Rapport Gauvain-Marleix : une loi Sapin III est-elle inéluctable ?

OPINION. Cinq ans après la promulgation de la loi Sapin II (1), les députés Olivier Marleix et Raphaël Gauvain ont émis 50 propositions pour en renforcer le dispositif. Se pose désormais la question de leur transposition législative. (*) Par Ariane Dulcire, avocate et Cécile Terret, avocate associée Cabinet Addleshaw Goddard
(Crédits : Reuters)

La loi Sapin II a marqué un véritable tournant dans la lutte contre la corruption en France en introduisant dans notre droit des avancées notables en la matière, et notamment une dimension préventive qui n'existait pas dans les législations de nos voisins américains ou britanniques : obligation pour certaines entreprises privées de mettre en place des mesures de lutte contre la corruption - le fameux article 17 -, instauration de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), instrument de justice négociée, création de l'Agence française anticorruption, élaboration d'un statut protecteur pour les lanceurs d'alerte...

Dans leur rapport rendu le 7 juillet 2021 (2), les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, dressent ainsi un bilan positif du dispositif Sapin II, mais constatent qu'il ne se reflète pas dans les indices internationaux de perception de la corruption, au sein desquels la France n'a pas progressé depuis 2015. Ils formulent donc 50 propositions afin de donner un second souffle à la loi Sapin II.

  • Un renforcement des obligations anti-corruption

Selon ce rapport, le périmètre des entités assujetties aux obligations de prévention et de détection prévues par l'article 17 de la loi Sapin II gagnerait à être étendu.

Il est ainsi proposé de supprimer la condition tenant à la localisation en France du siège social de la société mère. Les filiales de grands groupes étrangers établies en France seraient donc soumises au dispositif Sapin II, dès lors que leur société mère dépasserait le seuil de 500 salariés et de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires. L'objectif de cette extension du dispositif est de pallier toute distorsion de concurrence entre les entreprises françaises soumises à ces obligations et ces filiales qui n'y sont actuellement pas soumises.

Les rapporteurs souhaitent également mettre l'accent sur la lutte contre la corruption dans le secteur public. Ils appellent ainsi de leurs vœux la création d'obligations de conformité adaptées aux administrations et établissements publics, modulées selon leur taille et les risques auxquels ils sont exposés.

En ligne avec cet objectif visant les acteurs publics, il est proposé sur le plan institutionnel de recentrer l'AFA sur un rôle de coordination administrative et d'animation de la stratégie gouvernementale de la lutte anti-corruption en France, en transférant à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) les fonctions de conseil et de contrôle, c'est-à-dire de « créer une grande autorité administrative indépendante compétente en matière d'éthique publique et de prévention de la corruption (p.88) », qui pourrait prendre le nom de Haute autorité pour la probité (3).

  • Un développement des procédures de justice négociée

Dès sa mise en œuvre par la loi Sapin II, la CJIP a connu un succès significatif. Cette mesure d'alternative aux poursuites, utilisée pour la première fois par HSBC Private Bank Suisse SA quelques mois après l'entrée en vigueur de la loi Sapin II, permet aux personnes morales suspectées d'infractions financières d'opter pour une solution négociée avec le parquet plutôt qu'un procès.

Les rapporteurs souhaitent renforcer l'attractivité de ce dispositif en l'étendant au délit de favoritisme et en protégeant davantage les documents et informations communiqués par la personne morale aux autorités judiciaires au cours de la phase de négociation.

De plus, en dépit des critiques, notamment à la suite de l'"affaire Bolloré", tenant à la différence de traitement entre l'entreprise - seule éligible à la CJIP - et son dirigeant en tant que personne physique - qui ne peut prétendre qu'à une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) -, les rapporteurs n'ont pas préconisé d'étendre la CJIP aux personnes physiques. Ils privilégient la création d'une CRPC spécifique aux faits de corruption, qui ne pourrait être proposée au dirigeant qu'en cas de révélation spontanée des faits et de pleine coopération aux investigations.

Enfin, les députés suggèrent d'encadrer davantage les enquêtes internes diligentées dans le cadre d'une procédure de justice négociée ou d'une CJIP, notamment en donnant la possibilité au parquet de nommer un mandataire ad hoc chargé de mener l'enquête interne et en introduisant de nouveaux droits pour les personnes physiques auditionnées (droit d'être assistées par un avocat, droit de connaître les faits qui leur sont reprochés...).

  • Une amélioration du statut des lanceurs d'alerte

Le rapport des députés souligne qu'au moment où la France doit transposer la directive européenne du 23 octobre 2019 sur les lanceurs d'alerte, des difficultés persistent à la fois dans la qualité du traitement des alertes et dans la protection des lanceurs d'alerte.

La proposition de loi de transposition qui a justement été déposée le 21 juillet (4) dernier et doit être discutée en novembre prochain à l'Assemblée Nationale se place dans la continuité du rapport Gauvain-Marleix et reprend un grand nombre de ses propositions.

Il est ainsi prévu de supprimer l'obligation actuelle de lancer d'abord l'alerte en interne, autorisant ainsi le lanceur d'alerte à saisir directement les autorités publiques. La proposition de loi détaille également les représailles contre lesquelles les lanceurs d'alerte sont protégés et crée une sanction civile dissuasive et un délit de représailles prises à l'encontre d'un lanceur d'alerte. Le rôle du Défenseur des Droits est également renforcé en lui permettant de se prononcer sur la bonne foi du lanceur d'alerte, ainsi que de suivre le traitement des alertes.

  • Certains points importants tels que la procédure de recueil et traitement des alertes et les mesures de soutien psychologique et financier dédiées aux lanceurs d'alerte devront toutefois être précisés par décret.

L'avenir des propositions du rapport Gauvain-Marleix

La directive européenne du 23 octobre 2019 sur les lanceurs d'alerte devant être transposée avant la fin de l'année, la proposition de loi de transposition semblait être le véhicule idéal pour adopter en même temps tout ou partie des propositions des députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix en matière de conformité et de lutte contre la corruption. A cette fin, ils ont rédigé une proposition de loi en juillet 2021 reprenant leurs recommandations, transmise pour étude au Gouvernement et à certaines organisations professionnelles. Au vu du calendrier, la décision d'inscrire cette proposition de loi à l'agenda législatif pour adoption avant la fin du quinquennat devrait être prise d'ici la fin septembre.

____

(1) Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

(2) Rapport d'information n°4325 de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, sur l'évaluation de l'impact de la loi dite Sapin II, présenté par Raphaël Gauvain et Olivier Marleix.

(3) Entretien avec Raphaël Gauvain et Olivier Marleix lors d'une session de formation organisée par la Commission Compliance et Ethique des Affaires du Barreau de Paris, "Evaluation et réforme de la loi Sapin 2", 17 septembre 2021.

(4) Proposition de loi n°4398 du 21 juillet 2021 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte, présentée par Sylvain Waserman, Patrick Mignola, Christophe Castaner, Olivier Becht, Raphaël Gauvain et les membres des groupes Mouvement démocrate et Démocrates apparentés, La République en Marche et apparentés, et Agir ensemble.

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