Réindustrialisation : la route est encore longue

ANALYSE. Malgré une hausse des investissements dans l'industrie, la production manufacturière ne rebondit pas. Par Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès.
(Crédits : DR)

Les données et les enquêtes concernant l'investissement industriel sont bien orientées. Pourtant, le volume de production manufacturière est toujours inférieur à ce qu'il était avant la crise sanitaire. Ce paradoxe peut s'expliquer par la baisse de la productivité du travail dans l'industrie, par les délais nécessaires à la traduction des investissements en hausse de production ou par le type d'investissements réalisés. La réindustrialisation est un processus de long terme qui nécessite de travailler sur les points faibles du pays, tels que le niveau de formation, la lourdeur administrative ou l'insuffisance de la recherche-développement.

Investissement dans l'industrie : des évolutions encourageantes

Les investissements des entreprises dans l'industrie sont dynamiques, ce qui indiquerait que la réindustrialisation de la France est en cours. Des données font état d'un nombre d'ouvertures d'usines supérieur au nombre de fermetures, alors qu'au cours de la dernière décennie les fermetures ont été supérieures aux ouvertures. De plus, la France semble plus attractive que ses voisins européens en ce qui concerne la localisation des investissements industriels étrangers. Enfin, les soldes d'opinions des industriels (écart entre le pourcentage de réponses « en hausse » et le pourcentage de réponses « en baisse ») indiquent une forte hausse des décisions d'investissement en 2021 et 2022.

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Production manufacturière : les investissements donnent des résultats décevants

La production manufacturière française peine à rebondir. Au troisième trimestre 2023, la production manufacturière française était inférieure de -1% à son niveau d'avant la crise sanitaire (T4 2019) et de -7% par rapport à son pic du premier trimestre 2008. Hormis le rebond mécanique de 2021 et 2022 suite à l'effondrement de la production liée aux confinements, il ne s'observe pas actuellement de hausse notable de la production malgré la croissance des investissements dans l'industrie. Trois facteurs peuvent expliquer le paradoxe entre une hausse des investissements et un volume de production stagnant.

  • La productivité du travail dans l'industrie est en baisse

La hausse de l'emploi manufacturier, tirée par les investissements dynamiques, est une « victoire à la Pyrrhus ». Le nombre d'emplois manufacturiers est certes reparti à la hausse, avec environ 100.000 créations nettes d'emplois depuis un point bas atteint en 2017, à moins de 2,8 millions d'emplois manufacturiers. Cependant, depuis une vingtaine d'années, la France a perdu près d'un million d'emplois industriels. De plus, la productivité manufacturière, qui avait augmenté entre 2000 et 2019 (moins de 55.000 euros de production manufacturière par salarié en 2000 contre 72.000 euros par salarié en 2019, à euros constants*) est repartie à la baisse depuis. Les raisons de cette contraction de la productivité font encore l'objet de débats (parmi les causes possibles figurent la hausse du nombre d'apprentis qui diminue le niveau d'expérience moyen des salariés ou les perturbations des chaînes de valeur pendant la crise sanitaire qui mettent du temps à se rétablir).

  • Il peut exister un décalage temporel entre la réalisation des investissements et la hausse de la production manufacturière

Les investissements engagés peuvent prendre plusieurs années avant d'atteindre le maximum de leur capacité de production. Selon cette explication optimiste, la production manufacturière est appelée à croître dans les prochaines années, une fois les investissements actuels arrivés à leur terme.

  • Les nouveaux investissements ne se traduisent pas nécessairement par une extension des capacités de production

Les soldes d'opinions des industriels indiquent, en 2021 et 2022, une baisse sensible des investissements d'extension des capacités de production, une hausse des investissements de modernisation et une stabilité des investissements de remplacement. Il se peut que les investissements visant à accroître les capacités de production génèrent une hausse plus forte de la production que les investissements de modernisation. Le type d'investissements engagés par les entreprises en France pourrait ainsi expliquer que le volume de production n'augmente pas comme on pourrait s'y attendre.

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Parvenir à réindustrialiser : des efforts de fond dans la durée

Accroître significativement la production manufacturière implique de résoudre les difficultés structurelles du pays. Il serait illusoire de chercher à combler rapidement les faiblesses de l'industrie française dont la crise, due à des difficultés profondes, ne peut être traitée que dans la durée. Parmi les multiples causes qui handicapent l'industrie française, trois semblent fondamentales : le niveau de formation, l'environnement administratif et la recherche-développement.

  • Les lacunes du système éducatif français sont bien documentées

Les classements PISA montrent notamment que le niveau des élèves français est plutôt inférieur à celui de la moyenne des autres pays développés. Or, un des obstacles à la réindustrialisation est le manque de personnel qualifié. L'Allemagne ou la Suisse bénéficient pour leur part d'un système éducatif professionnalisant qui soutient leur industrie.

  • La lourdeur bureaucratique handicape l'industrie française

L'annulation d'un projet d'usine de viennoiserie en Bretagne illustre les obstacles administratifs à la construction d'usines. D'une manière plus générale, dans le classement « Doing Business » de la Banque Mondiale sur la facilité à faire des affaires, la France ne se classe que 32e mondiale.

  • Les dépenses de recherche-développement sont insuffisantes

Pour des pays à haut niveau de salaire comme la France, il est indispensable pour l'industrie de proposer des produits haut de gamme, ce qui implique un fort investissement en R&D. La France consacre 2,2% de son PIB à la R&D, ce qui est inférieur à la moyenne des pays de l'OCDE, et deux fois moins élevé qu'Israël ou la Corée du Sud.

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(*) Calculs Asterès d'après Insee

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Commentaire 1
à écrit le 28/11/2023 à 14:41
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L'obsession de la réindustrialisation pour imiter nos concurrents et continuer à jouer dans le monde virtuel en construction ! On est loin de vouloir s'adapter à un monde réel, résilient ! ;-)

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