Pour une diplomatie spatiale européenne

OPINION. L'échec de la fusée Vega ne doit pas devenir un symbole des difficultés spatiales européennes, mais bien une occasion de mise en perspective et de renouveau dans la diplomatie spatiale européenne. (*) Par Eric Lebédel, diplomate, spécialiste des questions stratégiques, européennes et transverses, s'exprime ici à titre personnel.
Eric Lebédel.
Eric Lebédel. (Crédits : DR)

Un revers est toujours cruel, même s'il est la condition d'avancées. Toutes nos pensées doivent d'abord se tourner vers les équipes éminentes qui se sont investies durant des années, particulièrement sur les deux satellites d'exception perdus à cette occasion. Deuxième échec, mais sur une série totale de 17 lancements, il intervient malheureusement au lendemain d'un délai annoncé pour Ariane 6 et, en regard, de l'arrimage réussi du Space X Dragon américain à la Station Spatiale Internationale. Juste avant, aussi, le lancement spectaculaire cette nuit de la mission lunaire Chang'e 5 par la Chine. Les ombres portées sur le dessein et les réalisations certaines de l'Europe spatiale risquent de s'épaissir, dans un contexte où la compétition féroce l'emporte parfois sur l'esprit de coopération.

Il serait facile d'asséner  que ce deuxième échec d'un lanceur Véga est la manifestation d'un vieillissement  du modèle européen, fondé sur les fusées et la puissance publique,  et d'y opposer un Nouveau Monde idéalisé depuis déjà 10 ans sous le vocable de « New Space ». La réalité, ce n'est pas seulement l'apparition d'un nouveau « business model », bien connu en France depuis des décennies comme « Partenariat Public-Privé ». La réalité, c'est l'apparition de nombreux acteurs extra-gouvernementaux, aux côtés d'un élargissement des acteurs étatiques (82 Etats ont des satellites en orbite), et les répercussions sur l'espace des progrès techniques et scientifiques dans les « big data », l'intelligence artificielle, IoT, la miniaturisation (SpaceX ambitionne d'envoyer des constellations Starlink de près de 12.000 nano-satellites), l'apparition de nouveaux domaines satellitaires, les risques de saturation de fréquences et de congestion orbitale qui affectent simultanément toutes les puissances spatiales, classiques et émergentes.

Dans ce contexte mouvant, contrasté, exigeant, un renouveau de diplomatie spatiale européenne est non seulement nécessaire mais possible. Nécessaire, car en plus de ces défis communs, l'Europe affronte des singularités (1) qui ne doivent pas devenir des faiblesses. Ces singularités sont : fragmentation du marché, absence de « préférence européenne », ouverture extrême, distorsions de concurrence par rapport à des pays disposant de « Buy American Act » ou de marchés captifs, d'un côté ; recherche affirmée de l'autonomie et de la souveraineté, de l'autre.

Pour autant, techniquement et scientifiquement, l'Europe dispose de nombreux atouts et d'une image de marque qui, au-delà des lanceurs, se traduit par une recherche scientifique de haut niveau, des ingénieurs imaginatifs, des percées dans le système de positionnement (Galiléo) et un rôle premier dans l'observation de la Terre, notamment grâce a son programme Copernicus. On ignore souvent combien ces satellites d'observation de la Terre, dont ceux du CNES, sont fondamentaux  pour la lutte contre le changement climatique comme pour le développement durable. Nous sommes traditionnellement moins présents dans l'exploration humaine, le vol habité. Peut-on envisager, comme l'a récemment proposé (2) notre ministre des affaires européennes, Clément Beaune, que le premier humain envoyé sur Mars soit Européen ? Il faut en tout cas redonner une part de rêve, d'ambition et de mythe à une épopée qui peut aussi passer par une valorisation d'un projet martien ou lunaire, autour aussi des futures Ariane. N'y a-t-il pas encore des domaines, comme celui des « satellites quantiques » (permettant une sécurité de cryptographie renforcée), où nos scientifiques et industriels pourraient contrer un quasi-monopole chinois ? Le député européen Christophe Grudler l'a ainsi suggéré (3).

Sur le plan politique, l'Europe a bien des atouts, comme les Conseils UE/ESA de novembre viennent de le montrer. L'UE et l'ESA travaillent à renforcer une gouvernance commune, sur la base de complémentarités naturelles. Une nouvelle équipe de direction à l'ESA devrait refléter, peut-on l'espérer, cette vision et les ambitions nationales. En terme de régulation, de normes juridiques et de comportement, nous pouvons aussi beaucoup apporter, pour éviter l'édiction de standards unilatéraux ou, à l'inverse, des Far-West sidéraux. Deux domaines sont à cet égard importants : l'exploitation des ressources spatiales, lunaires dans un premier temps, dans le contexte du projet Gateway-Artemis (américain, mais avec des contributions tierces et européennes déjà significatives) ; de manière plus urgente, la gestion du trafic spatial (« Space Traffic Management », STM) particulièrement pour prévenir  la congestion des orbites ou fréquences, et la collision avec des satellites: c'est la question pressante des « débris », avec déjà 30 000 objets de plus de 10 cm potentiellement dangereux en orbite, et un million d'objets de plus de 1 cm.

La France, première puissance spatiale européenne et troisième mondiale, a un rôle premier à jouer. À la fois dotée de la puissance régalienne, de capacités d'innovation et de recherche enviées et d'industries performantes (Airbus Defence and Space, Thalès- Alena, Arianespace...) et autour du CNES, elle peut consolider un « post-New Space » européen. En coordination avec l'Allemagne, notre future Présidence de l'Union européenne (PFUE, au premier semestre 2022) peut-être une occasion de propositions fortes et d'avancées (STM, satellites quantiques, gouvernance, vols habités, régulation...), pour une diplomatie européenne spatiale. Dans un an, le temps du rebond.

______

1. Rapport de l'ESPI no 75 « European space strategy in a global context », novembre 2020.
2. « L'Europe par delà le Covid 19 » Politique Etrangère, automne 2020.
3. Dans Ouest France du 16-07-2020, « Pour une constellation européenne de satellites quantiques »

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Commentaire 1
à écrit le 26/11/2020 à 10:57
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On parle de l'UE là, à savoir cette entité qui ne fait que nous décevoir car que faillir depuis 1992, qu'est-ce que vous voulez encore que nous mettions rien qu'une pièce dessus sachant qu'elle serait forcément perdue ? Je me fais censurer cette ...

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