Règlementer les banques ? Une fausse piste !

Les banques ont tellement de moyens de contourner les règlementations, notamment prudentielles, que celles-ci en deviennent inopérantes. Par François Leclerc @fdleclerc
Il est généralement admis que c'est du shadow banking non régulé que proviendra le danger, le risque s'étant déplacé depuis que les fonds propres et le coussin de liquidité des banques ont été renforcés par les régulateurs.

Fréquenter la presse financière internationale conduit à y rencontrer une interrogation récurrente : « où cela va-t-il craquer la prochaine fois ? ». Rendant inutile tout alarmisme superflu, ses journalistes s'en chargent d'eux-mêmes, scrutant sans relâche l'activité financière afin d'y déceler des dysfonctionnements annonciateurs. La semaine dernière, l'Autorité bancaire européenne (EBA) a apporté de l'eau à leur moulin en annonçant dans son dernier rapport annuel que « les risques du système financier n'ont pas changé sur le fond et se sont renforcés. »

Les risques du shadow banking non régulé

Il est généralement admis que c'est du shadow banking non régulé que proviendra le danger, le risque s'étant déplacé depuis que les fonds propres et le coussin de liquidité des banques ont été renforcés par les régulateurs. Mais, bien que la chasse au risque soit en permanence ouverte, et que les tentatives de le cerner ne manquent pas, celui-ci reste intact. Aujourd'hui, les fonds d'investissement sont identifiés comme étant le point faible du système financier, demain un autre péril sera détecté.

D'autres inquiétudes - elles ne manquent pas - percent déjà à propos des chambres de compensation des produits dérivés standard. Leur utilisation a été rendue obligatoire afin de contenir le risque, mais celui-ci a été par la même occasion dangereusement concentré en leur sein. Certes, des appels de marge imposent de fournir du collatéral en garantie à toute transaction, mais le calcul de leur montant repose sur des modèles d'évaluation du risque propriétaires. Et il a fallu tout le poids des régulateurs britanniques pour obtenir qu'ils soient rendus publics, dans l'intention de les homogénéiser, ce qui ne leur donnera pas nécessairement plus de pertinence.

Un secteur à réguler... mais qui doit contribuer à la relance

Plus globalement, comment ne pas relever une contradiction entre la nécessité hautement proclamée de réguler le secteur du shadow banking - sans savoir comment s'y prendre - et celle d'en attendre une contribution à la relance, comme c'est le cas en Europe ? Dans les faits, cette attente prend le pas sur une volonté politique de régulation qui s'est au fil des ans considérablement émoussée. L'heure du « marché unique des capitaux » du nouveau commissaire britannique a sonné, comme en témoignent les limites de la directive sur les fonds monétaires - un autre point faible - qui a été adoptée par les eurodéputés.

Résultant de phénomènes souterrains dont seules des manifestations sont apparentes, les risques de volatilité et de liquidité sont soulignés. À propos du dernier des deux, il a été souligné le mois dernier par Jamie Dimon, le patron de JP Morgan, dans son rapport aux investisseurs, que les banques ne peuvent plus jouer leur rôle de teneur de marché et amortir ainsi son choc, reportant de facto sur les banques centrales - encore elles - la responsabilité d'aller au charbon pour les remplacer.

Des filouteries bancaires...

Peu de temps auparavant, l'aplatissement de la courbe des taux faisait problème, le différentiel des taux des titres à courte et longue maturité allant progressivement étrangler les compagnies d'assurance. Ou bien encore, le doigt était pointé sur les valorisations abusives enregistrées sur les marchés boursiers, conduisant les analystes à se demander si une bulle était ou non déjà constituée, et accessoirement à s'interroger sur les moyens de trancher le débat avec comme seule réponse disponible, mais insatisfaisante, qu'il faut attendre qu'elle éclate pour le savoir ! Bref, le magasin des risques est bien approvisionné et les instruments de sa mesure sont défaillants quand ils existent.

Mais les banques, présentées comme guéries, sont-elles finalement si solides que cela ? Pour répondre, nul besoin d'épingler les Landesbanken allemandes (les banques des Länder), très malades et à la recherche d'un nouveau modèle, ou les banques italiennes pour lesquelles une bad bank est toujours en gestation et se fait attendre. C'est du sort des mégabanques qu'il faut en priorité traiter. Lorsque l'on décortique les arcanes de leur régulation et les manières de la contourner, les filouteries ne manquent pas. Les évaluations complaisantes du risque des actifs (le RWA) - sur la base desquels leurs nouveaux ratios réglementaires sont calculés - sont à tel point sujettes à caution que les régulateurs tendent dorénavant à privilégier l'effet de levier brut, qui n'en dépend pas.

