se multiplient. Ce droit à l'effacement qui n'est pas forcément un droit à l'oubli se révèle une question complexe qui a fait l'objet d'une définition proposée par le Comité européen de la protection des données (EDPB), consultable par les internautes. Par Jean-Jacques Quisquater, Ecole Polytechnique de Louvain, Université de Louvain et MIT, et Charles Cuvelliez, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles.
Jean-Jacques Quisquater et Charles Cuvelliez
Jean-Jacques Quisquater et Charles Cuvelliez (Crédits : DR)

Si vous avez déjà tenté de vous adresser à Google pour enlever des liens gênants sous votre nom, l'initiative des agences de protection des données européennes (dont la CNIL) vous plaira. Via le Comité européen de la protection des données (EDPB), qui les regroupe, ce sont des lignes directrices qu'elles proposent pour consultation avant de les imposer. Vous auriez intérêt à les soutenir et à faire part de votre expérience personnelle !

Le droit à l'oubli sur Internet, consacré par un arrêt de la cour européenne de justice de 2014 contre Google et repris dans le RGPD, n'est pas un droit à la destruction du contenu en ligne qui vous concerne. Ce contenu reste mais il n'y a plus de lien vers celui-ci à partir d'un moteur de recherche (uniquement sur base de votre nom). C'est la traduction de l'équilibre entre le droit à la protection de la vie privée et le droit à l'information qui transparait tout le long dans cette proposition. Le lien reste toujours accessible via une autre requête.

Si vous voulez faire enlever le contenu qui vous concerne sur le site qui l'héberge, vous pouvez également tenter votre chance mais ce site vous opposera sans doute sa mission même, dans la plupart des cas : informer. Ceci dit, si vous gagnez, c'est mieux car ce site devra alerter tous les autres sites qui reprennent son contenu. L'intention est bonne : on évite ainsi au citoyen d'avoir à rechercher et contacter tous les sites qui ont repris le même contenu.

Conditions pour bénéficier du droit à l'oubli.

Sinon, quelles sont les conditions pour avoir une chance, d'après ces lignes directrices, chez un Google ? La base réglementaire est l'article 17 du RGPD qui évoque le droit à l'effacement mais ce droit à l'effacement n'est pas forcément un droit à l'oubli.

Quand les données à caractère personnel ne sont plus nécessaires à l'objectif pour lesquelles elles ont été collectées, on peut demander leur effacement. Pour l'EDPB, il s'agit essentiellement d'éviter que des données qui ne sont plus à jour ou qui sont devenues fausses soient encore accessibles. Et de citer, par exemple, un lien vers l'annuaire public d'une firme pour un employé qui n'y travaille plus. Pour l'EDPB, autant la personne impliquée que l'internaute y trouvent alors leur compte puisque ce dernier évite d'être finalement induit en erreur.

Quand vous avez retiré votre consentement au site qui possède vos données, cela semblerait aussi être une bonne raison pour exercer votre droit à l'oubli auprès de Google qui le référence. Oui mais pas en direct, explique l'EDPB. C'est le site web original qui n'a plus votre consentement qui va devoir informer, d'après l'article 17.2c, tous les sites qui ont utilisé cette information, dont Google, donc.

Cas plus grave : vous vous êtes carrément opposé au traitement de vos données par un site. Cette disposition est la plus forte et sera probablement à la base de la plupart des demandes de retrait. Car quand Google propose des liens vous concernant, il s'agit d'un traitement de données auquel vous pouvez donc vous opposer mais ce doit être pour de bonnes raisons, sur base de votre situation particulière et de motifs légitimes impérieux. Mais quel poids aurez-vous contre Google ? Le RGPD vous aide : ce sera plutôt à Google de justifier pourquoi il va continuer à vous référencer malgré votre situation de détresse.

