Pourquoi la grande distribution verdit sa communication

À l’heure où les consommateurs sont devenus plus soucieux de leur alimentation, les enseignes de la grande distribution en font à leur tour une priorité. Simple stratégie ou vrai tournant de société ? Par Florence Touzé, Audencia Business School
(Crédits : Paulo Whitaker)

Trop sucré, trop salé, trop calorique, trop d'additifs... Depuis plusieurs mois, il suffit d'un smartphone pour traquer les produits alimentaires les plus nocifs pour la santé. L'application Yuka, qui permet aux consommateurs de scanner les articles de leur choix pendant leur déambulation au supermarché, rencontre un vif succès. Avec 6 millions d'utilisateurs et 2 millions de produits scannés chaque jour, cette initiative démontre l'exigence croissante des consommateurs vis-à-vis de la grande distribution.

L'application Yuka revendique 6 millions d'utilisateurs. Dossier de presse

Une alimentation équitable et équilibrée, un marché porteur

Selon une enquête Harris Interactive sur « les pratiques alimentaires d'aujourd'hui et de demain » menée en 2017, 63 % des Français déclarent accorder de l'importance à leur équilibre alimentaire. Pour les accompagner dans cette démarche, la lecture nutritionnelle des produits se doit d'être facile et compréhensible. Les applications mobiles telles que Yuka se sont donc positionnées sur ce créneau en complément du NutriScore, le système d'étiquetage mis en place par le gouvernement français en 2016.

Sécurité alimentaire, respect de l'environnement, traçabilité des produits... Tous ces éléments vont désormais orienter les achats des Français. Dès lors, l'éthique et la responsabilité apparaissent comme les nouveaux leviers de la communication des enseignes de grande distribution. Or, plus que le bien manger, ce nouveau sujet du mieux mangers'annonce difficile à traiter et à diffuser. Il semble en effet difficilement conciliable avec le modèle économique de la grande distribution.

Une majorité de Français accorde de l'importance à l'équilibre alimentaire. Harris Interactive

Conscient de cet enjeu de transparence, les magasins U ont lancé en septembre 2018 leur propre application « Y'a quoi dedans ? » pour guider leurs consommateurs vers une alimentation plus saine. À l'instar de son homologue Yuka, l'application de Système U informe le consommateur des substances controversées au sein de ses produits. Il en va de même pour Carrefour qui a inauguré, toujours en septembre 2018, son programme « Act for food » avec un nouveau slogan : « On a tous droit au meilleur ». À travers cette campagne, Carrefour entend promouvoir le bio et bannir 100 substances controversées des produits de l'enseigne.

Retrouver une place d'accompagnateur

En incitant à mieux manger, les enseignes tentent de retrouver une place d'accompagnateur des Français dans leur vie quotidienne. Une place qu'elles s'étaient forgées avec la défense du pouvoir d'achat et qu'elles tentent désormais de reconquérir en parlant de qualité et d'équilibre alimentaire.

Mais il n'est pas si simple d'être entendu comme un référent de confiance... d'autant que toutes les enseignes n'ont pas la même légitimité. En effet, leur crédibilité actuelle repose pour beaucoup sur leur modèle économique et l'ancienneté de leur engagement.

Les modèles coopératifs comme Système U, qui favorisent les producteurs locaux depuis des années, sont plus crédibles. Ils ont construit leur légitimité à promouvoir un ancrage local. Quant à l'enseigne Intermarché, elle semble plus légitime à aborder le sujet de la responsabilité car son réseau est principalement composé de supermarchés perçus comme des commerces à taille humaine. Bien plus en tout cas que Carrefour qui souffre, entre autres, de son image de géant de la distribution.

C'est ce que vient de montrer une étude, réalisée pour la chaire RSE d'Audencia par les étudiants du cycle master Audencia SciencesCom, qui s'intéresse au degré d'acceptabilité des messages des enseignes chez les consommateurs. Elle relève qu'il y a encore du chemin à faire pour améliorer cette acceptabilité... La grande distribution a en effet accumulé un passif en termes de réputation (les modes de négociations avec les producteurs, les conditions de travail de leurs salariés, etc.) et le secteur a tardé à entendre l'aspiration du public à d'autres modes de consommation.

Retrouver un modèle durable et crédible

De fait, ces initiatives sont le signe que les enseignes se trouvent dans une situation, aussi inédite que complexe, caractérisée par leur difficulté à trouver un modèle durable et crédible.

Reste maintenant à savoir si ce virage en faveur de la qualité nutritionnelle relève d'un mouvement de fond plutôt que d'un simple tournant marketing. Les consommateurs les attendent au tournant : ils ont précisément en tête qu'on ne leur a parlé que de prix pendant des années, notamment à grands coups de campagnes comparatives. La bascule vers la qualité et la citoyenneté peut donc leur paraître un peu brutale et souffrir de sa soudaineté !

Les grandes enseignes se sont affrontées ces dernières années à grands coups de publicité comparative.

Reste aussi pour les enseignes à convaincre un pan de la population qui se sent encore peu concerné par la consommation responsable, perçue comme réservée à des catégories socioculturelles spécifiques (altermondialistes, bobos, etc.). Mais les prises de conscience se généralisent, pour des raisons de santé d'abord, comme on l'a vu plus haut. Et il faut prévoir que les contraintes environnementales à venir et la limitation des ressources ne laisseront bientôt plus le choix. Le virage pris par les grandes enseignes semble donc s'inscrire dans une tendance nettement plus large.

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Cet article a été co-écrit par Samuel Cance, étudiant en 2e année de cycle master à Audencia SciencesCom, et Florence Touzé, professeur de marketing à Audencia SciencesCom et auteure de l'ouvrage « Marketing, les illusions perdues. Passons à une approche respectable » (Éditions La Mer Salée)

The Conversation _______

 Par Florence TouzéProfesseur associé, Co-titulaire de la chaire RSE Audencia, Audencia Business School

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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