Quel est l'intérêt d'imposer un plafond au prix du gaz qui ne s'appliquera pas  ?

OPINION. Le mécanisme décidé par le Conseil européen pour limiter l'envolée des prix du gaz en Europe qui ont atteint des niveaux stratosphériques en 2022 ne répond pas vraiment au but recherché. Par Charles Cuvelliez et Patrick Claessens, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles.
(Crédits : DADO RUVIC)

Les conditions assorties à l'activation du plafond de 180 euros par MWh de gaz, décidé par le Conseil européen, risquent de le rendre inopérant. Il faut tout d'abord un écart de 35 euros par MWh entre le prix sur le marché TTF, la principale place boursière pour le gaz en Europe, et les prix LNG (gaz liquide) ailleurs dans le monde.

Le plafonnement peut ensuite prendre fin si la consommation de gaz se met à augmenter ou, dans le sens contraire, lorsque les échanges de gaz entre Etats membres diminuent ou lorsqu'il y a une baisse significative des importations de LNG par rapport à l'année passée à la même période. Ce plafond, c'est un peu comme une assurance contre les inondations qui s'arrête en cas de fortes pluies.

Comment en est-on arrivé là ?

Si toutes les conditions sont remplies, aucun opérateur sur le marché TTF ne peut accepter une opération à une valeur supérieure au plafond qui reste activé pendant 20 jours. Chaque jour de cette période, l'ACER, qui regroupe les régulateurs de l'énergie, publiera sur son site la valeur de ce plafond qui ne reste pas forcément calé sur 180 euros par MWh. Il peut diminuer jusqu'à 145 euros par MWh car 145 euros par MWh + 35 euros par MWh font encore 180 euros par MWh. Par contre, sans ce différentiel de 35 euros par MWh avec les marchés mondiaux, il n'y a plus de limite au prix du gaz mais au moins, nous ne serons pas seuls dans la misère.

Le delta de 35 euros par MWh est justifié par la Commission par la congestion des infrastructures pour accueillir le gaz LNG depuis les terminaux gaziers (sans préciser l'origine de cet étranglement, l'Allemagne, ni qu'il est en passe d'être résolu). Des agences désignées à l'avance sont en charge de faire un rapport sur les prix du gaz dans le monde à partir duquel la référence de prix LNG sera calculée. Prendre le prix du gaz LNG comme référence est logique : il se négocie sans contrainte de lieu de livraison contrairement au gazoducs. Le seuil de 180 euros par MWh est bien inférieur au premier plafond proposé par la Commission mais il reste 6 fois plus élevé que les prix moyens du gaz enregistrés sur la décade 2010-2020 (entre 5 et 35 euros par MWh). Ce n'est donc pas un contrôle des prix mais la volonté de corriger un dysfonctionnement du marché qui a pour effet que la formation des prix ne résulte plus simplement du déséquilibre entre offre et demande.

La Commission part, pour le justifier, de ses observations de l'été sur les causes de pics du prix du gaz jusqu'à 350 euros par MWh : il y avait la demande accrue pour remplir les réserves de gaz en hiver avec, simultanément, une réduction des livraisons par gazoducs, le tout complété par, dit la Commission, des manipulations et spéculations de la part de la Russie (pourquoi s'en priverait-elle) sur les marchés. Le mécanisme de formation des prix ne pouvait pas être sain dans de telles circonstances face à une telle accumulation de circonstances malheureuses.

Choix du marché TTF

Le choix du marché TTF où se négocie 80 % des volumes de gaz de l'Europe de l'Ouest et où se traitait aussi le gaz russe est logique pour avoir une bonne référence de prix « européens ». Jusqu'en avril 2022, il était un bon indicateur des vrais prix du gaz avant de se mettre à diverger à partir d'avril 2022.

Les coupe-circuits en cas de pics n'empêcheront pas, dit la Commission, les prix de reprendre leur route vers les sommets. Ce sont des remèdes de court terme. Il faut aussi faire attention à ce que ce plafonnement ne mette pas à mal d'autres régulations comme celle qui vise à diminuer notre consommation ou ne provoque une pénurie, d'où les conditions avant que le plafond ne soit effectif au point de peut-être ne devoir jamais être activé. La Commission souhaite aussi que les marchés dérivés pour se couvrir contre les variations des prix à terme continuent de fonctionner. Le plafonnement ne doit pas être un prétexte à ne plus couvrir ses risques.

Mise en garde de la Commission

L'activation du plafond est automatique, ce qui est une bonne chose, car le processus de décision prend du temps et attiserait sans nul doute la spéculation. L'ACER communiquera clairement par site web interposé que les conditions d'activation sont inéluctablement franchies. Mais dès que la consommation de gaz augmente de 15 % par rapport au mois correspondant de l'année passée ou de 10 % sur deux mois, le mécanisme peut être suspendu. La Commission met aussi en garde contre les tentatives de ne pas mettre sur le marché des stocks de gaz en attendant la fin du plafonnement. Enfin, il faut aussi faire attention aux marchés dérivés : le mécanisme peut engendrer des pertes substantielles pour les acteurs sur les marchés dérivés du fait des appels de marge.

Activer aussi vite une régulation de plafonnement, c'est risqué : a-t-on bien pensé à tout. L'ESMA, le gendarme européen des marchés financiers, et l'ACER doivent remettre un rapport préliminaire le 23 février, soit 7 jours avant l'entrée en force de cette régulation, sur ses conséquences, avec un rapport définitif pour le 1er mars. Le plafonnement lui n'interviendra, s'il doit intervenir, que le 15 février.

L'Allemagne aura donc cédé mais le temps a joué pour elle puisque les goulots d'étranglement sont en passe d'être résolus, tout au long de l'année 2023, grâce à la mise en place de plusieurs terminaux méthaniers flottants.

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Pour en savoir plus: Proposal for a COUNCIL REGULATION Establishing a market correction mechanism to protect citizens and the economy against excessively high prices, Brussels, 19 December 2022 (OR. en) - Interinstitutional File: 2022/0393(NLE)

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