L'EBPD précise quelques cas de motifs légitimes impérieux : est-ce que ce lien vous empêche de trouver un job, met-il en péril votre réputation et votre vie de tous les jours ? Mais attention, dit l'EPDB, plus vous avez un rôle public, moins ces arguments plaideront en votre faveur. Vous l'avez voulu, semble dire l'EDPB. Par contre, si ce lien pointe vers un contenu qui incite à la haine (contre vous par exemple), qui vous prête une opinion qui n'est pas vérifiable, vous restez gagnant, de même si c'est une allusion à un petit délit criminel depuis longtemps oublié....

Si vos données ont carrément été collectées et traitées à votre insu, si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ce n'est pas à Google d'en payer les conséquences. Google ne fait que référencer ce qui se trouve sur Internet. Vous devrez vous retourner vers le site fautif qui, alors, après avoir agi, devra avertir Google de ne plus référencer le contenu non plus. Bien sûr, au cas où un tribunal demanderait à Google d'enlever ce lien, il devra obtempérer. Si le référencement mentionne un mineur, le droit à l'oubli est presque automatique, comprend-on aussi. Il suffit de le demander.

Exceptions peu nombreuses

Mails il y a des exceptions que Google peut utiliser pour refuser votre demande mais elles sont peu nombreuses lorsqu'on tient compte que Google n'est qu'un moteur de recherche: si ce lien est essentiel pour la liberté de l'information et ce en fonction du rôle joué par la personne en question. Plus ce rôle est public, moins sa requête a de chances d'être acceptée, faut-il comprendre. Il faut distinguer le site web qui publiera l'information à des fins de journalisme (un rôle protégé par le RGPD), de Google qui affichera un lien vers ce site. Le moteur de recherche peut néanmoins se retrancher derrière la nécessité d'informer les internautes pour ne rien faire. Doit-on comprendre que si ce lien est publié dans les news de Google, cela peut rester ?

Google ne pourra se retrancher derrière une obligation légale pour laisser le lien car on voit mal un tribunal imposer à Google de mettre un lien. Les sites de recherche ne produisent ni ne présentent des informations. Le tribunal s'adressera aux sites qui le font. Par contre, l'obligation légale faite à un site de publier cette information montre qu'il y a un intérêt légitime à informer. Google devra alors évaluer, comme toute autre requête de droit à l'oubli, un juste équilibre entre vie privée et droit à l'information.

Google ne sera jamais non plus un site officiel disposant d'une autorité légale qui lui impose de publier une info comme un arrêt d'un tribunal par exemple. C'est un autre argument dont Google ne peut se prévaloir mais si le lien est important pour l'intérêt public, Google peut le laisser. Encore doit-il le justifier. Autre exception possible : intérêt public dans le domaine de la santé mais qu'est-ce un lien sur Google pourrait bien à voir avec la santé publique ?

Quant à l'archivage pour but scientifique, historique, statistique, un autre moyen de s'opposer au droit à l'effacement, en quoi enlever des liens sur Google nuirait-il à ces nobles desseins. Ce sont les sites qui hébergent ces informations qui peuvent se retrancher derrière pour ne pas effacer le contenu malgré la demande des personnes concernées.

Comme on le voit ces lignes directrices semblent ne pas donner beaucoup de libertés à Google et autres moteurs de recherches pour refuser une demande d'oubli mais comment les agences de protection des données de chaque Etat membre pourront-elles pouvoir accompagner les milliers de demandes que ces lignes directrices vont occasionner ? C'est une autre question ... comme celle concernant les blockchains.

__________

Pour en savoir plus :

Guidelines 5/2019 on the criteria of the Right to be Forgotten in the search engines cases under the GDPR (part 1), 2 December 2019, European Data Protection Board

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 29/12/2019 à 1:11
Signaler
Ce système proposé est trop compliqué ; Regardez quand il se passe dans la vie un événement marquant ,le temps l’efface naturellement et de jour en jour cela s’estompe ( exemple : les deuils ...) C’est pareil pour toutes les données , à un moment x ...

à écrit le 28/12/2019 à 19:04
Signaler
C'est la panique pour les magouilleurs en fait! Parce que du temps vous pouvez cacher. pourquoi, mais sachez que tout ce qui apparaît serait de fait existant. Et puis au vue du climat d'affairisme, c'est le droit a l'erreur..... Le droit a l...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.