« Profit warnings » des sociétés cotées : des contraintes réglementaires fortes dans un environnement de marché volatil

OPINION. Me Jérôme Brosset et Me Jean-Damien Boulanger exposent comment l’entreprise concernée par cette situation peut anticiper et traiter au mieux l’obligation de publication d’un avertissement sur résultats compte tenu de la magnitude de la sanction boursière.
Jean-Damien Boulanger et Jérôme Brosset
Jean-Damien Boulanger et Jérôme Brosset (Crédits : DR)

Une vague inédite d'avertissements sur résultats (« profit warnings ») à la bourse de Paris : ces quelques mots résument à eux seuls la tonalité de la saison des publications financières pour le troisième trimestre, dont la presse s'est fait l'écho ces dernières semaines.

Cette série de « profit warnings » ne s'est pas limitée à France ni à un secteur en particulier : elle a été observée plus largement en Europe dans un contexte de ralentissement économique en zone euro et de hausse des coûts qui impactent à la baisse les résultats des entreprises par rapport aux attentes initiales des investisseurs. Ils ont provoqué des décrochages d'ampleur des cours de bourse des sociétés concernées, parfois sans précédents, que les analystes expliquent par le contexte de moindre liquidité sur les marchés et des valorisations actuelles considérées comme encore assez élevées des actions.

La magnitude de la sanction boursière susceptible d'impacter l'émetteur coté oblige donc à se poser la question de savoir comment ce dernier peut anticiper et traiter du mieux qu'il peut l'obligation de publication d'un avertissement sur résultats.

Les recommandations de l'Autorité des Marchés financiers (alignées avec celles du régulateur européen, l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF)) restent inchangées depuis l'entrée en vigueur du Règlement Abus de Marché en 2016. Par principe, l'AMF considère qu'une politique de communication claire et stable dans le temps devrait permettre aux sociétés de ne pas se trouver dans une situation où elles doivent publier en urgence un avertissement sur résultats (à la hausse comme à la baisse). La nécessité de procéder à une telle publication, au titre des obligations d'information permanente des émetteurs, doit donc rester l'exception.

L'AMF recommande ainsi aux émetteurs d'être particulièrement vigilants quant au respect de l'obligation de communiquer dès que possible une information privilégiée, lorsqu'ils constatent que les résultats ou d'autres indicateurs de performance qu'ils anticipent (i) devraient s'écarter des résultats ou autres indicateurs de performance anticipés par le marché et (ii) seraient susceptibles d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers de cet émetteur ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

Ainsi, la société cotée est tenue « dès que possible » d'informer le marché lorsque est constaté en interne un risque de décalage entre le consensus de marché et/ou la « guidance » préalablement donnée par la société et la réalité des chiffres à venir pouvant être qualifié d'information privilégiée La possibilité de différer cette information en se calant sur une date prochaine de communication financière n'est pas admise, tout retard de publication étant considéré comme induisant le marché en erreur dans l'idée que les prévisions restent atteignables et réalistes.

En pratique, cette obligation d'information est d'application très incertaine pour les émetteurs, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, l'écart escompté doit revêtir un caractère précis et significatif et prendre en compte les spécificités des sociétés évaluées et des marchés sur lesquelles elles opèrent, alors même que les résultats des mesures de remédiation ou correctifs mis en place peuvent encore être incertains et conduire à la possibilité de plusieurs scénarios ce qui peut avoir pour effet que l'information donnée immédiatement peut être imprécise et incomplète. En second lieu, l'écart doit être susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours de bourse de la société, étant entendu que la jurisprudence a déjà admis que par nature le business plan d'une société a vocation à être revu (affaire EADS), ce qui implique nécessairement que les objectifs d'EBITDA (par exemple) sont susceptibles d'évoluer. Sur ces deux premiers points, il revient donc à la direction de l'émetteur d'identifier en amont tout risque de dérapage et de se poser la question de sa qualification en information privilégiée ou pas. Enfin, l'obligation pèse actuellement sur la société alors même qu'elle peut ne pas avoir donné de « guidance » et être donc étrangère à la formation du consensus de marché résultat de la seule appréciation des analystes, parfois peu nombreux pour des sociétés cotées à capitalisation moyenne ou réduite, qui interprètent librement les indications fournies par la société.

Or, il ne peut être reproché à la société, si celle-ci ne donne pas de prévisions au marché, de ne pas avoir corrigé les attentes de marché qu'elle n'a pas contribué à créer. En ce sens, il a déjà été jugé que, dans cette hypothèse, la survalorisation des résultats à venir par les analystes financiers ne peut être imputée à l'émetteur. Sur ce dernier point, il pourrait apparaître opportun que l'AEMF (et incidemment l'AMF) révise sa doctrine pour ne plus imposer aux sociétés cotées de potentiellement devoir publier immédiatement un avertissement sur résultats quand précisément ces sociétés ont choisi de se soustraire au jeu des prévisions. Dans ce cas, les sociétés devraient pouvoir attendre la prochaine publication périodique des états financiers pour mettre à jour les attentes du marché. C'est d'ailleurs la règle qui prévaut pour les sociétés cotées outre-Atlantique.

Une adaptation de la doctrine réglementaire en Europe, certes peu probable à horizon court-terme, sur ce point serait la bienvenue au regard de la désaffection constatée pour la Bourse, tendance de fond depuis la crise financière de 2008 (marquée par un déclin régulier du nombre d'introductions en bourse et une augmentation des sorties de cote). Si les raisons en sont multiples (croissance de l'industrie du capital-investissement, montée en puissance des fonds activistes), la complexité croissante des contraintes réglementaires pesant sur les émetteurs, quelque que soit leur taille, en matière d'information permanente est souvent la plus citée.

La Commission européenne s'est d'ailleurs saisie de cette problématique à travers sa proposition de « Listing Act » visant à alléger, au moyen d'une nouvelle législation sur l'admission à la cote, la charge administrative pesant sur les entreprises de toute taille, en particulier les PME, afin qu'elles puissent accéder plus facilement aux financements sur les marchés publics des capitaux, sans porter atteinte à l'intégrité du marché et à la protection des investisseurs. Les objectifs semblent être atteints même s'il reste certainement encore à faire afin de favoriser une meilleure efficience réglementaire des marchés européens (harmonisation des règles fiscales et de gouvernance d'entreprise, mais aussi du rôle des autorités nationales de surveillance des marchés, rationalisation des procédures au sein de l'AEMF, etc.). Le régulateur français en est bien conscient : œuvrer au renforcement du rôle de l'AEMF fait d'ailleurs partie de ses priorités, comme l'appelait de ses vœux Marie-Anne Barbat-Layani, Présidente de l'AMF depuis octobre 2022, dans son discours de clôture du 23 novembre dernier à l'occasion des 20 ans de l'AMF.

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(*) Jérôme Brosset, avocat associé et Jean-Damien Boulanger, avocat counsel, du cabinet August Debouzy sont spécialisés en M&A stratégique, en droit boursier, gouvernance d'entreprise et droit des sociétés cotées, et interviennent en conseil comme en contentieux.

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