Des ratios manipulés

Mais c'est pour découvrir que ce dernier ratio peut être aussi manipulé avec des écritures comptables qui permettent de réduire la taille de l'actif et de diminuer d'autant les besoins en fonds propres. Et ce n'est pas fini : l'utilisation judicieuse de certains contrats d'options permet encore de trafiquer cet effet levier et de fausser son appréciation.

Comme le fait remarquer Satyajit Das, un ancien banquier spécialiste des produits dérivés qui connait son affaire : « les initiatives complexes destinées à réduire le risque bancaire ont peut-être amélioré la capacité des institutions financières à résister au stress financier en théorie, mais pas en pratique », avant de conclure que « le potentiel d'un événement majeur de liquidité découlant de problèmes bancaires en raison de l'insuffisance des capacités à assumer les pertes est sous-estimé. »

Un monde gigantesque et opaque

Somme toute, régulé ou non, aucun secteur n'est préservé. Les analystes financiers voudraient bien ne pas être pris la prochaine fois par surprise, mais la partie est rude. Laissé à lui-même, le monde dont ils cherchent à débusquer les mystères est devenu gigantesque et opaque, d'un grand degré de complexité et d'interdépendance de ses composantes. Il en résulte un nouveau risque de contagion - « systémique » - devant lequel les régulateurs sont impuissants. Sans se résoudre à admettre qu'il n'y a pas d'autre issue que de déconstruire ce monde au lieu de chercher à le règlementer, en vain.

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Commentaires 13
à écrit le 18/05/2015 à 13:23
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La solution est simple et pas besoin de régulation ... Il suffit de permettre la mise en place d'un établissement bancaire public, strictement controllé par l'Etat, et garantissant aux clients que jamais leur argent ne sera mis en danger tout en offr...

à écrit le 18/05/2015 à 12:47
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Il y a une trentaine d'années, dirigeants politiques ( Thatcher,Reagan) ont installé leur système économique consumériste, basé sur la cavalerie financière et aussi monétaire. Ainsi était décrété la valeur des choses comme des gens par le mode des En...

à écrit le 17/05/2015 à 22:41
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A l'exemple de la BC qui n'a pas a rendre de compte, les banques seront bientôt invulnérables et hors la loi!

à écrit le 17/05/2015 à 21:05
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Les banques créent l'argent-dette à partir de rien basé sur nos richesse. Rothschild nous l'a pourtant bien dit: "Donnez-moi la permission de créer l'argent dans un pays et je ne me soucie de qui fait les lois "

le 17/05/2015 à 22:35
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La banque que vous citez n' est pas une banque centrale. Les banques commerciales ne créent pas d' argent. Vous racontez n' importe quoi.

le 18/05/2015 à 2:53
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Plus de 90% de l'argent qui circule dans le monde est ce que l'on appelle de l'argent dette. Il est créé ex nihilo par les banques privées. Informez vous avant de dire aux autres "Vous racontez n'importe quoi". Ci-joint un lien vers une vidéo expliqu...

le 18/05/2015 à 22:45
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"La banque que vous citez n' est pas une banque centrale. Les banques commerciales ne créent pas d' argent." : Dans ce cas, comment peuvent-elles placer plus que leurs fonds propres?

à écrit le 17/05/2015 à 20:58
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Bonjour, Je conçois que ce soit une publication spécialisée, mais le but, c'est de faire circuler l'information et de la rendre compréhensible non? Bah j'ai rien compris, et je suis économiste. C'est sûr que ce serait fastidieux de développer...

à écrit le 17/05/2015 à 20:52
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Sur la régulation, je pense que surtout les sanctions ne sont pas à la hauteur de la faute. Donc aucune raison objective de s'auto-réguler. La menace du risque systémique rend faible nos gouvernants. Par ailleurs les frontières banquiers / régulateu...

le 17/05/2015 à 22:33
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Il ne faut pas se décourager, ce sont des hommes, ils peuvent changer, il faut leur montrer leur erreur.

à écrit le 17/05/2015 à 17:01
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Quant on veut on peut ; voir BNP et le système financier américain . Les , on y peut rien , ne parleront jamais la langue de la volonté , donc ils utilisent celle de l acceptation , puis peut être celle du renoncement et pour finir celle de la soumis...

à écrit le 17/05/2015 à 12:59
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Rectificatif : il s' agit si les deux mondes sont corrélés d' agir résolument et démocratiquement sur le nôtre. Pour un citoyen médecin par exemple, les violations évidentes du secret médical et de la fin de l' indépendance du médecin face aux inter...

à écrit le 17/05/2015 à 12:36
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Cette notion de déconstruction est importante. "Décomposition" est un autre terme souvent utilisé pour décrire l' état du système financier. Mais ces deux termes, pris dans un sens ordinaire, ont l' inconvénient de "figer un seul aspect d' une dyna...

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